Douala, ville à vivre…
Carrefour commercial, la capitale économique du Cameroun attire les travailleurs en quête d’emploi. La communauté urbaine souhaite en faire un lieu d’ancrage plus que de passage.
Sur les quelque 9 milliards de dollars de Produit intérieur brut (PIB) du Cameroun, presque 70 % sont générés par les activités domiciliées à Douala. C’est dire que la ville n’a pas usurpé son statut de capitale économique du pays. Tandis que Yaoundé vit au rythme des fonctionnaires et autres diplomates, Douala se calque, elle, sur celui des entrepreneurs.
Depuis la nuit des temps, ou du moins depuis que le premier bateau d’explorateurs portugais accosta à la fin du XVe siècle dans l’estuaire du fleuve Wouri regorgeant de crevettes, Douala est un lieu de commerce et le passage obligé des navigateurs souhaitant s’aventurer à l’intérieur des terres d’Afrique centrale. Au fil des siècles et des invasions – anglaise, allemande et française -, la ville a su peaufiner cette image et tirer de juteux bénéfices de sa situation géographique.
Aujourd’hui encore, le port est le centre névralgique de Douala. Il déborde d’autant plus d’activités que ses principaux concurrents du Congo-Brazzaville, de la République démocratique du Congo et de l’Angola pâtissent encore des effets des guerres civiles qui ont ravagé ces pays.
Le bois, le blé, les fruits et légumes, les véhicules : les dockers ne semblent jamais cesser de charger des conteneurs ou de les décharger avant de les envoyer par train ou par camion vers leur destination finale. L’amélioration des infrastructures de transport – le rail a été privatisé tandis que les axes routiers vers Yaoundé, le Nigeria et le Tchad au Nord, la Centrafrique à l’Est, le Gabon et la Guinée équatoriale au Sud, sont aujourd’hui bitumés – est un des atouts du port autonome de la cité du Wouri. La création d’un guichet unique du commerce extérieur (Guce) en 2000 a permis de réduire considérablement les tracasseries administratives, les délais de sortie des marchandises et les pertes d’argent – à cause des marchandises avariées ou tout simplement du coût de l’immobilisation du cargo. « L’objectif était de réunir sur un même site tous les intervenants du commerce extérieur, comme les douanes, les banques ou encore les services phytosanitaires, afin d’accélérer les entrées et les sorties de produits », explique Isidore Biyiha, le directeur du Guce. La mission est réussie puisqu’un dossier de marchandise est désormais traité en 1,77 jour, alors qu’il fallait il y a quatre ans au moins une semaine pour mener à bien la procédure. En moyenne, entre 300 et 350 dossiers passent quotidiennement au guichet unique.
« Les différents intervenants, dispersés dans la ville, n’avaient pas une bonne visibilité de la « chaîne » dont ils faisaient partie. Aujourd’hui, ils se sentent davantage impliqués dans leur travail », analyse Isidore Biyiha. Les bailleurs de fonds, et principalement l’Union européenne, avaient insisté pour qu’un tel regroupement soit mis en place. Profitant de sa lancée, le Guce entend maintenant poursuivre sa modernisation en instaurant un guichet unique électronique fin 2004. Autrement dit, les dossiers ne circuleront plus physiquement mais sous la forme d’échanges de données informatisées, comme cela se fait déjà à Maurice ou en Tunisie. C’est d’ailleurs une entreprise tunisienne, Tunisie TradeNet, qui est en charge de ce projet depuis novembre 2003. Objectif : réduire encore les délais de transit des marchandises, mais surtout le nombre d’intermédiaires traitant un même dossier, pour accroître la transparence dans les relations entreprises-administrations. « Il s’agit d’un gage supplémentaire de compétitivité », affirme le directeur du Guce.
Et Douala a bel et bien besoin d’exhiber ses atouts pour gagner la confiance de ses partenaires et surtout des investisseurs étrangers. Les analystes estiment que pour sortir de la pauvreté d’ici à 2015 le taux de croissance annuel devrait flirter avec les 7 %, alors qu’il culmine aujourd’hui à 4,2 %. Quatre Camerounais sur dix vivent toujours en dessous du seuil de pauvreté, d’après la Banque mondiale. En 2003, les investissements directs étrangers (IDE) ont atteint 86 millions de dollars pour l’ensemble du pays. Ce qui est encore trop faible quand on sait que la Guinée équatoriale voisine, par exemple, draine 323 millions de dollars au titre des IDE ! La construction de l’oléoduc tchado-camerounais durant ces trois dernières années a stimulé les investissements et la croissance industrielle. Mais, maintenant que le projet est arrivé à terme, il va falloir trouver d’autres mannes financières. Douala parie déjà sur l’exploitation par l’entreprise américaine Geovic des gisements de cobalt et de nickel à Lomié, dans la province de l’Est, dès le début de 2005. La ville se tourne également vers l’Asie, et notamment vers la Chine.
Le délégué du gouvernement à la Communauté urbaine de Douala (CUD), le colonel Édouard Etondé Ekoto, s’y est rendu dernièrement. Il avait été précédé de peu par une délégation d’opérateurs économiques camerounais participant à la foire internationale de Guangzhou en Chine, et d’une visite officielle du président Paul Biya à Pékin le 26 septembre 2003. Des négociations commerciales sont en cours entre les deux pays. Même si, pour l’heure, l’Union européenne et les États-Unis restent les principaux partenaires du Cameroun.
Outre son port, la capitale économique du Cameroun peut se targuer d’avoir un aéroport international. Moins moderne que celui de Yaoundé, il est néanmoins mieux desservi. Air France, SN Brussels, Swiss y font escale plusieurs fois par semaine. En quelques années, il est aussi devenu un véritable hub régional, et un passage quasi obligé pour les voyageurs européens ou américains qui désirent se rendre à Malabo.
Douala puise aussi et surtout sa force dans le vivier de ses petites et moyennes entreprises (PME). Près de 60 % des quelque 124 000 sociétés répertoriées dans le pays sont installées dans cette ville. Une minorité d’entre elles travaillent à l’international.
Plus que les petites industries, Douala a attiré les entreprises du secteur tertiaire. Banques, assurances, hôtellerie, services, nouvelles technologies de l’information et de la communication y ont leurs quartiers, tandis que Yaoundé se réserve les administrations. Plus grande ville du pays avec près de 3 millions d’habitants, Douala constitue aussi un grand marché de consommation. Grâce à l’activité économique, le revenu moyen par habitant est plus élevé que dans le reste du pays (environ 2 600 dollars/an contre 560 dollars/an pour la moyenne nationale). « C’est donc là que l’on sent en premier les frémissements d’une reprise économique ou d’un essoufflement », explique le secrétaire général du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), Martin Abéga.
La situation économique de la ville n’est pas idéale, loin s’en faut. Les obstacles administratifs et logistiques à l’implantation puis à la viabilité d’une entreprise sont encore nombreux. « Nous attendons avec impatience une loi de décentralisation qui pourrait être votée avant l’élection présidentielle d’octobre pour renforcer les dispositifs d’accueil des sociétés », confie un membre de la Communauté urbaine. Dans cette perspective, l’amélioration du réseau électrique et des lignes de téléphone fixe demeure une priorité pour la ville.
Autre obstacle, plus difficile à contourner : la flambée des prix de l’immobilier. Dans le quartier administratif de Bonanjo, le prix du mètre carré de terrain peut atteindre 200 000 F CFA (plus de 300 euros) et il vaut 100 000 F CFA dans la zone commerciale d’Akwa. Cette saturation a inévitablement conduit une partie de la population à s’installer à la périphérie de l’agglomération, ou encore à vivre dans un habitat de plus en plus précaire, phénomène que l’on désigne ici comme une « taudification » de la ville.
À Douala, le partage des richesses est encore très inéquitable et la classe moyenne peine à émerger. D’après de récentes statistiques, seuls 40 % des habitants de la ville sont actifs. Et les jeunes âgés de 18 à 30 ans, qui représentent environ la moitié de la population totale de Douala, sont les plus affectés par le chômage (42,5 %). « Chômage et paupérisation conduisent bien souvent à une situation explosive. Ce sont les sources de la délinquance et de l’insécurité grandissante », admet un agent de la CUD.
Cela dit, le secteur informel emploie nombre de travailleurs. Les commerçants ambulants, les « sauveteurs », sillonnent les rues poussiéreuses de la ville tandis que d’autres se livrent à des petits trafics en tout genre. « Ici, c’est le royaume de la débrouillardise », admet Richard, chauffeur de taxi. Mais, à force de se démener sans l’aide de personne, certains habitants ont aussi l’impression d’être des laissés-pour-compte.
« Faux ! » rétorque-t-on à l’hôtel de ville, en mettant en avant l’Agence de développement de Douala (A2D), créée il y a tout juste un an sous l’impulsion du délégué du gouvernement. « Nous réfléchissons aux moyens à engager pour que les habitants se reconnaissent dans leur ville et pour qu’ils participent à son développement », résume le président de l’A2D, Protais Ayangma. L’Agence assurera la promotion internationale de la ville, en mettant en exergue ses atouts économiques et en créant prochainement « un événement, un rendez-vous annuel », dont le thème reste à définir. L’A2D s’est également donné pour mission principale d’agir au niveau local. Pour ce faire, elle entend s’appuyer sur des comités de développement de quartier. « Ils seront chargés, avec l’aide technique et financière de l’A2D, de gérer les priorités urbaines à leur niveau, telles que la circulation, le ramassage des ordures ménagères, l’environnement… Ils devront également recenser les potentialités de leur quartier, que ce soit en termes humains ou matériels », ajoute Protais Ayangma. Plus généralement, l’Agence envisage de faire de Douala un lieu d’ancrage et non plus un simple lieu de passage. « Pour l’instant, l’intégration des nouveaux habitants n’est que superficielle », regrette-t-il, en se souvenant avec nostalgie du sentiment de fierté identitaire, voire de suffisance, que les premiers citadins de la ville affichaient. Ce qui leur valait respect et admiration de la part des autres Camerounais, « y compris des gens de Yaoundé ». En somme, il convient de faire de Douala une capitale économique à visage humain.
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