[Tribune] Joe Biden vs Donald Trump : les premiers enseignements d’un scrutin plus serré que prévu
Contrairement à ce qu’annonçaient les sondages, le démocrate n’a pas joui d’une large avance sur le républicain, qui a su garder le soutien de nombreux électeurs.
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Pap Ndiaye
Historien, professeur à Sciences Po Paris, nouveau directeur général du Palais de la Porte Dorée
Publié le 10 novembre 2020 Lecture : 4 minutes.
Les électrices et électeurs américains ont tranché : le 20 janvier, Joe Biden deviendra le 46e président des États-Unis. Donald Trump multiplie les recours juridiques, mais, à l’exception sans doute de quelques proches qui ne peuvent concevoir que leur grand homme ait perdu, ses équipes savent qu’il leur faudra céder le pouvoir.
Du point de vue du vote populaire, Biden l’emporte largement, avec au moins 5 millions de voix d’avance sur le président sortant. Il faut remonter à 2004 pour qu’un candidat républicain, George W. Bush, obtienne plus de voix que son adversaire démocrate.
Au niveau de chaque État en revanche, l’élection est plus serrée : elle s’est jouée à quelques dizaines de milliers de voix en Pennsylvanie, dans le Wisconsin ou en Arizona.
Une surprise, la Géorgie
Dans l’ensemble, la carte électorale classique est préservée : les bastions républicains (États du Sud et du grand Ouest) et démocrates (États océaniques et région des Grands Lacs) le restent ou le redeviennent, à l’exception probable de la Géorgie, véritable surprise de ce scrutin. De même, la coupure entre grandes villes démocrates d’une part et petites villes et campagnes républicaines d’autre part est-elle renforcée.
Un État comme l’Illinois n’est démocrate que parce que Chicago et sa région sont un bastion de ce parti, et que le poids démographique de ces derniers est suffisant pour écraser le vote républicain majoritaire presque partout ailleurs. La même remarque s’applique au Michigan (Detroit), au Wisconsin (Milwaukee) et maintenant à la Géorgie (Atlanta).
Si le rouge l’emporte en surface, il recouvre des régions peu peuplées
La carte électorale, juxtaposant les couleurs rouge (pour les républicains) et bleue (pour les démocrates) est trompeuse, car si le rouge l’emporte en surface, il recouvre des régions peu peuplées, tandis que le bleu est concentré dans des régions urbaines à la population dense.
À elle seule, la Californie, avec ses 55 grands délégués, pèse beaucoup plus lourd que les États du Grand Ouest, qui représentent un immense territoire vide.
Le Parti républicain favorisé au Sénat
En revanche, du côté du Sénat, le Parti républicain est largement favorisé, puisque chaque État envoie deux sénateurs au Congrès, à Washington, quelle que soit sa population. Au Sénat, le Wyoming (580 000 habitants) est représenté à égalité avec la Californie (40 millions d’habitants). L’avantage structurel dont bénéficie le parti républicain pourrait être compensé par l’inclusion dans l’Union de deux nouveaux États, le District of Columbia et Porto Rico, qui sont fortement démocrates.
La large avance de Biden que prévoyaient les sondages a fondu comme neige au soleil
La surprise de l’élection tient dans le bon score de Trump : la large avance de Biden que prévoyaient les sondages a fondu comme neige au soleil. L’élection est bien plus serrée que prévu.
Que s’est-il passé ? Dans l’ensemble, mis à part une érosion du vote masculin blanc, l’électorat de Trump lui est resté fidèle, en dépit de tout. La gestion du Covid ? Les tensions raciales ? Le comportement du président ? Cela n’a pas suffi à décourager ses électeurs.
Une ferveur quasi religieuse
Parmi eux, il y a les « fervents », dont le rapport au chef de l’État sortant est quasi religieux. Ils féliciteraient leur président bien-aimé si celui-ci tirait sur la foule de la Ve Avenue. Il y a aussi celles et ceux qui n’approuvent pas Trump en tout, qui réprouvent sa violence verbale, mais qui considèrent que, tout compte fait, il a bien géré l’économie, qu’il n’est pour rien dans la crise sanitaire et qu’il mérite un second mandat.
12 % des Africains-Américains ont voté pour Trump
Une surprise plus grande encore est venue des minorités : 12 % des Africains-Américains ont voté en sa faveur (contre 8 % en 2016) ; 33 % des Latinos également (contre 29 % en 2016), 28 % des LGBT à (contre 14 % en 2016).
Cela peut paraître surprenant, au vu de sa politique hostile, ou au mieux indifférente, à l’égard des questions qui importent à ces groupes en principe. Trump n’a ainsi pas caché son hostilité à l’égard des manifestants antiracistes de juin et juillet derniers qui sont descendus dans la rue en réaction au meurtre de George Floyd, qu’il a qualifiés de « voyous » et de « terroristes ».
Mais les électeurs ne sont pas que noirs, ou latinos, ou LGBT. Ils ont des positions sociales et culturelles multiples. Un banquier gay, par exemple, peut voter Trump en plaçant ses intérêts de classe (par exemple les baisses d’impôts) au-dessus des problématiques propres aux personnes LGBT. Un homme noir ou latino religieux peut voter Trump parce que ce dernier est opposé à l’avortement, et qu’il a nommé à la Cour suprême des juges conservateurs susceptibles d’agir en ce sens.
Les motivations des électeurs sont nombreuses, et ne placent pas nécessairement l’identité ethno-raciale en première position. Les républicains jouent habilement sur ces appartenances multiples en valorisant celles qui leur sont favorables : ils font campagne auprès des Noirs et des Latinos (notamment des hommes) en gommant les questions de racisme et de discrimination pour mettre en avant l’entrepreneuriat et les valeurs religieuses.
L’électorat minoritaire favorable aux démocrates
Il n’en reste pas moins que l’électorat minoritaire est resté largement favorable aux démocrates : 12 % des voix des Africains-Américains pour Trump, c’est un score voisin de celui de George W. Bush en 2004 (11 %). Seul Barack Obama avait réussi à affaiblir le vote noir républicain en 2008 et 2012 (5 %). Il ne s’agit donc que d’une demi-surprise, même si les démocrates espéraient faire mieux.
Ces militants chauffés à blanc, fous de rage, représentent une menace
Aux yeux d’une partie de l’électorat de Trump, la défaite de leur champion procède d’une fraude ourdie par les démocrates avec l’appui de fonctionnaires corrompus, ceux que le président sortant dénonce dans ses diatribes contre l’« État profond ». Ces militants chauffés à blanc depuis des mois, fous de rage, représentent aujourd’hui une menace pour la démocratie. Leur champion, claquemuré dans la Maison Blanche, se tait ; il n’a pas reconnu sa défaite et encourage à la « résistance ». Les soixante-dix jours qui nous séparent de l’entrée en fonction de Biden seront agités.
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