Cap sur l’orient

L’Afrique, qui occupe toujours une place marginale dans le trafic international, doit sa progression à l’intensification de ses échanges avec l’Asie du Sud-Est. L’activité est en revanche moins dynamique avec l’Europe.

Publié le 11 juillet 2003 Lecture : 7 minutes.

Malgré une conjoncture économique marquée par un ralentissement des échanges internationaux, le transport maritime ne se porte pas si mal. Après plus de quinze ans de hausse continue, le volume de fret a certes accusé une baisse de 1 % à la fin de 2001 par rapport à l’année précédente, mais il n’y a là rien de grave aux yeux des professionnels du secteur. Plus des trois quarts des marchandises exportées dans le monde empruntent encore la voie maritime, les navires sont toujours plus rapides et toujours plus volumineux.
D’après les chiffres de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), 5,8 milliards de tonnes de marchandises ont ainsi été transportées en 2001. Déjà, alors que les résultats d’activité de 2002 n’ont pas été rendus publics, les cabinets de courtage internationaux comme le français Barry Rogliano Salles qualifient 2002 d’année de transition, en attendant un éventuel retour à la croissance en 2003. Les chiffres permettent dès à présent de confirmer autre chose : la place marginale occupée par l’Afrique dans ce trafic international. Contourné par les grands axes maritimes alimentés pour l’essentiel par les approvisionnements énergétiques destinés aux pays du Nord, le continent n’a représenté que 9 % des flux mondiaux de marchandises (environ 550 millions de tonnes) en 2001, contre 37 % pour l’Asie, 25,5 % pour l’Europe et 21 % pour les Amériques. Certes, les performances africaines sont en progression par rapport aux années précédentes durant lesquelles elles ne comptaient, en moyenne, que pour 6 % ou 7 % des volumes transportés.
L’augmentation relative des flux maritimes africains s’explique notamment par la montée en puissance, remarquée depuis trois ans, de l’axe Est-Ouest, entre l’Asie et l’Afrique. « L’Asie est en train de prendre une place prépondérante dans l’approvisionnement des commerçants africains, notamment pour des biens de consommation courante acquis à des prix inférieurs à ceux pratiqués en Europe », constate Yves Perrin, directeur général de l’armement français Delmas. Entre l’ouverture de la Chine continentale, qui produit aujourd’hui en grande quantité des produits très compétitifs, et l’évolution très favorable du dollar par rapport à l’euro, les produits asiatiques prennent en Afrique la place des productions traditionnellement importées du Vieux Continent. Constat particulièrement vrai pour les matériaux de construction, les matières plastiques, l’électronique ou les automobiles.
Selon les opérateurs, les échanges entre l’Afrique et l’Asie auraient augmenté de près de 12 % en 2002. Ils représenteraient aujourd’hui plus de 40 % de ceux réalisés entre l’Afrique et l’Europe, contre moins de 25 % en 2000. Depuis environ dix-huit mois, les grandes compagnies maritimes d’origine asiatique ou européenne ont été particulièrement alléchées par ce marché jusqu’alors peu encombré et présentant, par là même, des taux de fret (rémunération du transport de marchandises) assez élevés. Les capacités de chargement déployées par les différents concurrents ont alors considérablement augmenté au cours de l’année 2002, provoquant une chute de 30 % de ces taux. En quelques mois, « tout le monde a commencé à perdre de l’argent », explique le responsable d’un armement asiatique. Il a fallu attendre avril dernier pour voir les armateurs décréter une trêve au nom de leur survie et mettre un terme à cette guerre tarifaire. Résultat : la tendance s’est aujourd’hui inversée et, sur les trois derniers mois, les rémunérations ont regagné 10 %. « Il était relativement facile de trouver un accord sur ce marché en pleine croissance, où les parts sont suffisamment importantes pour que chacun accepte de faire des efforts », explique Yves Perrin. Jusqu’à la prochaine fois, le secteur maritime étant coutumier de ces mouvements de balancier.
Le trafic vers l’Afrique subsaharienne se heurte toutefois à certaines limites. Si les volumes importés augmentent, ils restent désespérément faibles à l’export. « Ce qui provoque un grand déséquilibre pour les armateurs, obligés de mobiliser des navires qui rentrent ensuite à vide vers les ports asiatiques », constate la Cnuced. Remplies à 100 % au départ d’Asie, les cales des navires ne le sont plus qu’à 20 % au retour. Les Asiatiques consommant encore très peu de cacao, les porte-conteneurs ne rentrent qu’avec des volumes limités de coton ou de bois.
Sur l’axe Nord-Sud, entre l’Europe et l’Afrique, l’activité est aujourd’hui beaucoup moins dynamique, avec une hausse d’à peine 3 % en 2002. Après une période d’accalmie, qui avait succédé à la guerre commerciale féroce que s’étaient livrée le français Delmas et le danois Maersk-Sealand, le marché a été à nouveau perturbé par l’irruption d’armements, notamment sud-américains, sur la zone durant le second semestre 2002. L’apparition de nouvelles capacités sur un marché déjà restreint a alors provoqué une nouvelle baisse de 30 % des taux de fret. Ceux-ci n’ont commencé à repartir à la hausse qu’en avril dernier.
En plus de ces évolutions tarifaires, l’année 2002 a réservé d’autres surprises de taille aux armateurs présents dans le golfe de Guinée. Victime de la crise née le 19 septembre 2002 en Côte d’Ivoire, le port d’Abidjan, reconnu pour être le plus moderne de la sous-région, s’est retrouvé paralysé durant plusieurs mois. Et les fortes perturbations de l’approvisionnement de l’hinterland ont redessiné la carte maritime de l’Afrique de l’Ouest. Des ports comme Lomé au Togo ou Tema au Ghana ont pu tirer leur épingle du jeu et se substituer à Abidjan à l’import et à l’export (voir encadré). Mais l’ensemble des ports du golfe de Guinée est aujourd’hui saturé, faute d’équipements adéquats et d’espaces de stockage suffisants. Sans parler des infrastructures terrestres, gravement déficientes dans cette partie du continent.
Cette situation critique a donné un nouvel élan aux plans d’extension des ports qui doivent voir le jour dans plusieurs pays, restés en sommeil depuis plus de dix ans pour certains. L’objectif de ces projets vise à équiper l’Afrique de sites modernes, capables de traiter les trafics conteneurisés qui constituent la majeure partie des activités portuaires d’aujourd’hui. De Dakar à Douala, en passant par Tema, Cotonou ou Lomé, tous les responsables font le même rêve : faire de leur port le hub sous-régional qui manque sur la côte ouest-africaine, lacune que les problèmes d’Abidjan ont encore exacerbée. Dakar doit aménager des aires de stockage, Lomé a déjà programmé la construction d’un nouveau terminal dédié aux conteneurs, Tema va rallonger ses quais, Douala va approfondir son chenal d’accès et réhabiliter ses quais et ses structures de stockage… Et Abidjan a déjà programmé la réalisation de nombreux projets, même si tout est suspendu dans l’attente d’un retour à la normale.
Reste que les places sont chères et qu’un seul port peut escompter tenir le rôle d’interface de transbordement à l’échelle régionale. Malgré ses difficultés, c’est Abidjan qui apparaît encore le mieux placé aux yeux de la plupart des armements internationaux, qui savent les avantages qu’il peuvent tirer de sa proximité avec d’importants marchés, émetteurs de matières premières (coton, café, cacao) et consommateurs de produits finis. À moins que les autorités nigérianes ne lancent enfin le projet portuaire destiné à désengorger Lagos. Les autres villes ne peuvent qu’espérer rentrer dans la stratégie de desserte élaborée par un armement. Ce qui explique les importants investissements prévus pour séduire les opérateurs maritimes. Car les ports africains, même les plus importants, sont encore loin des standards mondiaux, que ce soit en termes d’accès – aucun n’a un tirant d’eau supérieur à 14 m de profondeur et ne peut donc recevoir les navires de la dernière génération -, de traitement de l’information (absence de systèmes informatiques), de sécurité (pas de clôture ou de système de surveillance), ou de procédures administratives et douanières.
Pour assurer cette modernisation et attirer les investissements nécessaires, les responsables africains ont opté depuis le milieu des années quatre-vingt-dix pour la privatisation d’une partie de leurs terminaux. Le port garde la mainmise sur les infrastructures, mais en délègue la gestion à des opérateurs privés sous forme de BOT (Build, Operate & Transfer). Ce type de programme est soutenu depuis le début des années quatre-vingt-dix par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Les armements et leurs filiales terrestres se sont engouffrés dans la brèche pour prendre en charge notamment les opérations de manutention ou de stockage dans le but de réduire les coûts tout en améliorant la productivité. Exemple significatif de cette tendance, le port de Lomé a privatisé sa manutention en janvier 2002 et l’a confiée à la Société d’entreprise et de manutentions maritimes (SE2M), entreprise majoritairement détenue par des Espagnols. Cette opération a permis au port de voir ses trafics conteneurisés progresser de 22 % en un an, alors que les niveaux d’investissements gonflaient sensiblement. « L’arrivée d’opérateurs privés nous a permis de pouvoir absorber le trafic supplémentaire provoqué par la crise ivoirienne », constate Awa Beleyi, directeur général du port.
Aujourd’hui, le secteur privé est impliqué dans plus de 70 % des ports africains, surtout le long de la côte orientale et australe du continent : Djibouti, Mombasa (Kenya), Dar es-Salaam (Tanzanie), Beira et Maputo (Mozambique), Durban (Afrique du sud), etc. En revanche, d’après la Cnuced, seuls 21 % des sites de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale ont ouvert leurs installations aux privés (Lomé, Cotonou, Dakar…). Mais tous les grands ports (Abidjan, Douala, Lagos) s’engagent actuellement sur cette voie. Le temps presse pour cette partie de l’Afrique qui ne peut se permettre de voir ses activités commerciales freinées par la faiblesse de ses équipements portuaires.

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