[Tribune] Lashana Lynch agent 007 dans James Bond, révolution ou coup marketing ?
Le choix de l’actrice britannique d’origine jamaïcaine Lashana Lynch pour reprendre le matricule 007 dans le prochain James Bond correspond plus à une stratégie de survie qu’à un acte militant : pour prospérer, les studios doivent diversifier leurs castings.
Elle s’appelle Lynch, Lashana Lynch. Et c’est désormais cette actrice d’origine jamaïcaine, née à Londres, dans le quartier d’Hammersmith, qui reprendra le matricule 007 dans le prochain James Bond, Mourir peut attendre, dont la sortie est prévue pour 2021.
La confirmation vient de la comédienne de 32 ans elle-même, qui s’est confiée à Harper’s Bazaar le 3 novembre. Une autre source glissait au quotidien le Daily Mail : « Il y a une scène charnière au début du film dans laquelle M dit : « Entrez 007 », et c’est Lashana qui entre : une magnifique femme noire. »
Lashana Lynch Confirms She’ll Play 007 in ‘No Time to Die’ https://t.co/0waJ9rg5Cx
— Harper’s BAZAAR (@harpersbazaarus) November 5, 2020
Évidemment, la nouvelle a enflammé le web. « James Bond est un mec ! C’est impossible de le représenter comme une femme », s’emporte un fan sur Twitter. Tandis qu’un autre estime que « Ian Fleming doit se retourner dans sa tombe », et qu’un dernier ironise en estimant qu’une Asiatique ou une Arabe n’ont pas été choisies parce qu’elles ne sont pas issues des « bonnes » minorités.
Tempête absurde sur le web
Cette tempête internet est d’autant plus absurde que Lashana Lynch n’a pas été choisie pour incarner James Bond, mais simplement récupérer son matricule, abandonné par l’agent exilé en Jamaïque.
Ce choix de casting est-il pour autant « très, très révolutionnaire », comme l’affirme Lashana Lynch ? Pas vraiment. D’abord parce que la tendance générale est à la féminisation et à la « colorisation » de rôles emblématiques jusqu’ici réservés à des mâles blancs, parfois au prix de quelques contorsions avec les œuvres originales.
Cette métamorphose tient vraisemblablement plus du calcul marketing que d’un choix idéologique
Récemment, Netflix a mis en scène Enola Holmes, la petite sœur fictive de Sherlock (absente de l’œuvre de Conan Doyle). Dans la saga Star Wars, John Boyega a interprété Finn, un stormtrooper noir. Rocky a confié ses gants à Adonis Creed, le fils noir de son rival et ami Apollo. Marvel a mis de côté ses super-héros pâles le temps du très lucratif Black Panther. Et, en 2021, c’est Omar Sy qui incarnera un Arsène Lupin 2.0, s’inspirant du gentleman-cambrioleur imaginé par Maurice Leblanc.
« Pour moi, cette volonté de diversité dans le cinéma anglo-saxon date de l’ère Obama, note Régis Dubois, qui analyse depuis près de vingt-cinq ans la place des Noirs dans le cinéma américain. On suit simplement l’évolution des mœurs et des mentalités, avec cette conviction qu’il faut en finir avec les Noirs qui jouent des rôles traditionnellement dévolus aux Noirs, des rôles d’esclaves, de domestiques… »
Pour l’auteur du Cinéma noir américain des années Obama (2009-2016, éd. LettMotif), la polémique qui accompagne cette évolution est d’autant plus insupportable que « les minorités jusqu’ici évincées des grosses productions hollywoodiennes demandent seulement un juste rattrapage à l’écran ».
Paresse, manque d’imagination
Mais, du côté des studios, cette métamorphose tient vraisemblablement plus du calcul marketing que d’un choix idéologique. La franchise James Bond, par exemple, n’a cessé d’évoluer pour survivre. Lorsqu’en 2002 la saga semble au point mort, après la sortie du décevant Meurs un autre jour (avec Pierce Brosnan), le choix d’un Bond plus nerveux, musclé (et blond) s’impose pour ne rien céder à la concurrence des Jason Bourne et autres gros bras d’Hollywood. Le choix est déjà critiqué… Mais Casino Royal enregistre 170 millions de dollars de recettes de plus que l’épisode précédent.
Nos sociétés de divertissement préfèrent transformer les icônes existantes plutôt que d’en inventer de nouvelles
Bond n’est plus britannique, Bond n’est plus flegmatique, Bond demain ne sera peut-être plus blanc… Idris Elba, un temps pressenti pour le rôle, a déjà failli bousculer un peu plus le mythe. Sean Connery est mort et bien mort, et l’on peut comprendre la nostalgie des fans des premiers James Bond, qui ne relève pas forcément du racisme ou du sexisme. En voyant leur héros disparaître, c’est une partie de leur enfance, ou de leur adolescence, à laquelle ils doivent renoncer. Mais la franchise, elle, se doit d’évoluer si elle ne veut pas mourir.
Finalement, le seul regret légitime n’est pas que les héros de la pop culture prennent d’autres traits et recouvrent d’autres genres. Mais que nos sociétés de divertissement soient devenues à ce point paresseuses, sans imagination, qu’elles préfèrent transformer les icônes existantes plutôt que d’en inventer de nouvelles.
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