Tchad : trois patrons en béton
Les châteaux de sable ? Très peu pour eux ! Pour ces bâtisseurs, la réussite, c’est du solide.
Ingénieurs ou hommes d’affaires, ils ont pendant longtemps évolué dans l’ombre de grands groupes étrangers. Désormais, leurs entreprises enchaînent les contrats et les chantiers. La manne financière engrangée depuis le début de la production pétrolière en 2003, le retour à la paix en 2009, le choix de l’État d’investir une bonne partie de ses nouvelles ressources dans le BTP et, parfois, de donner à ces sociétés un coup de pouce dans l’attribution des marchés ont favorisé leur émergence. Résultat, en quelques années, nombre de patrons tchadiens du secteur ont considérablement développé leurs activités dans le pays et, pour certains, à l’étranger. Parmi eux : Abakar Tahir Moussa, Théophile Yombombé et Amir Adoudou Artine.
Abakar Tahir Moussa 52 ans, PDG du groupe Almanna
Il aurait pu être journaliste. Ou se consacrer entièrement à la politique, étant le plus ancien membre du bureau politique national du Mouvement patriotique du salut (MPS, au pouvoir). Mais il préfère les affaires. Après des études en Égypte et un diplôme en communication et droit islamique de l’université saoudienne de Jeddah, Abakar Tahir Moussa a pris la tête d’Almanna, l’un des principaux groupes de BTP du Tchad aujourd’hui. Une entreprise dont il a été l’un des associés, puis le propriétaire, alors qu’il vivait encore en Arabie saoudite.
Je ne veux pas que, demain, on montre des immeubles à mes enfants en disant : « Voici ce que votre père a mal bâti. »
Abakar Tahir Moussa
En 1996, il rentre au pays pour créer un groupe du même nom, actif dans les services pétroliers, le commerce général et, à partir de 2004, la construction. « J’aurais pu rester en Arabie saoudite, mais j’ai décidé de rentrer et de travailler pour la postérité, explique-t-il. Je veux faire en sorte que, demain, on ne montre pas des immeubles à mes enfants en disant : « Voici ce que votre père a mal bâti. » » Ce serait plutôt le contraire : Abakar Tahir Moussa a reçu à Paris l’Oscar du leadership 2013, remis par le Conseil international des manageurs africains.
En dix ans, Almanna BTP s’est rapidement développé, s’attachant les services de spécialistes mondiaux. Parmi ses 150 employés, on compte des ressortissants de sept pays (France, Inde, Italie, Liban, Tunisie, Turquie et Philippines).
Le groupe a notamment été chargé de la construction du siège du Trésor et de la tour de l’Office national de radiodiffusion et télévision du Tchad (ONRTV). Financé par l’État à hauteur de 19 milliards de F CFA (29 millions d’euros), le nouveau siège de l’audiovisuel public, situé dans le 2e arrondissement de la capitale, sera le plus grand bâtiment du pays (70 m de haut, 11 étages). Après la phase d’étude, confiée au cabinet émirati Dar El Amara, Almanna BTP s’est associé à des architectes italiens et tunisiens pour sa construction. Le chantier, ouvert en 2011, devrait être achevé à la fin de 2014.
Théophile Yombombé Madjitoloum 44 ans, directeur général de la Centrale d’ingénierie et d’assistance technique (Ciat)
C’est sans doute l’un des grands patrons les moins connus du secteur. Pourtant, le discret vice-président de l’Assemblée nationale dirige, depuis 2004, l’un des cabinets d’ingénieurs les plus cotés dans l’attribution des marchés relatifs aux projets financés par les principaux partenaires du Tchad, tels que l’Agence française de développement (AFD), la Banque mondiale ou le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).
Né à Bongor, diplômé de l’École nationale d’ingénieurs de Bamako (Mali) et de l’École nationale supérieure polytechnique de Yaoundé (Cameroun), Théophile Yombombé a effectué une partie de sa carrière en tant que chef de projet à la Société tchadienne d’eau et d’électricité (STEE), avant de créer la Centrale d’ingénierie et d’assistance technique (Ciat ingénieurs conseils).
Expert
Le bureau est spécialisé dans la conception de plans d’aménagement urbain (Abéché, Bitkine, Maro…), l’adduction d’eau et les réseaux d’approvisionnement en électricité. Depuis 2008, les ingénieurs de Ciat collaborent avec ceux d’Egis BCEOM International sur la question de l’accès à l’eau dans plusieurs villes du Tchad et, depuis 2010, le bureau travaille comme expert associé, avec WYG International Ltd, sur le projet d’interconnexion électrique entre le Tchad et le Cameroun. Il assure aussi des missions de contrôle et d’évaluation des ouvrages.
L’ingénieur, qui a suivi des formations chez Afnor Compétences et Veritas Certification, a notamment été récompensé par le Trophée international Europe à la qualité 2012, qui lui a été remis à Madrid par le Global Trade Leaders’ Club. Et il compte bien continuer à cultiver cette exigence de qualité au sein de son bureau et à travers les projets qui lui sont confiés, même s’il a aussi des obligations liées à son mandat de député des Monts-de-Lam (Logone oriental, Sud), où il a été élu en 2011 sous la bannière du Rassemblement national des démocrates tchadiens (RNDT-Le réveil). « De toute façon, les fonctions politiques sont passagères, conclut-il, je resterai ingénieur. »
Amir Adoudou Artine 44 ans, président du conseil d’administration de Geyser
Diplômé en sciences économiques de l’Université libre de Belgique, c’est naturellement que ce fils d’industriel a intégré en 1996 l’entreprise de BTP dont son père était actionnaire. Directeur général adjoint de la Société tchadienne de construction hydraulique et d’équipement (Steche) pendant deux ans, il quitte finalement l’entreprise à la suite de malentendus entre les actionnaires et, en 1998, décide de créer Geyser SA, une société spécialisée dans les travaux de forage, le terrassement, l’hydraulique et le BTP.
Le développement du champ pétrolier du bassin de Doba, au début des années 2000, permet à l’entreprise de faire ses preuves et de se développer. Au contact des multinationales, notamment américaines, Geyser gagne en expérience et en réputation pendant cinq ans. Au point d’être retenu par la Société financière internationale (IFC, branche de la Banque mondiale spécialisée dans la promotion du secteur privé), pour bénéficier d’un prêt au développement de 1 million de dollars (734 millions d’euros).
De quoi permettre au jeune patron de renouveler son matériel. Les affaires suivent : le chiffre d’affaires annuel passe de 7 millions à plus de 8 milliards de F CFA (de 10 600 euros à 12,2 millions d’euros) entre 1999 et aujourd’hui. Dernière réalisation, la construction d’une base de vie pour le pétrolier canadien Caracal dans les bassins de Dosséo et Salamat (Sud).
Outre les opérateurs pétroliers et leurs sous-traitants, Geyser compte parmi ses clients l’État tchadien, qui lui a notamment confié l’aménagement d’un site aux portes du désert pour le lancement du recensement de l’élevage. L’opération est une réussite.
Amir Artine, qui a un goût prononcé pour les activités agropastorales (passionné de chevaux, il possède une ferme de 420 hectares à 40 km de N’Djamena), a même été ministre du Développement pastoral et des Productions animales en 2013. Après onze mois au sein du gouvernement, il est retourné à ses chantiers. On l’y aperçoit souvent, vérifiant que tout avance dans les temps et dans les règles, coiffé d’un chapeau de cow-boy… Quand il ne flatte pas l’encolure des chevaux de son écurie, les après-midi, sur la base aérienne de N’Djamena.
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