Vraie ou fausse rupture ?

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

« Notre relation est spéciale et doit le demeurer » : la phrase est de Nicolas Sarkozy, lors de son discours de Cotonou, il y a un an. Mais ce sont les chefs d’État africains qui, les premiers, ont tenu à l’accréditer en rivalisant de chaleur et de célérité dans leurs messages de félicitations au nouvel élu.
Prix de la réactivité à Abdoulaye Wade, qui a téléphoné au futur président français quinze minutes avant 20 heures, le 6 mai, devançant de peu Omar Bongo Ondimba. Et palme du meilleur compliment à Laurent Gbagbo qui – ceci expliquant sans doute cela – avait plutôt le cur chez Ségolène Royal. « Éclatante victoire », « très vives et chaleureuses félicitations », « gratitude envers la nation française tout entière » : le président ivoirien n’a pas lésiné sur le dithyrambe.
Qui a gagné, qui a perdu sur le continent avec l’élection de Sarkozy ? À première vue et à quelques exceptions près, les pouvoirs en place ont beaucoup plus de raisons de se satisfaire de l’accession à l’Élysée d’un homme de droite décomplexé que d’une femme de gauche qui avait fait de leur bête noire – les ONG – une des antiennes de son programme africain. A contrario, opposants et sociétés civiles, pour qui transparence et alternance sont les deux mamelles de la démocratie, ne peuvent que s’en inquiéter – tel est d’ailleurs leur état d’esprit. Mais ce schéma est-il, à coup sûr, le bon ? Outre le volontarisme évolutif et l’imprévisibilité consubstantiels à Sarkozy, nul ne sait encore avec précision ce qui sortira du corpus de discours et de prises de position affichées en ce domaine par l’ex-ministre de l’Intérieur pendant sa campagne électorale.
Deux orientations, deux conclusions sont en réalité possibles. Première hypothèse : la vraie rupture avec le passé. Critique vis-à-vis de la diplomatie afroréaliste de Jacques Chirac, en décalage global par rapport à sa politique étrangère, hostile à toute compromission avec des autocrates, fussent-ils amis de la France, et soucieux de placer la défense des droits de l’homme au cur de son action, Sarkozy applique à la lettre son discours de Cotonou et sa « Grande Interview » à Jeune Afrique : rupture avec le paternalisme et parler vrai, même si, sous la franchise, le cynisme affleure parfois. Avec l’Afrique, c’est désormais du donnant-donnant et – au moins peut-on l’espérer – du gagnant-gagnant. Dans cette hypothèse, certains chefs d’État fâchés avec la bonne gouvernance ont du souci à se faire.
Seconde possibilité : la fausse rupture. Ou, plus précisément, le retour au galop de l’afroréalisme. Les grands groupes industriels pour qui l’Afrique est importante et qui règlent directement leurs affaires avec les chefs d’État concernés – Air France, Total, Bouygues, Lafarge, Bolloré, etc. – seront inévitablement demandeurs d’une relation amicale et apaisée entre Paris et les capitales du continent, quitte à fermer les yeux sur certaines pratiques. Des arguments auxquels Sarkozy, proche des grands patrons, sera sans doute sensible. On sait aussi que le nouveau président français entretient depuis des années, loin des caméras, des relations suivies avec des chefs d’État traditionnellement amis de la France – et tout aussi traditionnellement dans le collimateur des ONG – à qui il rendait visite dans leurs hôtels parisiens ou qu’il recevait discrètement place Beauvau. Ce tissu, ce réseau ne se délitera pas avec son arrivée à l’Élysée, d’autant qu’il a été conçu dans ce but.
Enfin, la nature de Sarkozy le conduisant à s’impliquer dans les détails, la « dépersonnalisation » de la relation franco-africaine, qu’il appelait pourtant de ses vux, ne sera vraisemblablement pas à l’ordre du jour. Face aux empiétements des « petits juges » ou confronté, dans l’urgence, à la nécessité d’intervenir (ou non) militairement pour sauver un régime menacé par une rébellion, les promesses d’associer et de consulter le Parlement pour chaque décision importante risquent fort, en outre, d’être rapidement obsolètes.
On l’aura compris : l’hypothèse de la fausse rupture est donc la plus probable. Trop répétitif pour n’être qu’électoraliste, le leitmotiv antirepentance de Sarkozy, assorti d’un hommage à la colonisation qu’aucun responsable français n’a osé prononcer depuis un demi-siècle, est à ce sujet éclairant. Ses discours de Toulon en février, puis de Marseille, en avril – dont certains passages sont de simples « copier-coller » du précédent – comportent de véritables hymnes à « ceux qui sont revenus des colonies [] chassés d’une terre où ils avaient acquis par leur travail le droit de vivre en paix [], à qui l’on n’a laissé le choix qu’entre la valise et le cercueil ».
Même si cette entreprise de réhabilitation d’un passé éminemment controversé, dont les « aspects positifs » échappent totalement aux descendants des travailleurs forcés de Côte d’Ivoire, du Congo ou d’ailleurs, peut aller de pair avec une relation décomplexée et dénuée de tout sentimentalisme, elle induit aussi une gestion sans état d’âme et crûment intéressée des rapports franco-africains. Nous vivons une époque brutale, celle de la mondialisation. Et tous ceux qui, sur le continent, candidats à l’émigration, opposants en quête de soutiens ou chefs d’État dont le maintien au pouvoir présente plus d’inconvénients que d’avantages devront le comprendre.
Pas question de rappeler à la France les devoirs que lui imposeraient son passif colonial, le sacrifice des tirailleurs ou les fonds occultes de certains partis politiques : de ce passé-là Sarkozy a fait table rase. « Je veux lancer un appel à tous les Africains, a-t-il dit au soir de son élection, le 6 mai, pour dire à l’Afrique que nous voulons l’aider à vaincre la maladie, la famine, la pauvreté, à vivre en paix. » Tout y est de ce retour à l’afroréalisme évoqué plus haut : le paternalisme, la vision d’un continent en termes de clichés catastrophistes (de quelles « famines » parle-t-il ?), les bons sentiments et un brin de condescendance
Plus que jamais, pour les partenaires africains de la France, l’heure est donc venue de se prendre en main. Une évolution déjà en marche avec le règlement purement endogène de la crise ivoirienne, grâce à l’accord de Ouagadougou. Et qui va se poursuivre sur tous les fronts, y compris économique. Jacques Chirac ne sera plus là pour monter au créneau auprès du FMI et de la Banque mondiale en faveur de tel ou tel ami en difficulté. Plus là pour décider sur un coup de fil d’envoyer les Mirage bombarder une colonne de rebelles. Plus là pour faire libérer en douce, au petit matin, par un petit juge, une « huile » persécutée. Plus là pour tutoyer, rudoyer, flatter, prendre des nouvelles de la première dame et des enfants.
Alors, vraie ou fausse rupture ? Même s’ils ont cru, à travers sa luxueuse escapade maltaise, déceler quelques traits communs entre lui et eux, les chefs du défunt pré carré savent qu’avec Nicolas Sarkozy, à tout le moins, la rupture de style est certaine. Pour le reste, wait and see

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