Le contraire de ce qu’il faudrait faire

Publié le 14 juin 2004 Lecture : 5 minutes.

J’en suis persuadé : vous devez être, pour la plupart d’entre vous, saturés d’Irak tant vous avez entendu parler, depuis plus d’un an, des combats dont ce pays a été et continue d’être le théâtre.
Nous-mêmes, analystes et commentateurs, en sommes las : il est temps, estimons-nous, de porter notre intérêt sur d’autres questions d’actualité que nous avons pu négliger au cours des derniers mois.
Mais je ne voudrais pas quitter l’Irak sans vous donner, en conclusion de tout ce que j’ai écrit sur le sujet, ma réponse à la « mère des questions », comme dirait Saddam : les Américains ont-ils, en Irak, et comme vous l’ont dit tous les observateurs, y compris nous-mêmes, gagné la guerre et perdu la paix dès lors qu’ils se sont comportés comme des occupants – et des geôliers – et n’ont pas su conquérir les coeurs des Irakiens ?
C’est loin d’être sûr.

Ils ont beaucoup de cartes en main et il leur arrive de bien les utiliser, comme ils viennent de le faire à l’ONU. Ils ont tant de moyens et en ont investi tellement qu’on ne peut pas dire, aujourd’hui, qu’ils ne pourront pas, dans les prochains mois, remonter la pente et recouvrer tout ou partie de ce qu’ils ont perdu. Vous observerez comme moi que le nouveau pouvoir irakien, qui est assez bien accepté (en Irak comme à l’extérieur), est composé d’hommes (et de femmes) nationalistes, mais qui doivent beaucoup aux États-Unis et sur lesquels ces derniers ont barre.
Vous observerez également que le président des États-Unis lui-même se bat pour que les créanciers de l’Irak renoncent à réclamer leur dû. Le ferait-il s’il ne pensait que, d’une certaine manière, l’Irak est sa chose ?

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Alors, le destin hésite, comme je l’ai écrit ici la semaine dernière. Et ce n’est que dans quelques mois, et plus précisément au début de 2005, qu’on pourra dire s’ils ont échoué ou réussi leur coup : si, en 2005, comme cela est encore possible, l’Irak est gouverné par des gens qu’ils contrôlent et sur lesquels ils ont une large influence, s’ils ont transformé le pays de Saddam en nation, sinon amie des États-Unis, du moins située dans son orbite, ils auront payé le prix fort – ils peuvent se le permettre – mais finalement réussi leur affaire et gagné leur pari.

Je voudrais vous parler maintenant de ce que valent les promesses du G8 à l’Afrique – pas grand-chose – et, la semaine prochaine, d’un sujet plus important : le lien entre démocratie et pauvreté avec pour exemple – vivifiant – à suivre et à méditer celui de l’Asie.

Réunis aux États-Unis les 9 et 10 juin, les dirigeants de huit grands pays, autoproclamés maîtres des affaires mondiales, nous ont donné l’image d’hommes politiques d’envergure moyenne, portés par aucun souffle, mus par aucune vision, mais contents d’être là et de faire semblant d’organiser ce qui leur échappe.
Ils ont parlé de l’Afrique et des principaux problèmes de ce malheureux continent : guerres civiles, stagnation économique, pauvreté, analphabétisme, grandes maladies, dont le sida et le paludisme.
Ils ont promis de faire quelque chose « parce que c’est leur devoir et leur intérêt ». Ils ont, sachez-le, fait les mêmes promesses lors du sommet précédent et se disent décidés à… s’occuper plus sérieusement encore de l’Afrique et de ses problèmes au… prochain sommet : parole de Tony Blair, qui ne sera peut-être plus là, et qui, en tout cas, refuse de s’engager à augmenter l’aide de son pays à l’Afrique.
À l’exception de la France, qui dit vouloir maintenir ou augmenter son aide, mais ne le pourra pas, les pays du G8 ont « décroché » de l’objectif de 0,7 % du PIB affecté à l’aide au développement qu’ils se sont eux-mêmes assigné il y a plus de… trente ans : ils ne font même plus semblant de vouloir l’atteindre et les chiffres montrent qu’ils s’en éloignent année après année.
Sachons-le : entraînés par Bush, les actuels dirigeants du monde sont englués dans la mauvaise stratégie qui consiste à consacrer de plus en plus de ressources à « la guerre contre le terrorisme » et, par conséquent, de moins en moins à la lutte contre les inégalités, l’injustice et la pauvreté.
C’est exactement l’inverse qu’ils devraient faire s’ils avaient été les hommes d’État visionnaires dont notre monde a besoin.
Lisez ce que dit de cette situation Kevin Watkins, directeur des études de l’organisation non gouvernementale Oxfam(*).

« Le sommet du G8 qui s’est tenu à Sea Island, en Géorgie, avait tous les ingrédients d’une palabre de pays riches totalement coupés du monde réel. […]
« L’Afrique [subsaharienne] figure toujours en bonne place sur l’ordre du jour du G8 et Sea Island aura été le troisième sommet de suite auquel des dirigeants africains ont été invités à ce que le G8 qualifie de « dialogue » – un euphémisme, dans ce contexte, pour désigner de pieuses déclarations et de vaines promesses.
« La nécessité d’une action internationale est pourtant évidente : la moitié de la population de l’Afrique subsaharienne – 300 millions de personnes au total – vit avec moins de 1 dollar par jour. Huit pays seulement, représentant moins de 15 % de cette population, sont en voie d’atteindre l’objectif international d’une réduction de moitié de la pauvreté. Des maladies que l’on peut prévenir ou guérir tuent un enfant sur six. Moins de la moitié de ceux qui en réchappent vont à l’école jusqu’au bout du cycle primaire. […]

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« En termes diplomatiques, on peut dire que le bilan du G8, en ce qui concerne l’aide, est une honte. Aucun de ses membres n’approche l’objectif fixé par l’ONU de consacrer 0,7 % du revenu national à l’assistance au développement. […]
« Il y a deux ans, au sommet du G8 qui a eu lieu à Calgary, au Canada, le président sud-africain Thabo Mbeki a invité les pays riches à lancer un plan Marshall pour l’Afrique. La proposition a été accueillie par un silence assourdissant parce que les gouvernements du G8 considéraient qu’il n’y avait pas l’argent pour financer un tel projet.
« Ils devraient y regarder à deux fois : atteindre les objectifs de développement humain fixés par l’ONU en Afrique coûterait de 20 milliards à 25 milliards de dollars par an en plus de l’aide qui existe déjà. Comparez ce chiffre à la rallonge de 80 milliards de dollars investie par les États-Unis dans la guerre en Irak. La Grande-Bretagne, quant à elle, a trouvé 5 milliards de dollars à consacrer à la guerre contre le terrorisme. C’est environ le triple de l’aide allouée à la guerre contre la pauvreté en Afrique. »
Tout commentaire paraît superflu.

* Oxfam : ONG britannique indépendante et réputée, oeuvrant sur les cinq continents « pour un monde plus sûr ».

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