« Entre fauves » de Colin Niel, une traque haletante entre la Namibie et les Pyrénées françaises
« Entre fauves », le dernier roman de Colin Niel, met face à face nos pulsions de prédateurs et l’instinct de survie des animaux dans un polar haletant.
Qui sont les bêtes ? Les chasseurs ou les animaux traqués ? Les grands félins ou les faibles bipèdes dépourvus de griffes ? Avec Entre fauves, l’écrivain français Colin Niel (Seules les bêtes, Obia, Ce qui reste en forêt…) tisse une intrigue haletante où les personnages principaux ne sont pas seulement des hommes. Outre Martin, le garde du parc national des Pyrénées, Appoline la chasseuse et Kondjima, le Himba fou d’amour, il y a parmi les protagonistes de ce roman deux formidables prédateurs, le vieux lion solitaire de Namibie, Charles, et le jeune ours tout aussi solitaire des Pyrénées, Cannellito.
Entre l’Afrique et la France, en démiurge diabolique, Colin Niel organise la rencontre cruelle de tous ces personnages. Martin, obsédé par la disparition de l’ours Cannellito, fait partie d’un réseau anti-chasse qui traque et expose à la vindicte populaire tous ceux qui se vantent de leurs exploits de tueurs en posant par exemple à côté d’un éléphant abattu d’une balle de gros calibre.
Appoline, jeune prodige du tir à l’arc, fille d’un parvenu scotché à son Iphone, s’apprête à réaliser le rêve de sa mère : papa lui a offert un séjour de chasse en Namibie au cours duquel elle pourra décocher l’une de ses flèches mortelles dans le cœur d’un lion. Kondjima, quant à lui, n’a rien pu faire pour protéger le troupeau familial du lion Charles et sa condition de pauvre lui interdit de prétendre à la main de Karieterwa, la sublime Himba qu’il rejoint chaque soir en cachette pour faire l’amour.
Le sort d’un vieux félin
« L’heure était venue de faire face aux hommes, leurs silhouettes de bipèdes dressées dans le crépuscule comme des arbres en mouvement, si proches de lui à présent, à peine trois foulées pour les atteindre, et leurs odeur sans pareille, sueur amère et terre lointaine, et leurs cris indéchiffrables, et leurs peaux couvertes d’autres peaux qui n’étaient pas les leurs… » Si le roman commence avec une longue et superbe phrase consacrée au lion Charles, ce n’est pas un hasard : c’est autour de ce vieux félin que tout se noue.
Jugé dangereux en raison de ses attaques répétées contre les troupeaux, son sort se joue lors d’une réunion entre les autorités namibiennes et les communautés locales. Et dans un monde où le capitalisme règne en maître, le faire abattre par un riche occidental qui rêve d’accrocher un trophée au-dessus de sa cheminée, c’est ce qui rapporte le plus d’argent.
Colin Niel déjoue les pièges du genre, ses personnages sont bourrés de contradictions.
« – La nouvelle est tombée hier après-midi, expliqua mon ami entre deux lampées d’alcool. Après la réunion de l’autre jour, et toutes les plaintes des éleveurs, le ministre a finalement accepté de déclarer ce lion animal problématique.
– Ça veut dire quoi ? Qu’ils vont l’abattre ?
– Pas eux, non. C’est un chasseur professionnel qui va s’en occuper, mon patron en l’occurrence. C’est pour ça que j’ai eu l’info avant tout le monde, tu vois. Il est déjà en train d’écrire à tous ses clients américains, et d’activer ses contacts pour voir qui ça pourrait intéresser. Ça va aller très vite. Comme ça, le problème est réglé. »
En réalité, le problème n’est pas réglé du tout car, pour convaincre le père de Karieterwa et pouvoir épouser sa belle, Kondjima n’envisage qu’une seule solution, tuer ce lion « problématique » et devenir un héros dans son village… Et quand il apprend que c’est une jeune française armée d’un arc qui va s’en charger, son horizon s’obscurcit…
Et Martin dans tout ça ? Obsédé par la disparition de l’ours Cannellito, en rage contre les chasseurs, le jeune gardien fait une fixation sur la photo d’une jeune femme pausant à côté d’un lion mort qui circule sur Internet…
Instincts de prédateurs
Ainsi brossée, l’intrigue pourrait presque paraître cousue de fil blanc, opposant des personnages archétypaux dans des décors stéréotypés. Avec une écriture malléable, tantôt sèchement efficace, tantôt richement poétique, Colin Niel déjoue les pièges du genre. Ses personnages sont bourrés de contradictions, le sympathique gardien de parc ne l’est pas tant que ça, la fille de riche passionnée de chasse n’est pas non plus l’horrible tueuse que l’on pourrait imaginer, et Kondjima ne rentre pas dans le schéma caricatural du Himba idéalisé et drapé dans ses traditions séculaires.
Ce roman nous place face à des pulsions que nous n’acceptons pas toujours de regarder en face.
Et si l’auteur verse dans l’anthropomorphisme pour décrire les pensées de l’ours Cannellito ou du lion Charles, c’est l’occasion pour lui de donner à sentir à travers les mots la puissance de l’instinct et le désir de vie. Rien de gratuit dans ces passages charnels et poétiques : ils permettent de percevoir jusqu’au creux du corps ce qu’il reste en nous d’animal, de nos instincts de prédateurs à nos comportements de proies.
Éloge sensible de la nature, que ce soit celle de la Namibie ou celle des montagnes françaises, Entre fauves brouille élégamment les cartes de nos certitudes et nous place face à des pulsions que nous n’acceptons pas toujours de regarder en face.
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