Paroles de repentis

Quand deux anciens mauvais garçons issus des banlieues françaises, qui se trouvent être l’un et l’autre chanteurs de rap, racontent leur parcours.

Publié le 14 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

« Malgré l’absence de mon père, j’ai quand même grandi/Très cher papa fallait pas quitter le navire… » Ces mots, tirés de l’album Face à face des coeurs et du livre Qu’Allah bénisse la France, du leader des New African Poets (NAP de Strasbourg), Abd al Malik, ont le son d’un coup de burin. L’histoire de quelqu’un qui vient de loin. Né Régis Fayette-Mikane, leur auteur a passé une partie de sa jeunesse en République démocratique du Congo aux côtés de son père journaliste. En 1981, la famille s’installe à Neuhof, une cité de Strasbourg. Avant que, fuyant la misère, le père finisse par s’en aller.
« Endettée, avec cinq enfants sur les bras, maman se mit à boire. Elle devint alcoolique », dit le jeune homme, qui découvre le maniement des armes à l’âge de 14 ans. Inspiré par Tony Montana, héros du film américain Scarface, il vole, braque, vend de la drogue.
Puis, un jour, en quête de paix intérieure, il se convertit à l’islam. Grâce à la chahada, il se remet aux études. À la faculté des lettres de Strasbourg, il découvre Sénèque, Cheikh Anta Diop, Aimé Césaire, Malcolm X et Alex Haley dont il dévore le livre Racines en une journée. En marge des cours, Malik sillonne la France et le monde. Parle aux jeunes de l’islam et rencontre à plusieurs reprises l’islamologue Tariq Ramadan, dont les prêches le subjuguent.
Mordu de rap, Malik intègre le NAP fondé par son frère Bilal. À l’image d’un certain rap américain (Big Daddy Kane, Rakim, Special Ed), sa musique s’inspire des textes du Coran. « On a pris le rap pour nous évader d’la prison d’l’existence des pauvres immigrés », clame-t-il dans « La Fin du monde ». Mais, dans les cités, l’islam fait souvent l’objet de récupération. En 1995, des « prêcheurs d’Allah » désireux de venger Khaled Kelkal, jeune Lyonnais accusé d’avoir perpétré l’attentat à la bombe du RER de Port-Royal à Paris, sollicitent Malik et ses amis. Refus catégorique de l’artiste opposé à toute violence. Le divorce.
À 29 ans, Abd al Malik, devenu soufi, s’est éloigné des chapelles extrémistes, gère sa carrière artistique avec sa famille reconstituée, s’est marié à la chanteuse d’origine marocaine Wallen.
Il n’en est pas de même pour cet autre jeune dont on ne connaît l’identité que sous l’appellation du Salaud. Les premières lignes de son récit, que les journalistes Audrey Diwan et Fatou Biramah ont recueilli, font froid dans le dos : « Je suis un salaud. Un bâtard, un vicieux. Je sais ce que je fais, mais je ne suis pas sûr de savoir qui je suis. »
Né au Mali, il retrouve ses parents à Barbès après la mort de son grand-père. Il a 5 ans. Les revenus du père couturier ne suffisent pas à entretenir la fratrie de sept enfants. Il vole pour subvenir à leurs besoins. À 10 ans, il commence à vendre de la drogue. Viole et séquestre des filles dans des caves. Braque des magasins.
À Barbès, il se fait une place parmi les dealers du quartier de la Goutte-d’Or. Avec la dope, il gagne jusqu’à 40 000 francs par jour. Sa petite amie Mathilde, fille de diplomates et élève avocate, l’aide à franchir les frontières. Un jour, à la suite d’un banal contrôle d’identité, il est battu, menotté et conduit à Roissy où l’on tente de l’expulser vers le Mali. Un avocat dénonce un vice de forme. Mais le Salaud finira par « tomber » à 16 ans : six mois de prison, pour vols et agressions diverses.
Libéré, il s’achète une identité belge. Se lance dans la musique sans arrêter son « activité », et griffonne des textes « dans un putain de flow ». Avec deux potes, William et Rudy, il monte un groupe… la Narko Mafia. Ils se feront un public avec un morceau bien à leur image : « Je trace un trait, guette sa rotation/Un refuge spirituel, putain de paradis artificiel. »
À Antarès, une boîte de nuit de Meaux, sa bande en affronte une autre venue d’Ivry. Le Salaud reçoit une balle dans l’épaule. Il se fera prendre plus tard chez une copine. Au tribunal, il est trahi par ses empreintes. Il écope de quatre années ferme. Il a 17 ans.
« Nous n’avons pas écrit ces confessions pour faire l’apologie de ce genre de vie, soulignent les auteurs. Mais pour dénoncer un système carcéral qui ne donne pas d’issues de reconversion. C’est le cas pour ce Salaud. »

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