Nino Manfredi
Le comédien italien est mort le 4 juin à Rome à l’âge de 83 ans.
Après cinquante-cinq ans de carrière et 110 films, le plus drôle, le plus farcesque, le plus sardonique des vrais-faux méchants du cinéma italien a commis, à Rome, sa facétie la plus sombre ce vendredi 4 juin 2004 quand, dans sa quatre-vingt-troisième année, il a cessé de mettre des baffes à la vie.
À force d’incarner « le petit bonhomme italien sympathique, pas très intelligent, mais astucieux […], celui qui est né pour être victime mais qui ne le devient pas grâce à sa richesse intérieure », comme le disait de lui Ettore Scola, Manfredi, en forçant ce trait, a placé l’Italie dans une position d’introspection aussi extravagante que bouleversante, dans une gigantesque hilarité noire et inquiète qui l’a secouée (de rire) d’une côte à l’autre.
Né en 1921 près de Rome, Saturnino Manfredi, après s’être fourvoyé dans des études de droit pour faire plaisir à son papa et à sa mamma, se rode dans le répertoire classique, du Pirandello, du Shakespeare, sur les planches du Piccolo Teatro de Milan. Il travaille son comique à la radio dans des sketches en argot romain, sans hésiter à chanter en napolitain dans ses premiers rôles au cinéma. Quittant le Piccolo Teatro dans lequel « on ne pouvait pas rigoler », il se destine au cinéma et aux spectacles de variété où il explose dans des classiques de la farce italienne et des « décapages » de l’actualité politique. Il double quelques acteurs français avec un goût particulier pour Gérard Philipe.
Compagnon de délire d’autres comiques de génie, Toto, Ugo Tognazzi, Vittorio Gassman, Alberto Sordi, Manfredi tourne avec une jubilation satirique des rôles qui montrent des doubles vies entre quotidien médiocre et rêves mégalomaniaques. Comencini, Risi, Zampa, Berlanga, Ettore Scola s’emparent du génie du petit homme. Voleur pathétique dans À cheval sur le tigre, employé aliéné dans Le Bourreau, gangster fantaisiste dans Opération San Gennaro, monstre du sexe dans Une poule, un train… et quelques monstres, aventurier africain dans Nos héros réussiront-ils… (l’un des premiers Scola), Nino compose de pures merveilles d’humour noir aux frontières du tragique.
Il façonne un genre rapidement populaire en Italie, qui l’exportera sous le label « comédie italienne », sorte de hachage menu des périodes sombres et des stéréotypes italiens baignés dans la soude par d’attendrissants et minables don Juan aux coeurs mollets enlevant de brunissimes amazones sur les selles improbables de Vespa « empruntées ».
Nino passe de l’autre côté de la caméra dans Miracle à l’italienne (1970), une sévère satire anticléricale. Comme plus tard dans Nu de femme (1981), il creuse son personnage d’Italien effronté, un peu lâche et fanfaron, prêt à tout. Il analyse ses rapports ambivalents avec la religion et le sexe, en bon obsessionnel qui explore avec ferveur ses inhibitions les plus tripales. La popularité de Manfredi devient telle que l’on peut s’interroger sur le masochisme hilaro-flagellatoire du regard que l’Italie porte sur elle-même à cette époque troublée.
Manfredi avait conquis le coeur des Italiens en incarnant un bouleversant Geppetto à la télévision (Les Aventures de Pinocchio) mais il excellera dans le registre de l’humour abrasif, truculent et sans concession.
En 1975, Mes chers amis, film culte, plonge aux confins de la comédie jouissive et désespérée. « Nous sommes convalescents, nous récupérons lentement d’une longue maladie qui s’appelle jeunesse », cette phrase que partagent les « amis » s’éclaire l’année suivante avec Affreux, sale et méchant, satire décomplexée de l’Italie qui décrit un univers sans foi ni loi, dont empoignades sauvages, ruts illégitimes et pulsions sans retenues constituent le standard.
« … Il était capable d’alterner son travail d’acteur avec celui de réalisateur et de scénariste, pour décrire l’évolution de la société italienne avec l’ironie et la sagesse de la classe ouvrière », a souligné dimanche le président italien Carlo Azeglio Ciampi. « Manfredi nous a bien fait rire, voilà ce qui compte », disait Nino de lui-même.
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