L’autre exportation du Nigeria

Outre du pétrole, le géant de l’Afrique de l’Ouest envoie aussi à l’étranger des bataillons de péripatéticiennes. Trente mille, rien qu’en Italie.

Publié le 14 juin 2004 Lecture : 2 minutes.

A chaque époque ses activités illégales. Dans les années 1920-1930, l’alcool constituait la principale source de revenus des organisations criminelles. Aujourd’hui, la prostitution alimente l’un des trafics les plus lucratifs. Celui-ci représente un chiffre d’affaires de 6 milliards à 12 milliards de dollars par an, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Et dans un contexte international toute l’attention est focalisée sur la guerre au terrorisme, les mafias du sexe prospèrent en paix aux quatre coins de la planète.
Les estimations les plus récentes de l’OIM évaluent entre 800 000 et 900 000 le nombre de personnes victimes de ce trafic. En Afrique, le pays qui fournit les plus gros bataillons de prostituées est le Nigeria. Exploitées localement, les Nigérianes sont également « exportées » vers les pays voisins mais aussi en Europe, tout particulièrement en Italie (dans la province de Turin, dans le Nord-Est ainsi que dans la région de Naples). La plupart d’entre elles sont originaires de l’État d’Edo. « À cause de l’incroyable misère », explique Marco Scarpati, avocat italien qui a eu entre les mains de nombreux dossiers concernant des prostituées nigérianes mineures. « Les anthropologues précisent que l’État d’Edo a longtemps constitué une source d’esclaves », poursuit-il.
Comme par une sorte d’acharnement du sort, les habitants de cette région sont aujourd’hui victimes de l’esclavage moderne qu’est l’exploitation sexuelle. Selon les estimations de l’Institut interrégional de recherche des Nations unies sur la criminalité et la justice (Unicri), dont le siège est à Rome, 60 % des péripatéticiennes travaillant en Italie sont nigérianes. L’organisation catholique Caritas indique pour sa part qu’au moins 30 000 ressortissantes du géant de l’Afrique de l’Ouest opéraient en Italie en 2000. La majorité ont entre 20 et 25 ans. La plupart arrivent soit avec des faux papiers, soit avec des visas touristiques qui expirent au bout de quelques mois.
Selon Marco Scarpati, à la différence des Albanaises, les Nigérianes s’installent en Italie avec la complicité de trafiquants en sachant pertinemment qu’elles ne seront pas serveuses dans des restaurants mais qu’elles vendront leur corps. « Leur but n’est pas de se prostituer à vie mais d’épouser un Européen ou d’amasser un pécule qui leur permettra de rentrer au pays et d’ouvrir une boutique », explique l’avocat.
Le hic est qu’elles contractent des dettes monumentales (entre 5 000 et 10 000 dollars) auprès de ceux qui organisent leur voyage vers l’Europe. En outre, pour éviter que les jeunes filles qui souhaitent décrocher ne les dénoncent, les trafiquants les soumettent avant leur départ à une « cérémonie vaudou au cours de laquelle elles jurent d’obéir aveuglément au proxénète et de travailler sans relâche pour rembourser la somme qu’on leur demandera avant de recouvrer leur liberté », rapporte Philippe Boudin, ancien directeur du Comité contre l’esclavage moderne.
Pour endiguer le phénomène, Lagos et Rome ont signé des accords. Les prostituées sont des victimes aux yeux de la loi italienne. Celles qui décident de cesser leur activité peuvent soit obtenir un droit de séjour en Italie soit retourner au Nigeria. Bien entendu, le risque qu’elles retombent à nouveau dans la prostitution n’est pas exclu. C’est pour cela que l’Unicri agit aussi en amont, dans l’État d’Edo, en distribuant des microcrédits. Cette initiative, ô combien louable, semble toutefois bien dérisoire face à l’ampleur de la misère qui pousse des femmes à considérer leur corps comme une vulgaire marchandise.

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