Liaisons dangereuses pour la Belgolaise

Rude coup pour l’image de la banque belge. Elle aurait couvert des opérations de blanchiment d’argent alimentant la guerre dans l’ex-Zaïre.

Publié le 14 juin 2004 Lecture : 5 minutes.

Kidnapping, ventes d’armes et trafic de diamants sur fond de blanchiment d’argent… L’histoire, digne d’un scénario de série noire, tient en haleine le petit monde bruxellois des affaires. Et commence à susciter une certaine gêne au sein de la Belgolaise. Filiale du groupe Fortis, spécialisée dans les transactions financières avec l’Afrique, cette banque belge fait l’objet, depuis le 3 juin, d’une publicité dont elle se serait bien passée. Le président de son conseil d’administration, Marc-Yves Blanpain, le président de son comité de direction, Daniel Cuylits, ainsi que deux autres cadres du groupe ont été inculpés par le juge Michel Claise pour blanchiment d’argent. Simultanément, le magistrat bruxellois a lancé un mandat d’arrêt international contre le Congolais Jean-Charles Okoto Lolakombe, ex-président de la Société minière de Bakwanga (Miba), la principale société d’exploitation du diamant en République démocratique du Congo (RDC).
La procédure fait suite à une enquête menée depuis le mois janvier 2003 par le parquet de Bruxelles sur la base d’une dénonciation de la Cellule de traitement des informations financières (CTIF), chargée de traquer les flux financiers illicites. Elle s’intéresse de près à certains mouvements de capitaux qui auraient été effectués au détriment de la Miba via la Belgique. Les montants détournés s’élèveraient à quelque 80 millions de dollars au 2 novembre 2002, date du limogeage d’Okoto. Ce pactole aurait été déposé, au moins partiellement, sur un compte domicilié à la Belgolaise. Un quart de la somme – environ 20 millions de dollars – aurait ensuite été transféré en République tchèque et en Ukraine. La justice belge estime que les fonds détournés au préjudice de la Miba ont pu être utilisés pour régler des achats d’armement auprès de sociétés tchèques et ukrainiennes. Et ce en totale violation de l’embargo décrété par les Nations unies.
Alors que la police fédérale et la Sûreté belge menaient conjointement l’enquête sur ces opérations de blanchiment, un fait « presque divers » est venu relancer les investigations autour de Jean-Charles Okoto. Le 2 avril dernier, un cadre de la Miba est enlevé à Bruxelles. Ses ravisseurs, qui l’ont séquestré durant quelques heures, l’auraient malmené pour obtenir des informations relatives à l’enquête sur la Miba. Le 2 juin, deux hommes soupçonnés d’avoir participé à cet enlèvement sont interpellés et interrogés par la police. Tous deux sont membres d’une bande bruxelloise ultraviolente dénommée « Black Demolition », qui regroupe des jeunes originaires d’Afrique subsaharienne. Les deux prévenus ont rapidement reconnu les faits, ajoutant même avoir agi sur ordre de Jean-Charles Okoto. Lequel serait d’ailleurs coutumier de ce genre de méthodes. D’après le quotidien Le Soir, le vicomte Étienne Davignon a lui-même failli être kidnappé il y a plus de deux ans par la bande aujourd’hui inquiétée par la justice. Administrateur du groupe Suez, cet homme d’affaires fut jadis président du conseil d’administration de la Société générale de Belgique, qui détenait des parts dans le capital de la Miba. Suspecté par Okoto d’avoir provoqué sa disgrâce, Davignon aurait dû être victime d’un règlement de comptes. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le magistrat instructeur de « l’affaire Okoto » a bénéficié dès le 3 juin d’une protection rapprochée.
De Kinshasa à Bruxelles, personne ne semble surpris d’apprendre que les gemmes commercialisées par la Miba ont alimenté des trafics orchestrés par des officiels congolais. Selon les statistiques du Haut Conseil mondial de diamant (HCMD) basé à Anvers, la RD Congo a enregistré depuis 1998 une évasion de capitaux évaluée à 800 millions d’euros par an provenant de l’exportation frauduleuse des diamants extraits de son sol. Mais la mise en cause de la Belgolaise dans ces transactions donne une tout autre dimension à l’affaire.
Bien évidemment, la direction de la banque « conteste l’ensemble des griefs qui lui sont adressés », tout en précisant qu’elle n’est « ni informée ni concernée par la masse des faits cités par la presse ». Tenue à une « obligation de connaissance des opérations de ses clients », la banque est censée signaler les transactions douteuses à la CTIF. Et dans son rapport d’activité 2003, la Belgolaise rappelle justement que « dans le cadre de la lutte pour la prévention du blanchiment d’argent, un accent particulier est mis sur la sélection des clients et sur la surveillance de l’origine et de la destination des transferts de fonds ».
Au sein du groupe Fortis, on évite les commentaires susceptibles de mécontenter les magistrats en charge du dossier. Mais, dans la profession, on a du mal à admettre les soupçons du juge Claise. « La Belgolaise sait pertinemment que les transactions sur les armes sont totalement prohibées, explique le représentant d’une banque européenne en Afrique centrale. Et je ne vois pas pourquoi l’un de ses clients ferait transiter des fonds louches par son intermédiaire, alors qu’il est beaucoup moins risqué de passer par la Suisse ou le Liechtenstein. »
Cette mise en cause est d’autant plus surprenante que les firmes citées dans les rapports d’enquête publiés par l’ONU sur le pillage des ressources naturelles du Congo durant la guerre sont devenues très attentives à leurs activités en zone de conflits. Dans un précédent rapport, pas moins de quatre-vingt-cinq sociétés ont été incriminées, dont plusieurs groupes miniers comme Forrest, Umicore, Anglo-American et De Beers ; mais aussi des banques comme BBL, Barclays et Belgolaise. « Soupçonnées d’avoir violé les normes du code de bonne conduite de l’OCDE dans leurs affaires en RDC, ces sociétés n’ont souvent eu pour seul tort d’avoir tenté de mener des affaires dans un chaos juridique principalement imputable au régime en place à Kinshasa », explique les experts de Nord Sud Export, publication spécialisée dans l’analyse des risques sur les marchés émergents. « Et même si aucune sanction financière n’a été prise à leur encontre, elles ont subi un grave dommage en matière d’image. »
Après quatre-vingt-quinze années d’activité au sud du Sahara, la Belgolaise est une vieille dame qui a pu avoir, par le passé, des relations parfois incestueuses avec certains régimes africains. Mais la filiale de Fortis est aussi l’un des rares établissements à continuer d’investir dans des pays à risque, comme l’ex-Zaïre ou la Côte d’Ivoire. Avec plus ou moins de succès. Le résultat net de la Belgolaise pour l’exercice 2003 a certes atteint 8,1 millions d’euros. Mais la banque a connu un sérieux revers à Abidjan, où sa filiale, la Banque internationale pour l’Afrique occidentale (BIAO), a essuyé une perte de 4,5 millions d’euros. Aussi le staff de la Belgolaise ressent-il avec une certaine amertume l’inculpation de son président.

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