Un nouveau départ

Après cinq années de crise et un nouvel accord politique, tout reste à faire : reconstruire le pays et regagner la confiance des partenaires.

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

Quinze jours pour renouer les liens et conclure un programme d’assistance d’urgence postconflit (AUPC) : tel est l’enjeu de la mission qu’effectuent depuis le 2 mai (et jusqu’au 18) les principaux bailleurs de fonds de la Côte d’Ivoire, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque africaine de développement (BAD). Le gouvernement ivoirien, après des années de relations tendues avec les bailleurs, a marqué des points au cours des dernières semaines. Mi-avril, alors que Laurent Gbagbo et Guillaume Soro scellaient officiellement la fin de la guerre et la réunification de la Côte d’Ivoire, Charles Koffi Diby, le grand argentier du pays, négociait à Washington, profitant des assemblées générales de printemps du FMI et de la Banque mondiale, afin de renouer avec la communauté financière internationale. La Côte d’Ivoire aura besoin de ses subsides pour rebâtir un pays aux infrastructures endommagées et pour relancer une économie malmenée par cinq années de guerre larvée. Conscient que ses marges de manuvre budgétaires restent limitées, le gouvernement a décidé de lancer, le 24 avril dernier, un nouvel emprunt obligataire de 30 milliards de F CFA (environ 62,5 millions de dollars). Une somme qui devrait contribuer au budget 2007 dont le montant s’élève à 1 904,3 milliards de F CFA.
« Depuis le début de la crise, il n’y a pratiquement pas eu de dépenses d’investissement, et le budget de l’État a servi à acheter des armes et à payer les fonctionnaires, estime Philippe Hugon, économiste français spécialiste du développement. En termes de charges récurrentes, il faudra réinvestir. » Et pour cause : de plus de 5 % du produit intérieur brut (PIB) avant 1999, les dépenses d’investissement ont chuté à environ 2,5 % du PIB aujourd’hui. Sur les quatre dernières années, ce sont ainsi environ 500 milliards de F CFA d’investissements qui n’ont pas été réalisés. Résultat : les infrastructures du pays se sont largement dégradées, dans le Nord mais aussi au Sud. « J’avais avancé à la mi-2006 le chiffre de 150 à 200 millions de dollars nécessaires pour la reconstruction matérielle des routes et des infrastructures. Mais ce chiffre, qui m’a été donné par des experts européens, ne me semble être qu’un minimum », précise Philippe Hugon. S’y ajouteront en effet les importantes sommes nécessaires au retard pris en matière d’investissement : dans les ports d’Abidjan et de San Pedro, en matière hydraulique et électrique…
Le secteur privé dans son ensemble paie le plus lourd tribut à la crise, avec, en tête des victimes, les cotonniers, les transporteurs routiers et ferroviaires ainsi que l’ensemble du secteur des services. La plupart des entreprises ont également été victimes d’une corruption rampante et de l’augmentation des fraudes à l’importation. La Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire (CCI-CI) estime que 30 000 emplois ont été perdus et que le coût global de la crise pour le secteur privé s’élève à 122,3 milliards de F CFA. « Les arriérés de l’État envers ce secteur sont de 700 milliards de F CFA », souligne Jean-Louis Billon, président de la CCI-CI. Dans le sud du pays, chez les professionnels, les inquiétudes concernant la qualité des vergers se font sentir : ceux-ci ont été mal entretenus et non renouvelés au cours des dernières années, alors qu’ils étaient déjà vieillissants. Dans le Nord, les principales productions agricoles sont sinistrées.
Outre le tabac, le sucre et la noix de cajou, qui ont été touchés, la culture du coton a beaucoup souffert : la production a été marquée par de très fortes fluctuations dues notamment aux difficultés d’approvisionnement en intrants ; l’une des entreprises majeures du secteur, LCCI, filiale de L’Aiglon et du Groupe Bolloré, a même été mise en liquidation. Du fait notamment de la fermeture de l’antenne régionale du Centre national de recherche agronomique de Bouaké (CNRA), les rendements à l’hectare ont été divisés par deux en quelques années. Une partie non négligeable, mais difficile à évaluer, de la production a échappé aux circuits traditionnels pour passer par le Mali ou le Burkina. « Le précédent Premier ministre, Charles Konan Banny, avait accepté le principe d’une indemnisation globale du secteur privé notamment à la suite des émeutes de novembre 2004, avance Jean-Louis Billon. Mais, dans le détail, rien n’a été déterminé. Pourtant, ce serait un signe positif en termes d’investissements, notamment étranger. » Dans l’ensemble du pays, les faits montrent « une régression importante dans l’industrie, la relocalisation des services dans d’autres pays comme le Sénégal, ainsi qu’un exode important d’investisseurs étrangers, explique Abah Ofon, économiste à la banque britannique Standard Chartered. Tout cela n’est donc pas uniquement une question de situation géographique des ressources. La réunification enverrait le signal que la Côte d’Ivoire s’ouvre à nouveau aux affaires ».
Mais après cinq années de crise politico-militaire, la situation aurait pu être bien pire. La Côte d’Ivoire a limité la casse : le déficit budgétaire ne dépasse les 2 % du PIB et le taux d’inflation est resté en deçà des 2,5 %. Dans le Sud, la filière café-cacao ne s’est pas effondrée et a permis de maintenir l’économie nationale à flot. Les grands groupes français, qui pour la plupart n’ont pas quitté le pays, représentent, quant à eux, 30 % du PIB et emploient 40 000 salariés.
Il n’empêche : le pays, qui était en 1997 à la deuxième place africaine en termes d’investissements étrangers, n’occupe aujourd’hui que la quinzième place. Le retour de la confiance constitue le défi principal auquel le pays doit faire face. Depuis 2003 et 2004, le FMI, la BAD et la Banque mondiale ont suspendu leurs décaissements. Le gouvernement est sous surveillance : l’utilisation des ressources des matières premières fait l’objet d’une attention toujours soutenue. Les institutions internationales et le ministère de l’Économie se sont longuement disputés au sujet de la gestion de la filière café-cacao et de son opacité. L’État en a fait sa pompe à finances tout au long de la crise – 40 % du prix du cacao à l’export va dans les caisses du Trésor ou des structures parapubliques qu’il a mises en place -, et ce alors qu’il s’était engagé dans le sens d’une libéralisation, en 1998-1999.
La gestion des revenus du pétrole – la Côte d’Ivoire a extrait en 2006 21,9 millions de barils – est venue s’ajouter à la liste des dissensions… Le gouvernement devra également payer ses arriérés auprès de la Banque mondiale estimés à 237 milliards de F CFA à la fin du mois d’avril. Un accord a d’ailleurs été annoncé en ce sens le 20 avril en marge des assemblées de printemps du FMI et de la Banque mondiale. Laquelle a consenti un assouplissement du remboursement jusqu’à février 2008. Un premier pas de bon augure. Tous les partenaires de la Côte d’Ivoire, multilatéraux comme bilatéraux, devraient ensuite évaluer les besoins de l’économie au cours des six prochains mois, en restant prudents : « Il faudra faire attention aux estimations données, qui peuvent être surévaluées », souligne l’un d’eux.
En attendant, il faut compléter financièrement le travail de l’Union européenne (UE), qui, à travers quatre programmes d’urgence de réhabilitation (PUR), a poursuivi et poursuit un travail sur le terrain mais aussi pour soulager un budget particulièrement tendu. D’autant que la relance de l’économie dans le Nord n’aura guère de conséquences positives immédiates sur les comptes de l’État, car il ne perçoit aucune taxe directe sur le coton et très peu sur les autres productions. Certes, les services tels que la téléphonie, les transports, les banques seront rapidement de retour dans la zone. « La Banque nationale d’investissement a déjà remis sur pied son agence de Bouaké », témoigne un expert international.
Est-ce suffisant pour relancer l’économie nationale ? Pour l’instant, les experts tablent sur une croissance limitée à 1,5 % en 2007. Trop faible pour redresser rapidement la situation : « L’économie, qui aurait dû repartir en 2002 sur la base de 4 %, est entrée en récession en 2002 et 2003 avec un PIB reculant en moyenne de 1,7 %, explique Abah Ofon. La croissance a été légèrement positive en 2004 et il est peu probable qu’elle ait dépassé 1 % depuis. » Selon les dernières données de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA), le PIB de la Côte d’Ivoire était en 2006 le même qu’en 2002 et avait même légèrement reculé par rapport à 1999. Autrement dit, cinq années de croissance se sont envolées.

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