Faux-semblants et vux pieux

Réunis à Sea Island, aux États-Unis, les « maîtres du monde » se sont penchés, entre autres, sur l’avenir de l’Irak, le projet de « Grand Moyen-Orient » cher à Bush et le développement de l’Afrique. Sans grand résultat.

Publié le 14 juin 2004 Lecture : 5 minutes.

Il avait bien commencé, ce sommet. Avec, en poche, la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur l’Irak, adoptée le 7 juin, et une économie mondiale en meilleure santé que
l’an passé, George W. Bush était tout sourires pour accueillir ses homologues à Sea Island, dans l’État de Géorgie. Les huit dirigeants des États les plus industrialisés(*)
se sont réunis en conclave, du 8 au 10 juin, presque à huis clos, comme il est d’usage depuis les affrontements entre militants altermondialistes et forces de l’ordre au sommet de Gênes, en 2001.
Principales pommes de discorde : l’Irak et la « démocratisation » du Moyen-Orient voulue par Bush. Et, malgré leur volonté d’afficher une convergence de points de vue, les hommes les plus puissants de la planète n’ont pas réussi à s’entendre. Il est vrai que les
positions tranchées de Bush et de Jacques Chirac, que le soixantième anniversaire du débarquement en Normandie n’aura rapprochés que le temps des cérémonies commémoratives, ne
les ont pas beaucoup aidés. Retour sur les principaux sujets de litiges. Et sur l’Afrique, seul thème sur lequel se sont rassemblés les Huit.

L’Irak. Le président américain, soutenu par Tony Blair, a souhaité un effacement presque total de la dette irakienne, tandis que la France et la Russie, gros créanciers de l’ancien régime baasiste, soutenues par l’Allemagne, ont estimé qu’une réduction de 50 % suffirait. Bush a également tenté de persuader ses « alliés » européens d’engager les troupes de l’Otan pour aider à restaurer la sécurité en Irak. Gerhard Schröder et Jacques Chirac se sont déclarés réservés sur la question « d’élargir un peu », selon les termes de Bush, les membres de l’Alliance atlantique impliqués militairement en Irak. En revanche, un encadrement technique de l’Otan « pour aider à entraîner » les forces de sécurité irakiennes semble envisageable.

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Le Grand Moyen-Orient. Le 9 juin, les Huit recevaient à leur table les chefs d’État afghan, algérien, bahreïni, irakien, jordanien, yéménite et turc pour mettre sur pied le projet de « Grand Moyen-Orient », déjà ramené à un plus modeste « Moyen Orient élargi à
l’Afrique du Nord ». Un déjeuner où les Européens ont manifesté leurs distances par rapport au plan américain, et où l’absence, entre autres, des dirigeants égyptien, saoudien, tunisien et marocain, pourtant tous « alliés » des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme, s’est fait sentir. Tous se sont félicités du projet israélien de retrait de Gaza, mais les Européens, échaudés depuis la publication du plan de Bush, qui contrarie le processus de Barcelone amorcé en 1995, ont estimé qu’il fallait, d’abord,
revenir à la « feuille de route » pour trouver une solution au conflit israélo-palestinien. Ils ont surtout dénoncé, Chirac encore une fois en tête, ce qui pourrait apparaître comme une « réforme par l’extérieur ». « Les valeurs imposées ne s’assimilent jamais, a déclaré le chef de l’État français. Elles gardent toujours le goût de l’humiliation. Les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord n’ont pas besoin de missionnaires de la démocratie. » Résultat : les documents proposés par Bush sont sortis édulcorés de la réunion du G8. Les chefs d’État ont signé un « partenariat pour le progrès et un avenir commun » ainsi qu’un plan de « soutien aux réformes » aux contours plutôt flous.

L’Afrique. Avant que les Africains (Thabo Mbeki, Olusegun Obasanjo, Abdelaziz Bouteflika, John Kufuor, Yoweri Museveni, Abdoulaye Wade) entrent en scène lors du déjeuner du 10 juin, les membres du G8 avaient déjà signé, dans une unanimité rassurante au vu des déceptions mentionnées ci-dessus, un document pour le développement, en insistant
lourdement sur le rôle du secteur privé. Pour eux, microcrédit, amélioration de l’environnement des affaires et facilitation des transferts d’argent des diasporas vers leurs pays d’origine sont les clés de la réussite. Un point de marqué par le camp américain, puisque la défense des principes de l’économie libérale a été préférée à une augmentation de l’aide au développement (à peine évoquée) ou même à l’idée de taxation
internationale sur les capitaux, présentée par Jacques Chirac, qui a reçu un mauvais accueil de la part de Bush.
Si d’autres sujets, comme le soutien au Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), la corruption, l’insécurité au Soudan et en République démocratique du Congo (RDC) n’ont été qu’effleurés, un plan de lutte contre la famine dans la Corne de
l’Afrique a été signé, avec la promesse d’aider l’Éthiopie à assurer la sécurité alimentaire à cinq millions d’habitants d’ici à 2009.
Sur le sida, les Huit ont lancé l’idée d’un projet de recherche pour un vaccin contre la maladie, fondé sur un partenariat public-privé, mais Jacques Chirac a rappelé que le Fonds mondial pour le sida n’avait que peu avancé et que les fonds devaient être trouvés d’ici à deux ans. Enfin, les Huit se sont promis de financer l’éradication de la polio d’ici à 2005.
Plus concrètement, le G8 s’est engagé à former, d’ici à 2010, 75 000 nouveaux peacekeepers, surtout pour l’Afrique. L’Italie a proposé la création d’un centre de
formation de « police et gendarmes ». Bush va demander 660 millions de dollars au Congrès pour ces opérations. Et la Grande-Bretagne a avancé le chiffre de 12 millions de dollars annuels pour la formation.
Autre décision importante : la prolongation de deux ans de l’Initiative de réduction de la dette pour les Pays pauvres très endettés (PPTE), qui devait se terminer à la fin de 2004. Sur la réduction africaine de la dette, pas d’avancées. Les responsables britanniques sont pourtant optimistes : l’an prochain, au sommet du G8 qui se tiendra à Gleneagles, en Écosse, une solution devrait être trouvée. Tony Blair a en effet annoncé,
depuis la création de la « Commission pour l’Afrique », que « son » G8 serait consacré aux questions de développement et devrait présenter un « plan historique » pour l’Afrique.
En attendant, les Africains auront quand même été entendus sur un point. Les Huit ont assuré leur volonté de relancer les négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), notamment sur la question sensible des subventions agricoles. « Nous demandons à
nos ministres et à tous les membres de l’OMC de fixer définitivement les cadres de négociation d’ici à juillet, peut-on lire dans la déclaration finale. Dans le domaine
de l’agriculture, nous avons une occasion historique d’atteindre nos objectifs afin de corriger et de prévenir les restrictions et les distorsions sur les marchés agricoles mondiaux. » Le G8 a ainsi promis de s’attaquer au problème du coton, trop subventionné dans les pays du Nord. Un grand pas pour les Africains, si cette déclaration d’intention est suivie d’effet d’ici à juillet.

* Allemagne, Canada, États-Unis, France, Royaume-Uni, Italie, Japon, Russie.

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