Le passé revisité

Reconstruire sans détruire : les urbanistes tentent de faire cohabiter la ville nouvelle avec les vestiges de l’ère coloniale.

Publié le 14 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Comment reconstruire Douala sans détruire son patrimoine ? Comment éviter que les bulldozers qui se déchaînent en différents quartiers de la ville ne rasent en même temps son histoire ? Certes, la capitale économique du Cameroun ne regorge pas de bijoux architecturaux, mais les quelques belles demeures et monuments dont on devine encore le faste passé méritent d’être préservés, voire rénovés.
C’est du moins l’avis de Maryline Douala Bell, la fondatrice de la galerie Doual’art, et de son amie, l’urbaniste Danièle Moudékè. Ensemble, elles réfléchissent à la manière de mettre en valeur les beautés de leur ville. À commencer par le bâtiment qui jouxte Doual’art. La « Pagode », où cohabitent aujourd’hui un cabinet médical, un café et une agence de voyages, a été construite à la fin du XIXe siècle par les Allemands pour accueillir la famille du roi Bell – un ancêtre de Maryline. Située sur la place du Gouvernement, au centre de Bonanjo, « le coeur historique de la ville », explique Danièle Moudékè, cette ancienne maison royale faite de bois et de briques a subi les outrages du temps et de la pollution.
Qu’à cela ne tienne ! Début mai, les deux femmes ont sollicité l’aide de l’Unesco pour financer leur projet de réhabilitation. « J’envisage de redonner à la façade son allure d’antan, en reconstruisant par exemple sa véranda circulaire, une tradition architecturale qui permettait de ventiler le bâtiment. Je souhaiterais aussi que l’on puisse de nouveau accéder au promontoire, sorte de clocher qui domine la ville », ajoute l’architecte. Mais il ne s’agit pas de transformer la Pagode en un lieu de conservation, juste beau à regarder. Il continuera à être un lieu de vie, avec des boutiques, pourquoi pas « un espace d’exposition qui rappellerait l’histoire de la ville », imagine encore Danièle Moudékè. Après ce projet, pourquoi ne pas refaire une beauté à l’ancienne poste, à la Chambre de commerce bâtie entre les deux guerres mondiales ou encore au vieil hôpital, héritage des Allemands, où les arcades s’entremêlent aux passerelles ? Un ravalement de façade, au propre et au figuré, qui éviterait à ces monuments de connaître le même sort que l’ancienne gare, tombée en décrépitude jusqu’à être détruite il y a quelques mois.
Dans les bureaux de la communauté urbaine, on ne voit pas les choses de la même manière : « Les bâtiments coloniaux ne sont pas fonctionnels », ou encore « ils prennent trop de place avec leurs grands jardins alors que le marché de l’immobilier est saturé », estiment certains. Mais la préservation du patrimoine n’est pas incompatible avec les ambitions que le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine nourrit pour sa ville. Édouard Etondé Ekoto imagine plutôt une ville nouvelle, un quartier entier sorti de nulle part et ne faisant donc pas d’ombre aux vestiges du passé. Ce rêve a pris forme sous le crayon de Francis Herouart, urbaniste installé à Douala depuis vingt-trois ans. Dans son bureau où s’amoncellent les maquettes et les plans, ce Français de 69 ans présente fiévreusement son projet. Le futur quartier de Sawa Beach sera situé sur une langue de terre de huit kilomètres de long et sera desservi par un réseau de canaux, « comme à Venise », sourit-il. Le long du canal principal seront érigés des bâtiments de services collectifs de trois étages, avec, au centre-ville, des hôtels de luxe, un palais des congrès, des boutiques, un supermarché, etc. Des logements individuels et collectifs sont également prévus, agrémentés d’espaces verts. Et un parc de loisirs sera ouvert à tous les habitants de Douala. À l’extrémité opposée du centre-ville, sur une petite île, seront bâtis des équipements sportifs, dont une piscine olympique. Sawa Beach disposera par ailleurs de marinas, afin que Douala se tourne de nouveau vers l’eau.
Coût du projet : entre 300 milliards et 350 milliards de F CFA (460 000 euros au minimum). Une fois qu’il sera accepté, il faudra environ dix ans pour que Sawa Beach sorte de terre, ou plutôt de la mangrove, qu’il faudra remblayer. Reste à trouver le financement… L’urbaniste explique avoir divisé le quartier en trente secteurs pour attirer plus facilement les investisseurs. Un groupe sud-africain serait intéressé.

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