Un destin bollywoodien

Mother India, de Mehboob Khan (sorti à Paris le 9 juin).

Publié le 14 juin 2004 Lecture : 2 minutes.

Pour les amateurs de cinéma indien, c’est « le » must. Réalisé en 1957, il n’a pourtant jamais encore été présenté dans de nombreux pays. Sa sortie en France marque donc une date. Pour mesurer l’ampleur de l’événement, sans doute suffit-il de dire que ce film, considéré comme le chef-d’oeuvre de Bollywood, autrement dit des studios de Bombay qui ont fait la réputation du cinéma indien, est considéré dans son pays d’origine comme l’équivalent d’Autant en emporte le vent. Et son metteur en scène est souvent qualifié de Cecil B. DeMille indien.
Dans la grande tradition du mélodrame bollywoodien, Mother India raconte trois heures durant le destin tragique de la courageuse Radha. Quand cette superbe jeune femme s’est mariée avec un paysan sans fortune – un mariage d’amour, évidemment, dans un pays où ils sont rares -, sa mère a dû hypothéquer la ferme familiale pour obtenir d’un usurier de quoi financer la noce. Cette dette va poursuivre la famille pendant quarante ans. D’autant que sa situation est devenue très difficile lorsque l’époux de Radha, victime d’un accident du travail qui lui a fait perdre ses deux bras, a décidé de partir seul au loin afin de ne plus être un fardeau pour les siens.
Le seul espoir de l’héroïne, que rien n’épargne, des calamités naturelles aux disputes villageoises, ce sont ses enfants. Mais son fils préféré, Birju, révolté par l’injustice, devenu à moitié fou, devient de plus en plus vindicatif envers les puissants, à tel point que sa mère finit par devoir se désolidariser de lui. Jusqu’à la fin, la vie n’est qu’une suite d’épreuves pour Radha.
Rythmé comme il se doit par des chants et des danses, truffé d’images très composées aux couleurs splendides, Mother India propose un spectacle total, propre à séduire et attendrir le plus blasé des spectateurs. Mais s’il est devenu un classique, c’est surtout qu’il raconte une histoire qui va bien au-delà de la chronique villageoise et du mélo traditionnel. Radha, cette mère-courage qui lutte contre l’adversité sans jamais renoncer, c’est bien entendu une métaphore de l’Inde qui, au milieu des années 1950, vient d’accéder à l’indépendance. Et qui se bat pour préserver cette dignité durement conquise et tenter d’assurer la prospérité à une population aussi nombreuse que déshéritée. L’esthétique même du film, qui emprunte, de façon heureuse, à celle du cinéma soviétique de l’entre-deux-guerres, souligne cette ambition politique et sociale du metteur en scène.
Le succès inébranlable du film depuis un demi-siècle en Inde a tenu également, ce qui n’enlève rien à ses qualités cinématographiques, au star-system indien, qui n’a rien à envier à celui d’Hollywood. La superbe Nargis, qui joue l’admirable Radha, révélée au grand écran dès l’âge de 14 ans par ses rôles dans des histoires d’amour tragiques, est en effet une actrice mythique. Presque brûlée vive au cours d’une scène d’incendie pendant le tournage de Mother India, elle a été sauvée de justesse par l’un de ses partenaires, celui-là même qui joue le rôle de son fils, Sunil Dutt… qu’elle épousera bientôt, avant de se retirer de l’écran et de se lancer en politique. Un destin parfaitement bollywoodien.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires