De Saigon à Bagdad

Publié le 11 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

Certes, ce n’est pas le Vietnam, car les forces adverses sont incomparablement plus faibles. En face des armées de Bush, il n’y a pas de divisions structurées comme celles de Giap. Et, surtout, il n’y a pas, en Irak, de très grande puissance pour alimenter le conflit, jour après jour. Il n’y a pas de Chine.
En revanche, le climat général est encore plus désagréable pour les soldats américains, qui se sentent de plus en plus mal sur les bords du Tigre et de l’Euphrate. Au Vietnam, ils avaient le sentiment de défendre la démocratie avec un grand D face au totalitarisme communiste. Ils avaient été appelés au secours par un gouvernement ressenti comme légitime. Ils étaient soutenus par une grande part de la population, très souvent chrétienne. Quand ils quittaient les zones de combat, ils étaient généralement accueillis chaleureusement… en particulier par la population féminine. Rien de tel, aujourd’hui, en Irak !
Militairement, la situation n’est – en apparence – pas grave. Elle n’en est pas moins de plus en plus intenable : les attaques se multiplient, les sentinelles et les logisticiens ont peur, l’insécurité est partout. Et il fait chaud. Très chaud. Quand on a passé sa vie à Bagdad, au-delà de 40 °C, la chaleur est déjà difficile à supporter. Mais quand on a été élevé dans le Nord-Dakota et que l’on doit porter, en permanence, malgré les températures extrêmes, un casque lourd et un gilet pare-balles, les patrouilles, les gardes deviennent vite insupportables. Les soldats américains ne rêvent que de retour au bercail. Or, dans un pays comme les États-Unis, où les consultations électorales sont fréquentes, il est difficile de ne pas tenir compte de l’opinion, sinon des soldats, du moins de celle de leurs mères.

Dans ces conditions, tout porte à penser que le gouvernement de George W. Bush va bientôt chercher une sortie honorable, malgré tous les néoconservateurs interventionnistes qui gravitent à Washington. Il ne faut pas oublier que ces conseillers « sûrs d’eux-mêmes et dominateurs » ont déjà beaucoup menti, se sont déjà lourdement trompés dans leurs pronostics. Il est tout à fait possible que le poids relatif des différents conseillers du président soit déjà en train de changer. On peut imaginer que des hommes réalistes comme Colin Powell commencent enfin à être écoutés.
Alors, qu’espérer ? On peut rêver que le monde musulman et le monde arabe en particulier se souviennent de Sun-Tsu, le génial auteur chinois qui expliquait magistralement, il y a vingt-cinq siècles, qu’il faut toujours laisser une porte de sortie à l’adversaire pour ne pas l’acculer au désespoir.

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Est-ce vraiment aux Arabes qu’il faut demander de venir en aide aux Américains ? Malgré toutes les raisons qui peuvent les pousser à se réjouir des difficultés actuelles des troupes américaines en Irak, je crois profondément que c’est à des pays comme l’Égypte, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc de se préparer à jouer les « bons offices ». C’est l’intérêt des Irakiens, bien sûr, mais c’est aussi celui de tous les habitants du Proche-Orient et même de tous les hommes qui ne veulent pas laisser s’envenimer les rapports Nord-Sud. On ne voit guère en effet qui, mieux que des Arabes, pourrait remplacer progressivement les Américains et les Britanniques. Les Français, comme tous les pays de la vieille Europe, sont manifestement « grillés ». Les armées de la « nouvelle Europe » ne sont pas assez puissantes, pas assez entraînées pour pacifier un pays aussi complexe que l’Irak. Les pays trop proches, comme la Jordanie ou la Syrie, eux, sont trop impliqués pour ne pas être considérés comme partiaux. Quant aux pays trop lointains, comme l’Australie ou la Suède, ils ne sont pas assez concernés, sans doute, pour envoyer durablement leurs soldats dans la fournaise irakienne.
Non, vraiment, je ne vois pas mieux que les Égyptiens et les Maghrébins pour nous sortir du guêpier où les interventionnistes américains nous ont mis. Bien sûr, ils devront travailler en étroite collaboration avec l’ONU, et il leur faudra du temps pour préparer les esprits. Mais l’essentiel est qu’ils soient prêts à agir. Par eux-mêmes. Pour le bien de tous… même pour celui des Américains !

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