Les Maghrébins sont-ils racistes ?
Personne n’est épargné par la xénophobie et le racisme. Et les Africains du Nord pas plus que les autres : les Subsahariens en savent quelque chose. Pour mieux combattre ce phénomène trop souvent occulté, J.A.I. a choisi d’ouvrir le débat. Première partie
C’est incontestablement un sujet tabou. L’un de ceux que les Maghrébins, d’où qu’ils soient, se refusent en général à regarder en face. Alors qu’eux-mêmes sont fréquemment victimes d’attitudes, de jugements et d’actes discriminatoires dès qu’ils traversent la Méditerranée (ou l’Atlantique) pour se rendre au coeur du monde riche (et blanc), qu’ils montrent une sensibilité d’écorchés vifs quand leurs frères de Palestine ou d’Irak subissent le fardeau de l’occupation et de l’injustice, les voici qui reproduisent chez eux les réflexes d’humiliation et de racisme. Le plus choquant a priori – et le plus significatif – est que les cibles privilégiées, si ce n’est uniques, de ces comportements banalisés au point que nul, au sein des classes dirigeantes et des sociétés civiles des pays maghrébins, ne semble en avoir pris conscience, sont des ressortissants d’Afrique subsaharienne. Or, qu’ils le veuillent ou non, le Sahara n’étant qu’un océan de sable, les Maghrébins sont des Africains. Leur appartenance à ce continent est historiquement et humainement sans commune mesure avec les affinités culturelles – réelles, mais finalement peu réciproques – qu’ils ressentent à l’égard du monde arabe. Voire, chimère récente, pour une Europe qui les maintiendra toujours aux lisières de son espace politique et économique.
Racisme de pauvres, racisme de classe, racisme des forces de l’ordre renforcé par le phénomène récent d’une immigration sauvage de transit vers l’eldorado européen, le racisme maghrébin à l’encontre des Subsahariens a, au fond, les mêmes racines que partout ailleurs. Mais il est ici à la fois nié, y compris, le plus souvent, par les élites intellectuelles, et exceptionnellement sanctionné. Or, pour tous ceux qui le vivent au quotidien – étudiants, manoeuvres, employés domestiques ou cadres -, ce racisme est une réalité. D’où l’enquête, essentiellement fondée sur des témoignages de première main, que nous avons décidé de publier à partir de cette livraison de J.A.I., afin de contribuer à une prise de conscience salutaire. Il n’y a certes aucune raison pour que les Maghrébins soient vaccinés contre le virus du racisme – pas plus d’ailleurs que les Subsahariens -, mais encore faut-il le reconnaître pour mieux le combattre.
Nous commençons ce voyage au coeur de l’une des faces cachées du Maghreb par le Maroc, alors que Mohammed VI entreprendra justement, à la fin du mois, une « tournée africaine », de Bamako à Libreville. Zoubeïrou Maïga, l’auteur de l’enquête-témoignage que vous allez lire, est un cadre de 39 ans originaire du Mali. Il réside dans le royaume depuis plus de quinze ans. Il y a travaillé dans le journalisme et la communication avant d’occuper le poste d’attaché de presse dans une agence de relations publiques, à Rabat. Il connaît donc bien ce pays pour lequel il éprouve un réel attachement, mais il en connaît aussi, mille fois mieux que le reporter pressé, le coopérant de passage ou le diplomate privilégié, les tares et les capacités d’exclusion. S’il n’aborde pas ici le cas des « Marocains noirs », qui relèvent d’un parcours historique et culturel spécifique, nombre de ces derniers se retrouveront dans les mots, les attitudes, et les gestes familiers qu’il décrit. Voici donc, en attendant les suites algérienne, tunisienne, libyenne, etc. de cette série, la tranche de vie marocaine d’un émigré malien.
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