Des intérêts bien compris

Attirées par un environnement du travail avantageux, plusieurs entreprises nippones se sont implantées dans l’empire du Milieu. Qui ne demande pas mieux.

Publié le 14 juin 2004 Lecture : 4 minutes.

Adversaires sur le plan militaire hier, souvent en désaccord sur le plan politique aujourd’hui, le Japon et la Chine font contre mauvaise fortune bon coeur et franchissent un nouveau palier dans leurs relations économiques. Longtemps réticentes à investir en Chine en raison du flou législatif entourant le monde des affaires, les entreprises japonaises, depuis l’adhésion de l’empire du Milieu à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, s’implantent chez leur voisin pour profiter des capacités de production à bas prix, ce que l’on appelle en anglais le low cost labor. Les salaires y sont entre vingt et trente fois inférieurs à ceux pratiqués dans l’archipel. En mars 2004, Denso, premier fabricant japonais de pièces détachées automobiles, a ainsi installé un siège à Pékin pour développer ses ventes dans un marché en pleine expansion. Environ 6,5 millions de véhicules devraient être produits sur le sol chinois en 2010.
Le Japon implante également ses activités dans les domaines du papier, des produits chimiques, de l’acier, des équipements de construction ou encore dans l’industrie navale. Les investissements directs étrangers (IDE) japonais en Chine, qui étaient inférieurs à 0,5 milliard de dollars par an dans les années 1980, ont franchi la barre des 5 milliards par an depuis 2001.
Les implantations ou les délocalisations nippones dans le pays le plus peuplé du monde provoqueront-elles, à terme, la disparition du secteur industriel au Japon ? Cela ne semble pas être le cas. Pour le moment, les sociétés nippones ne fabriquent que 17 % de leurs produits à l’étranger, contre 20 % à 25 % pour l’Europe et les États-Unis. En fait, on assiste à une spécialisation de plus en plus poussée des entreprises de l’archipel. Les groupes comme Kenwood, Seiko Epson et Canon considèrent qu’il est plus rentable de fabriquer les produits de haute technologie sur le territoire national. La parade pour rester compétitif consiste à investir dans la recherche, à s’installer sur des marchés de niche, à conserver des secrets techniques et à automatiser la production.
Le maintien des activités en terre nippone présente plusieurs avantages : les ouvriers y sont plus qualifiés que chez le voisin, la population nationale marque sa préférence pour les produits made in Japan, et le process industriel est difficile à copier. De plus, les coûts de main-d’oeuvre ne constituent pas les charges les plus importantes des entreprises opérant dans les secteurs de pointe. Et puis les patrons nippons commencent à douter que l’environnement du travail reste encore très longtemps avantageux en Chine ; le développement du pays se traduira inexorablement par une augmentation du niveau de vie, des salaires, des charges sociales…
Du côté de Pékin, on considère que les implantations japonaises permettent de créer des emplois et, surtout, d’acquérir une nouvelle maîtrise technologique. Ce qui permet aux entreprises chinoises de se positionner sur les mêmes marchés que les grands groupes étrangers. À l’export, près de 20 % des produits japonais subissent dorénavant la concurrence de ceux de l’empire du Milieu, au lieu de 3 % en 1990, ce qui fait grincer des dents dans les milieux conservateurs japonais.
« Cette nouvelle concurrence est inévitable. L’empire du Soleil-Levant ne doit pas se plaindre, car c’est à la Chine qu’il doit son retour à la croissance après une décennie difficile », explique Marie-Sybille de Vienne, maître de conférences en économie asiatique à l’Institut national français des langues et civilisations orientales (Inalco). En 2003, l’économie japonaise a surpris par la vigueur de son redressement avec plus de 7 % de croissance, soit la plus forte du groupe des sept pays les plus riches (G7). Selon Masaaki Kanno, économiste en chef de JP Morgan Securities à Tokyo, la Chine a compté pour 80 % dans la hausse des exportations de l’archipel. Le marché chinois est particulièrement attrayant pour les sociétés nippones commercialisant des téléphones portables, des ordinateurs, du matériel hi-fi/vidéo ou des automobiles.
Les deux économies sont donc très interdépendantes. Le commerce entre la Chine et le Japon a augmenté d’un quart en 2003, pour atteindre 162 milliards de dollars, et chaque semaine environ dix mille personnes effectuent un vol aérien entre les deux pays.
Le dossier le plus sensible sur le plan commercial concerne les produits chinois piratés et contrefaits. Tokyo accepte très mal la présence de ces marchandises qui inondent les marchés mondiaux et font perdre à ses entreprises des milliards de dollars. Dans l’intention de faire pression sur Pékin pour qu’il combatte les industries en infraction avec les règles internationales, la Commission japonaise de promotion du commerce a récemment publié un ouvrage avec les photographies sous toutes les coutures des produits japonais imités par les sociétés chinoises. Canon, Honda, Sanyo sont les victimes les plus connues des contrefacteurs de l’empire du Milieu. La Chine va-t-elle obtempérer ?
Aux termes de leurs engagements auprès de l’OMC, les autorités de Pékin se doivent de prendre des mesures exemplaires. Mais elles traînent les pieds, ce qui peut se comprendre dans la mesure où certains produits copiés sont fabriqués au sein des entreprises publiques. De quoi animer encore pendant quelque temps la passion entre les deux pays…

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