Comment Essy s’est retiré

Le président intérimaire de la Commission a quitté la compétition à la demande des autorités ivoiriennes. Et maintenant ?

Publié le 16 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Comment ça va, Excellence ? Ne vous en faites pas pour moi, tout va bien. Je suis heureux de sortir de cette galère… Du courage, Excellence ! On est de tout coeur avec vous. Accolades, embrassades, poignées de main, bises à ne plus savoir où en donner, messages de soutien du personnel de l’Union africaine… Amara Essy, 59 ans, n’a jamais été autant entouré qu’après l’annonce, par le chef de l’État ivoirien, le 7 juillet, du retrait de sa candidature au poste de président de la Commission de l’Union africaine (UA).
Certains de ses collaborateurs ne cachent pas leur déception, persuadés que cette décision, annoncée en plein Conseil des ministres de l’UA, à Maputo, est « injuste et inappropriée ». « La transition entre l’Organisation de l’unité africaine et l’Union africaine n’est pas achevée. Plusieurs institutions n’ont pas encore été mises en place. Ce n’est donc pas le moment indiqué pour installer un ancien chef d’État aux commandes », explique un haut cadre de l’UA. D’autres soulignent que le retrait de la candidature du président intérimaire a été provoqué par le « Club des cinq » – Afrique du Sud, Nigeria, Algérie, Libye et Sénégal -, accusé d’avoir pris fait et cause pour l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré.
D’autres, encore, critiquent le président ivoirien Laurent Gbagbo, coupable, à leurs yeux, d’avoir « emboîté » le pas à l’un de ses prédécesseurs, Henri Konan Bédié. En 1997, ce dernier avait, à la dernière minute, ordonné le retrait de la candidature du même Amara Essy, à l’époque candidat au secrétariat général de l’Organisation de l’unité africaine contre le Tanzanien Salim Ahmed Salim.
« Tout ce que Dieu fait est bon ! », nous a déclaré l’ancien ministre des Affaires étrangères de Félix Houphouët-Boigny, dans son bureau situé au premier étage du Centre des conférences de Maputo. Entouré de quelques collaborateurs, d’une poignée d’amis et de l’un de ses six enfants arrivé en renfort de Genève, où il travaille, Essy a du mal à cacher sa déception. « Il a été remercié en plein Conseil des ministres de l’Union », fait remarquer l’un de ses proches. « Il n’a appris la nouvelle que quelques minutes avant le communiqué de la présidence de la République ivoirienne », croit même savoir le ministre des Affaires étrangères d’un pays d’Afrique centrale.
Jeune Afrique/l’intelligent est en mesure de révéler que le président intérimaire de l’Union africaine avait été informé, depuis un peu plus de deux semaines, du souhait du chef de l’État ivoirien de retirer sa candidature. Le 20 juin dernier, en effet, Laurent Gbagbo, qui assistait à Lomé, tout comme Essy, à la cérémonie d’investiture du chef de l’État togolais Gnassingbé Eyadéma, glisse subrepticement à l’oreille de son compatriote : « Il faut que je te parle ! » Quelques heures plus tard, lors d’un tête-à-tête, le président explique à ce dernier qu’il envisageait de le retirer de la compétition. Essy accuse le coup, puis demande des explications. « Les pressions sont fortes, et plusieurs pays amis m’ont demandé de le faire », lui répond Gbagbo. La Côte d’Ivoire, qui émerge à peine d’une guerre civile, ne peut se permettre d’ouvrir un front extérieur, qui plus est pour affronter des « pays qui comptent sur le continent », tels que l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Algérie, le Libye, le Ghana (rallié de fraîche date à la cause du Malien Konaré), ainsi que le secrétaire général des Nations unies.
Kofi Annan est intervenu à plusieurs reprises, ces derniers mois, auprès de Laurent Gbagbo pour qu’il retire la candidature de son « ami » Essy, au nom de la realpolitik et de l’indispensable solidarité sous-régionale. Les présidents ghanéen John Kufuor, nigérian Olusegun Obasanjo, et sud-africain Thabo Mbeki ont réitéré leur demande lors d’une réunion secrète avec le président ivoirien, qui s’est tenue courant juin dans la ville ghanéenne d’Akossombo. Selon nos informations, le chef de l’État ivoirien devait même se rendre, début juillet, à Tripoli pour s’entretenir du sujet avec le Libyen Mouammar Kadhafi. Mais, à deux reprises, la visite a été annulée. « Les avions présidentiels ivoiriens étant actuellement en révision, l’appareil que Kadhafi nous a envoyé n’était pas, à vue d’oeil, en bon état. Nous avons donc déconseillé au président de faire le voyage », confie un diplomate ivoirien. « Un tel déplacement aurait pu apparaître après l’annonce du retrait de la candidature d’Amara Essy comme un alignement sur les positions de Kadhafi », nuance un autre.
De fait, Laurent Gbagbo travaillait depuis plusieurs semaines sur un éventuel retrait de son poulain. Mis à contribution, ses conseillers diplomatiques avaient élaboré deux scénarios : un retrait avant même le début de cette deuxième conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’UA, à Maputo ; ou un abandon après un ou deux tours de scrutin, au cas où Konaré arriverait en tête. Soumis à de multiples pressions, engagé sur le « front intérieur », au point de ne pas faire le déplacement en terre mozambicaine, le président ivoirien a finalement choisi de sacrifier Essy « dans l’intérêt supérieur » de l’Afrique de l’Ouest. Il l’a fait, au grand étonnement de certains, mais après avoir pris l’ultime précaution d’en avertir Amara Essy par un message verbal de sa directrice adjointe de cabinet, Mme Sorata Otro Touré, envoyée début juillet dans la capitale mozambicaine.
Lundi 7 juillet, aux alentours de 14 heures, une annonce de la présidence de la République ivoirienne officialisait le retrait. Dans un communiqué daté du même jour, mais diffusé le lendemain, Essy prend « acte de cette décision, avec l’assurance que ce choix s’accorde avec les intérêts de mon pays et ceux de mes compatriotes ». « Mon espérance la plus forte, ajoute-t-il, est que l’élan que nous avons impulsé pendant deux ans puisse aboutir à de grandes réalisations. Mon souhait le plus ardent est que l’Union africaine permette aux États et aux peuples africains d’être beaucoup plus unis, davantage rassemblés, réconciliés et solidaires à l’intérieur comme à l’extérieur du continent. […] »
Selon nos informations, le président intérimaire de l’Union africaine, qui passera la main à son successeur à la mi-septembre, devrait, aussitôt après, prendre quelques semaines de vacances. Il n’est pas exclu, assure-t-on de bonne source, qu’on le retrouve, dans la foulée, à la tête d’un organisme onusien, peut-être bien comme haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, en remplacement du Brésilien Sergio Vieira de Mello, qui cumule, depuis le 27 mai dernier, cette fonction avec celle de représentant spécial de Kofi Annan pour l’Irak.

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