Superbe et généreux

Publié le 14 juin 2004 Lecture : 1 minute.

Lyon, 1963. Aux fenêtres des antiques demeures des bords de Saône, les immigrés d’Algérie étendaient encore leur linge. Là, à portée de « canon » du Bar du Soleil, nous étions quelques lycéens à squatter une cave voûtée pour d’inoffensives orgies, en fumée et en musique. Collé au mur du fond, un piano droit, avec des partitions gondolées par l’humidité. En mai de cette année-là, l’un de nous avait raflé la caisse du groupe pour faire accorder l’instrument. Il ne doutait de rien : ayant appris que Ray Charles allait se produire dans notre ville, lui se faisait fort de l’attirer chez nous. Nous étions une vingtaine à faire le pied de grue dans la nuit, sans trop y croire, quand une rumeur monta de la ruelle. Harlem déferlait dans le Vieux Lyon ! Comment notre copain s’y était-il pris pour convaincre l’idole ? Je n’en ai jamais rien su, sauf qu’on le vit comme enroulé à son bras pour lui faire franchir les quelques marches qui conduisaient à notre antre, titubant dans un cortège de filles, évidemment splendides, avec à ses côtés plus de Noirs que nous n’en avions croisé durant toute notre scolarité. Ray Charles hurlait de rire pour ce bon tour qu’il jouait aux organisateurs de sa tournée, aux bourgeois de la ville, aux gamins, que sais-je ! Puis il s’assit devant le piano et là, ce fut la magie d’un concert improvisé : un « What’d I Say » éternel dans la sueur des corps, les bouteilles renversées, et notre piano, superbe, comme exalté par l’immense générosité du chanteur.

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