Le ciel africain sous haute surveillance
Ousmane Issoufou Oubandawaki, directeu r général de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne, se porte candidat à sa propre succession. Interview
La succession du directeur général de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) sera à l’ordre du jour de la Conférence des ministres des Transports des 17 États membres(*), qui se tiendra du 28 juin au 2 juillet à Cotonou. L’actuel directeur général, le Nigérien Ousmane Issoufou Oubandawaki, qui, à 55 ans, achève son premier mandat de six ans, en sollicitera un second. Car, même si le règlement interne de l’Asecna ne prévoit pas la reconduction du directeur sortant, des précédents existent : le Gabonais Paul Malekou a dirigé l’Agence de 1975 à 1983, et le Malgache Maurice Rajaofetra de 1987 à 1999. Deux pays présenteront probablement leur propre candidat. Il s’agit du Tchadien Mahamat Youssouf, directeur des études et des orientations stratégiques de l’Asecna, et de son collègue, l’Ivoirien Claude Gnassou, directeur des affaires administratives et financières. Toutefois, le bilan présenté par Ousmane Issoufou Oubandawaki constitue un atout.
Nommé le 1er janvier 1999, il a mis en oeuvre un plan d’investissement de 173 milliards de F CFA pour la période 2000-2006 : génie civil, télécommunications, sécurité incendie, météorologie, formation… rien n’a été laissé au hasard. Résultat : le 31 mars dernier, l’Association internationale des transporteurs aériens (IATA) a salué le renforcement des conditions de sécurité dans la zone contrôlée par l’Asecna.
Ingénieur diplômé de l’École nationale de l’aviation civile de Toulouse (France), il a également suivi des études en économie des transports aériens à Montréal. Originaire de Nkonni, dans le sud du Niger, il fut camarade de classe, puis ministre de la Défense du président Ibrahim Maïnassara Baré d’août 1996 à novembre 1997. Il hérite ensuite du portefeuille des Transports. Mais ce n’est pas la politique qui a le plus marqué son parcours. Après avoir dirigé Air Niger puis l’Aviation civile de son pays, Oubandawaki est entré en 1985 à l’Asecna, où il a fait l’essentiel de sa carrière.
Jeune Afrique/l’intelligent : Comment l’Asecna ressent-elle les turbulences qui frappent actuellement le transport aérien ?
Ousmane Issoufou Oubandawaki : L’Afrique en général, et la zone Asecna en particulier, n’ont pas été trop affectées par les attentats du 11 septembre 2001. Sur notre zone, nous avons surtout pâti de la disparition de Sabena, de Swissair et d’Air Afrique. Cette dernière contribuait à hauteur de 8 % à notre chiffre d’affaires. Mais la nature a horreur du vide, et d’autres ont pris le relais. En termes de chiffre d’affaires, nous avons retrouvé un niveau équivalent à celui de 2001. Et le trafic connaît actuellement une croissance annuelle moyenne de 5 %.
J.A.I. : La multiplication des compagnies aériennes a-t-elle modifié votre façon de travailler ?
O.I.O. : Bien qu’il s’agisse de transporteurs de taille plus modeste, cette évolution n’a pas eu d’influence majeure sur notre activité. Cela a accru les mouvements aériens avec des modules plus réduits, mais aussi des transporteurs plus flexibles offrant des prestations plus adaptées aux besoins de leur clientèle. De ce point de vue, on observe une nette amélioration de notre situation, car la plupart des compagnies avec lesquelles nous travaillons ont été privatisées : elles sont donc confrontées à des exigences de performance et d’efficacité. Compte tenu de ce nouvel environnement et des mesures que nous avons prises pour assurer les règlements, notre taux de recouvrement est passé de 66 % à 98 %.
J.A.I. : Finalement, la crise du transport aérien aura été bénéfique à l’Asecna…
O.I.O. : En améliorant notre taux de recouvrement, nous avons assaini la situation de notre trésorerie et augmenté notre capacité d’autofinancement. Cela a accru notre crédibilité auprès de nos partenaires : nos performances en matière de recouvrement étaient l’un des critères pour obtenir le soutien des institutions financières internationales. Plusieurs conventions de prêts ont été conclues depuis la fin de l’année 2002 avec les banques africaines de développement (BOAD et BDEAC), l’Agence française de développement (AFD) ou la Banque européenne d’investissements (BEI). Ces concours sont notamment destinés à financer des équipements de surveillance, de navigation, de balisage ou de communication. Tous nos besoins de financement sont désormais couverts.
J.A.I. : L’Asecna a-t-elle dû augmenter le tarif de ses prestations ?
O.I.O. : Le chiffre d’affaires communautaire de l’Asecna est en nette progression. Il devrait atteindre 121 milliards de F CFA en 2004, et ce malgré la hausse très modérée du tarif de nos prestations, contenue à environ 2 % par an en moyenne depuis cinq ans. Les pénalités de retard infligées aux mauvais payeurs ont influé sur nos résultats financiers. C’est assez persuasif.
J.A.I. : Si les résultats financiers s’améliorent, l’espace aérien contrôlé par l’Asecna est-il plus sûr pour autant ?
O.I.O. : En l’espace de cinq ans, notre agence a progressé dans tous les domaines. Les équipements ont été modernisés, le personnel est de plus en plus qualifié, nos finances sont saines et la sécurité aérienne s’est renforcée. À titre d’exemple, le ratio d’air-prox [qui mesure le nombre d’approches dangereuses entre deux appareils en vol et permet d’évaluer les risques de collision, NDLR] enregistrés dans l’espace aérien géré par l’Asecna n’est que de 1,9 pour 100 000 mouvements, ce qui constitue un résultat meilleur que ceux enregistrés dans certains pays d’Europe.
J.A.I. : 140 morts à Cotonou le 25 décembre 2003, 148 morts à Charm el-Cheikh neuf jours plus tard… Les usagers du transport aérien n’ont-ils pas de bonnes raisons d’avoir peur ?
O.I.O. : À chaque fois qu’un accident mortel se produit dans le ciel africain, nous en sommes consternés. Mais cela n’influe pas sur le comportement de nos usagers : le nombre de passagers transportés augmente chaque année. Et contrairement à ce que beaucoup s’imaginent, il n’y a pas plus d’accidents en Afrique que dans d’autres parties du monde, même si certains sont prompts à accuser notre continent de tous les maux. Le renforcement de nos capacités en matière de sécurité est une préoccupation permanente. Au niveau de l’Asecna, l’Autorité africaine et malgache de l’aviation civile (Aamac) a notamment décidé de multiplier les contrôles de navigabilité des avions, les contrôles techniques et les contrôles de licence des équipages.
J.A.I. : Cette multiplication des contrôles en tout genre a un coût exorbitant…
O.I.O. : Les États membres de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) se sont engagés à mettre leurs systèmes de sécurité aérienne aux normes internationales. Les pays africains sont donc appelés à fournir des efforts énormes pour tenir cet engagement dans un domaine où l’essentiel de leur population se sent très peu impliqué. Il faut que les instances aéronautiques internationales se penchent sur la question du financement de cette mise aux normes, en tenant compte des priorités de ces États.
* Bénin, Burkina, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, France, Gabon, Guinée équatoriale, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Togo.
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