Comment la Saison Africa 2020 veut faire évoluer le regard des Français
Décalée une première fois, la Saison Africa 2020 voulue par le président Emmanuel Macron et pilotée par N’Goné Fall aura bien lieu. Objectif : dépasser les clichés des Français sur l’Afrique.
Le communiqué de presse de la Saison Africa 2020 contient un avertissement que l’on a désormais pris l’habitude de lire un peu partout : « Ce document a été réalisé en octobre 2020, la programmation ainsi que les dates qui y sont indiquées sont susceptibles de changements en fonction de l’évolution de la situation sanitaire. » Pourtant, N’Goné Fall, la commissaire générale de l’événement, l’assure : les quelque 450 projets prévus auront bien lieu entre décembre 2020 et juillet 2021.
« L’annulation n’a jamais été une option, soutient-elle. La Covid-19 nous donne du fil à retordre, la plupart des équipes sont aujourd’hui en télétravail, mais les outils technologiques nous permettent d’avancer. Comme le dit le proverbe, « C’est l’homme qui a peur, sinon il n’y a rien ». »
Point de vue africain
Ainsi donc le grand raout voulu par le président français Emmanuel Macron aura bien lieu, d’une manière ou d’une autre. « À Ouagadougou, en novembre 2017, j’avais dit mon souhait d’organiser en France, en 2020, une grande Saison pour célébrer la création africaine contemporaine, précise-t-il dans le dossier de présentation. Nous étions quelques-uns alors à rêver d’une Saison hors normes, qui s’affranchirait des frontières, briserait les idées reçues et transformerait les imaginaires. Ce rêve, désormais, s’accomplit avec le lancement de cette Saison inédite par son format – 54 pays ! –, par son caractère multidisciplinaire – arts visuels, spectacle vivant, cinéma, littérature, sciences, technologie, entrepreneuriat, gastronomie, mode, design, architecture – mais surtout par son ambition. »
Il ne s’agit pas de projets purement événementiels pour divertir la population française »
Depuis son annonce dans la capitale burkinabè, le projet a de fait pris une tournure différente, sans aucun doute sous l’impulsion de sa commissaire et de son entourage. « Je n’ai jamais voulu d’une saison seulement culturelle, précise-t-elle dès qu’elle en a l’occasion. Je m’énerve quand on parle de saison culturelle. Il ne s’agit pas de construire des projets purement événementiels pour divertir la population française. Il s’agit d’une invitation à regarder et à comprendre le monde d’un point de vue africain. »
Les différents thèmes de la saison (oralité augmentée, économie et fabulation, archivages d’histoires imaginaires, fictions et mouvements [non] autorisés, système de désobéissance) seront ainsi déclinés à travers différents focus, avec chaque fois un objectif pluridisciplinaire. À titre d’exemple, le « focus sciences » se déploiera essentiellement entre Paris et Toulouse, le « focus innovation et technologies » entre Marseille, Lyon, Laval et Bordeaux, tandis que les 22 projets du « focus femmes » concerneront l’ensemble du territoire français, y compris ultramarin.
« C’était un devoir de ne pas les oublier, affirme N’Goné Fall. Non pas pour pleurer sur la condition féminine, mais pour savoir quel est leur regard sur différentes questions de société. » Une démarche que fait sienne la chanteuse béninoise Angélique Kidjo, marraine de l’opération, pour qui « les femmes sont la colonne vertébrale de l’Afrique ».
Beaucoup d’éconduits
Au total, la Saison revendique plus de 200 événements répartis sur 81 villes françaises, 450 projets dans les arts, les sciences et l’entrepreneuriat, le tout organisé par 200 opérateurs africains et 183 opérateurs français. Les conditions très strictes de labellisation des différents projets ont parfois été mal perçues, suscitant çà et là un feu nourri de critiques. Fidèle à elle-même, N’Goné Fall ne renie rien de ses choix.
On n’est plus à l’époque des zoos humains »
« Mon assistante me surnommait parfois « Madame Police », raconte-t-elle. Mais les conditions de labellisation étaient claires, nous voulions des projets panafricains, pluridisciplinaires, durables, en lien avec la jeunesse, impliquant des professionnels africains et des institutions françaises. Sans partenaire africain, c’était « Va te coucher! » Il y a eu beaucoup d’éconduits. »
Fière de l’identité visuelle colorée et moderne de la Saison, portée par le photographe chic et branché Omar Victor Diop, N’Goné Fall se félicite d’ores et déjà d’échapper aux clichés, notamment visuels, qui maintiennent souvent le continent dans une vision passéiste ou paternaliste. « On n’est plus à l’époque des zoos humains », clame-t-elle.
Soft-power
Projet voulu par le président Macron, Africa 2020 relève, au même titre que les efforts consentis en matière de restitution des œuvres d’art pillées pendant la colonisation, d’une offensive de charme vis-à-vis du continent. Un « soft-power » puissamment médiatique permettant de faire avaler les nombreuses couleuvres de la « realpolitik ».
« Cette Saison Africa 2020 est faite pour nous étonner et nous émouvoir, nous bousculer et nous transformer, écrit encore Emmanuel Macron. Elle est faite pour qu’ensemble nous écrivions une page nouvelle de l’histoire entre la France et l’Afrique. »
Cet objectif affirmé par le politique ne gagnera en consistance et en réalité que si chacun s’en empare et apprend à écouter, et entendre, autrui. « Il est temps que les gens arrêtent de pleurer pour nous, lance Angélique Kidjo. Les problèmes, on les a, mais les solutions, nous les avons aussi. Les jeunes d’aujourd’hui veulent une autre Afrique ! »
D’ici à juillet 2021, la pandémie aura peut-être raison de quelques projets, quand d’autre seront reportés. Mais le succès de la Saison se mesurera seulement sur le long terme, quand il sera possible de savoir si elle a permis « d’amorcer en France un changement de regard, de comportement et de mentalité ». Pour N’Goné Fall, « c’est plus tard que l’on saura si l’on a pu sauver quelques âmes ! »
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