Dieudonné plaide le droit à l’humour
Dans son one-man show, l’artiste franco-camerounais – qui ne craint pas les sujets qui fâchent – s’inspire de ses déboires avec la communauté juive.
Mes Excuses, c’est le titre du one-man show que l’humoriste Dieudonné joue au Théâtre de la Main-d’or, dans le 11e arrondissement de Paris, depuis le 2 avril. Au lendemain de son jugement en correctionnelle pour « diffamation raciale », le comique accusé d’antisémitisme fait son mea-culpa sur la scène parisienne. « Pardon aux offenses proférées, je n’ai pas d’âme », dit-il sur un ton faussement contrit aux accents voltairiens. Mais si Dieudonné veut bien « s’excuser », il ne renonce pas à ses chevaux de bataille. « Dès que vous touchez de près ou de loin à Israël, c’est parti pour un tour de grand huit. J’étais devenu l’axe du Mal à moi tout seul », annonce-t-il dès l’entame du spectacle, en rappel à la vive polémique qu’il avait suscitée en présentant à la télévision une caricature provocatrice du gouvernement Sharon.
Les faits remontent au 1er décembre 2003. Dieudonné, alors invité de l’émission de Marc-Olivier Fogiel On ne peut pas plaire à tout le monde, sur France 3, était apparu avec une cagoule, vêtu d’une veste de treillis et coiffé avec les papillotes et le chapeau noir des juifs orthodoxes. « Rejoignez l’axe américano-sioniste », clamait-il avant de conclure son sketch par un « Isra-heil » ponctué par un salut nazi. Un sketch condamné à l’époque par une grande partie de l’opinion publique.
Face à ses détracteurs, le comique, qui a toujours prisé les sujets qui fâchent, revendique son droit à l’humour. Pour lui, le rire est le seul moyen de s’attaquer au malaise social. « Je pense qu’il est du devoir de tout humoriste d’installer le rire là où il n’existe pas, car c’est là qu’on est utile, affirme-t-il. Dans un récent sondage, une majorité d’Européens estimaient qu’Israël était le pays le plus à même de déstabiliser le monde. Ce résultat en fait un sujet de société et par la même occasion un sujet où il y a urgence à installer le rire et l’autodérision. »
Dieudonné n’est pourtant pas le premier comique à se moquer des juifs. Des humoristes comme Pierre Desproges ou Coluche ont tenu des propos audacieux sur eux sans que cela ne provoque de vagues. Peut-être parce que l’humour était plus manifeste dans leurs sketches. Les détracteurs de l’artiste franco-camerounais qui l’accusent d’antisémitisme lui reprochent en effet d’avoir donné l’impression d’adhérer à ses propos.
Le comique refuse de parler de dérapage : « J’ai dit : « Rejoignez l’axe du Bien » en me tournant vers les petits jeunes de banlieue. Cela signifiait en gros : « Pourquoi vous restez dans votre misère ? Au moins vous aurez la possibilité d’avoir accès au confort ! » Moi, j’ai trouvé ça très drôle. Évidemment, c’était ironique ! On me reproche d’avoir été cynique et d’avoir voulu dire que les juifs sont responsables des problèmes que connaît le monde, alors que je n’ai jamais dit ça ! »
Un avis que ne partage pas Richard Serero, secrétaire général de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) qui a porté plainte contre l’artiste. Pour lui, les propos de Dieudonné risquent au contraire d’exacerber les tensions qui existent en banlieue parisienne entre les deux communautés. « On ne doit pas susciter les antagonismes, affirme Serero. Au cours de la semaine du 15 mars, des affrontements ont eu lieu entre la communauté juive et la communauté noire de Sarcelles qui cohabitaient paisiblement depuis des lustres avant que monsieur Dieudonné ne mette le feu aux poudres avec son sketch. Il peut critiquer la politique d’Israël, mais pas tenir de tels propos qui révèlent un antisémitisme primaire. Sous prétexte d’humour, il veut gommer cet aspect des choses, mais il ne dupe personne. »
À la suite de cette émission, le comique avait vu plusieurs de ses spectacles annulés dans cinq villes de province. Et, le 20 février, l’Olympia fermait pour la première fois de son histoire ses portes à un artiste. Officiellement, pour raisons de sécurité. Une série noire qui se poursuivait avec la peine de 10 000 euros d’amende requise contre lui le 2 avril pour « diffamation raciale ». S’il a été relaxé le 27 mai par le tribunal correctionnel de Paris, qui déclare que « le personnage incarné par le prévenu ne représente pas les personnes de confession juive dans leur ensemble, mais une certaine catégorie de personnes uniquement dans l’expression de leurs idées politiques », l’artiste n’en a pas pour autant fini avec la justice. Le 26 mai, c’était au tour du tribunal correctionnel d’Avignon de le condamner à une amende de 5 000 euros pour des « propos racistes » visant les juifs rapportés dans le journal Le Monde au mois de janvier.
Dieudonné, qui s’estime victime d’un lynchage médiatique, accuse la communauté juive de vouloir l’assassiner professionnellement : « Aujourd’hui, il y a des gens dans la communauté juive qui demandent mon interdiction et mon éradication du paysage audiovisuel français. On verra s’ils ont le pouvoir de faire ce que seuls la République, la laïcité et les démocrates sont habilités à faire, c’est-à-dire prendre des décisions en France. »
Dans son one-man show, Dieudonné ne cite personne et fait mine de prononcer d’une voix inaudible les mots « juif » ou « Israël ». Lorsqu’il évoque les institutions juives, il les désigne par « pleurniche internationale ». Mais il livre avant tout une plaidoirie contre toutes les formes de racisme. Il se moque des Noirs, des Blancs, des Jaunes, des chrétiens, des juifs et des musulmans. Si ce spectacle lui a de toute évidence été inspiré par ses déboires, il utilise ces derniers comme tremplin pour rebondir sur son enfance, son adolescence et aborder d’autres sujets. Il ne s’épargne guère non plus et se fustige au propre comme au figuré. L’humoriste commence en effet son spectacle en se faisant flageller par un fouet invisible dont les haut-parleurs de la salle diffusent le cinglant bruitage.
Autoflagellation ou victimisation ? « À partir de maintenant, j’ai décidé de me repositionner et de danser le zouk, comme ça je n’aurai plus d’emmerdes », clame-t-il sur la petite scène du théâtre. On le sent cependant blessé. S’il fait rire le public en lui lançant : « J’ai été identifié comme la branche humoristique d’el-Qaïda et j’ai même hésité à me refaire la gueule », il poursuit : « Ils m’ont prêté ce sobriquet : antisémite. » Ce qui, pour un homme qui des années durant a joué en duo avec le comique juif Elie Semoun, doit être le comble de l’absurdité.
Mes Excuses, de Dieudonné, Théâtre de la Main-d’Or, 15, passage de la Main-d’Or, 75011 Paris. Jusqu’au 12 juillet.
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