Ce que pensent les Subsahariens

Une enquête d’opinion réalisée par un institut indépendant de Washington dans plusieurs pays du continent s’efforce de cerner les réactions des populations face aux mutations en cours.

Publié le 16 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Comment vivent les Subsahariens? Comment jugent-ils leurs dirigeants ? À ces questions – et à quelques autres concernant la religion, la corruption ou les rapports avec l’extérieur -, le Pew Research Center for the People and the Press, un institut indépendant basé à Washington, s’est efforcé de répondre par le biais d’un sondage intitulé « Opinions d’un monde en mutations ». Cette enquête a été menée auprès de trente-huit mille personnes réparties dans quarante-quatre pays. Seules les questions concernant l’Afrique subsaharienne – dont certaines posées aux seuls musulmans – ont ici été prises en compte. Dans plusieurs cas, les sondeurs se sont volontairement limités à un petit nombre de pays. Précision importante : l’étude a été réalisée avant les élections présidentielles au Kenya (décembre 2002) et au Nigeria (avril 2003). Et avant de déclenchement de la guerre civile en Côte d’Ivoire, en septembre 2002.

L’islam, le pouvoir, la démocratie

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La démocratie est-elle réservée aux seules sociétés occidentales ? Non, répondent majoritairement les populations musulmanes subsahariennes. Dans un pays comme le Nigeria, où l’islam n’est pas la religion dominante, 75 % des personnes interrogées – toutes confessions confondues – défendent cette thèse. Il faut dire que seuls deux pays où les musulmans sont majoritaires – le Mali et le Sénégal – sont jugés « démocratiques » par le récent rapport sur la démocratie dans le monde réalisé par Freedom House. Cette donnée explique probablement la soif de liberté et de démocratie qui se manifeste en terre musulmane.
Dans le même temps, nombre de musulmans souhaitent que l’islam joue un rôle important voire plus important qu’il ne l’est actuellement – dans la vie politique de leur pays. Paradoxe : cela n’affecte en rien leur volonté de jouir de libertés civiles et politiques accrues. Dans les pays où l’islam n’est pas majoritaire, musulmans et non-musulmans sont le plus souvent d’avis que la religion doit rester confinée à la sphère privée. Au Nigeria, par exemple, six musulmans sur dix estiment que la religion devrait être séparée de la politique. La proportion est la même chez les non-musulmans.
Là où les musulmans constituent l’écrasante majorité, les personnes interrogées sont souvent favorables à un renforcement du rôle de l’islam dans la vie politique : c’est, par exemple, le cas au Mali, alors qu’en Tanzanie les sondés trouvent que cette religion devrait jouer un rôle moins important, si tant est qu’elle doive en jouer un. Les Tanzaniens, comme d’ailleurs les Sénégalais, considèrent majoritairement que la présence de cette religion dans la vie politique est déjà très marquée. Quid des leaders politiques musulmans ? Presque 91 % de leurs coreligionnaires au Nigeria approuvent le fait qu’ils jouent un rôle important. Ailleurs, l’opinion majoritaire est exactement inverse. Les musulmans de Tanzanie et du Sénégal, par exemple, émettent des réserves à leur endroit. Au Mali comme au Nigeria, la grande majorité des sondés veut que ces leaders jouent un rôle important, mais elle est dans le même temps favorable à la liberté de parole et à la tenue d’élections libres et pluralistes. 79 % des Maliens, 68 % des Nigérians et 71 % des Sénégalais considèrent le fait de pouvoir critiquer le gouvernement comme une priorité. Les musulmans du Sénégal sont favorables à 97 % à la liberté religieuse, tout comme les Nigérians, toutes confessions confondues. Au fait, cette liberté existe-t-elle dans ces pays ? Oui, répondent neuf musulmans sur dix au Sénégal, trois sur quatre en Tanzanie et au Mali.
Nombre de musulmans préfèrent un gouvernement démocratique à un leader fort. C’est l’avis de 90 % des Sénégalais, de 84 % des Ivoiriens, de 77 % des Kényans et de 70 % des Tanzaniens. En revanche, 48 % des Nigérians préfèrent un leader fort.
En dépit de la pauvreté qui sévit sur le continent, beaucoup préfèrent de loin la démocratie à une économie prospère. Ils sont 77 % en Côte d’Ivoire, 63 % au Nigeria et 60 % au Ghana. De même, 87 % des Sénégalais, 85 % des Kényans, 84 % des Ivoiriens, 82 % des Maliens et 79 % des Ougandais estiment que la tenue d’élections pluralistes est « importante ». Est-ce toujours le cas dans les pays concernés ? 58 % des Kényans et 52 % des Nigérians répondent par la négative.

La corruption se porte bien, merci

Plus que partout ailleurs dans le monde, la corruption est ressentie comme un fléau dans beaucoup de pays africains. Le phénomène étant par essence assez difficile à mesurer, il convient d’aborder cette partie du sondage avec beaucoup de prudence. Près de 68 % des Nigérians et 65 % des Kényans affirment avoir été contraints, l’année dernière, d’octroyer une faveur, de donner un cadeau ou de corrompre un fonctionnaire pour obtenir un service ou un document. 52 % des Angolais, 44 % des Maliens, 42 % des Tanzaniens et 40 % des Ougandais affirment l’avoir fait dans le passé. Selon l’étude, le degré de la corruption n’est toutefois pas partout le même : 76 % des Sud-Africains et 70 % des Sénégalais affirment, par exemple, ne pas avoir pratiqué la corruption l’année dernière.

Vive la mondialisation !

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Les Africains sont plus que jamais ouverts aux images et aux sons venus du reste du monde. Et ils sont assez fréquemment en communication avec des étrangers : 74 % des personnes interrogées au Sénégal affirment être en contact avec l’extérieur par le biais du téléphone, de l’écriture ou des voyages, contre 63 % en Côte d’Ivoire, 58 % au Mali, 50 % en Angola, 40 % au Nigeria et 16 % en Tanzanie. Une large majorité d’entre eux estime que la mondialisation est une bonne chose. C’est l’avis de 90 % des Nigérians, de 82 % des Kényans, de 75 % des Ivoiriens, des 73 % de Ghanéens et des Ougandais, de 70 % des Sud-Africains et de 69 % des Sénégalais. La « globalisation économique » est particulièrement appréciée. La majorité des personnes interrogées (93 % des Ivoiriens, 92 % des Sénégalais, 90 % des Nigérians) considère que le commerce international et les relations d’affaires avec l’extérieur sont bénéfiques, aussi bien pour leur pays que pour les particuliers.
Un a priori favorable est accordé aux grandes organisations ou entreprises étrangères. 90 % des personnes interrogées au Ghana, 92 % en Côte d’Ivoire, 95 % au Kenya, 96 % au Sénégal et 92 % en Ouganda ont une bonne opinion des ONG. Tandis que 87 % des Ivoiriens, 81 % des Sénégalais, 79 % des Nigérians, 74 % des Angolais et 72 % des Ghanéens estiment que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Banque mondiale et le Fonds monétaire international jouent un rôle positif dans le développement de leur pays.
Pourtant, et c’est un nouveau paradoxe, de nombreux Africains jugent que leur mode de vie est menacé par les influences extéde rieures : c’est le cas de 87 % des personnes interrogées en Ouganda, 86 % au Kenya et au Sénégal. Autre conséquence négative de la mondialisation : la montée en puissance de la xénophobie. Les sondés sont très nombreux à souhaiter que « l’entrée des populations étrangères dans le pays » fasse l’objet de mesures de restriction. Ils sont 76 % en Côte d’Ivoire, 67 % en Afrique du Sud, 57 % au Mali et 49 % au Kenya. Enfin, il est un domaine où les Africains résistent farouchement à l’influence de l’étranger : c’est l’homosexualité, qu’ils ont toujours le plus grand mal à accepter. C’est le cas de 99 % des Kényans, de 98 % des Sénégalais, de 96 % des Maliens, de 95 % des Nigérians et des Ougandais et de 93 % des Ghanéens. Les chiffres sont à peine inférieurs en Côte d’Ivoire (84 %), en Afrique du Sud (63 %) et en Angola (62 %).

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