Ségolène et les loups

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

Le 6 mai 2007, deux événements étaient programmés : la victoire conquise de haute lutte par Nicolas Sarkozy et la mort politique de Ségolène Royal. Politiquement, la candidate socialiste ne devait pas survivre à sa défaite. D’entrée de jeu, elle était condamnée à la victoire. L’obligation de résultat était inséparable de sa démarche. Les sondages, ces oracles des temps modernes, en avaient décidé ainsi : elle était la seule à pouvoir contrecarrer l’irrésistible ascension de Sarkozy. Et c’est forte de cet atout décisif que la « Madone des sondages » avait découragé ou terrassé les « éléphants » du Parti socialiste, qui avaient autant de titres, sinon davantage, à prétendre à la magistrature suprême : François Hollande, Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius, sans oublier Lionel Jospin.
Selon l’implacable logique qu’elle avait elle-même déclenchée, la victoire de Sarkozy signifiait pour Royal le commencement de sa fin politique. Une fois encore, elle a surpris son monde. Dès l’annonce des résultats, contrairement à toute attente et à tous les usages, elle a occupé le terrain médiatique et politique et, du coup, réussi à conjurer le destin. On a assisté en direct à la métamorphose miraculeuse de « Ségo ». Elle n’est plus la candidate socialiste, elle est le leader de l’opposition. Sa légitimité ne provient pas de la majorité des socialistes qui lui ont fait confiance pour défendre leurs couleurs, elle procède des 17 millions de citoyens qui ont voté pour elle. Et qui continuent de compter sur elle. Son discours a changé, par la même occasion. Elle ne débite plus ni promesses vagues ni projets approximatifs, assortis, à l’occasion, de quelques niaiseries christiques. Elle esquisse en termes simples et précis un programme politique. Le ton est ferme, décidé, convaincu et convaincant. La Madone est une femme d’action, qui sait ce qu’elle veut. La célérité avec laquelle elle est intervenue n’a d’égale que sa résolution. À ceux qui ont voté pour elle, elle affirme que « quelque chose s’est levé qui ne s’arrêtera pas ».
Certes, elle ne prononce pas le mot défaite, mais son attitude ne relève pas seulement du culot ou de l’esbroufe. On peut la croire parce qu’elle a engrangé au terme de sa première aventure présidentielle un certain nombre de succès qui sont autant d’atouts pour l’avenir. Elle a évité au PS un « second 21 avril » [élimination de Lionel Jospin au premier tour du scrutin de 2002]. Visiblement, l’ancien Premier ministre est pour elle le modèle à ne pas suivre. Rien à voir avec son retrait orgueilleux, qui ressemblait à une désertion : « Ce que nous avons commencé ensemble, nous allons le continuer ensemble. » Toujours sous l’angle de la comparaison avec Jospin, Royal a obtenu pratiquement le même score que lui en 1995 : autour de 47 %. Mieux, à y regarder de près, elle dépasse François Mitterrand lui-même : elle a obtenu 1 082 349 voix de plus que lui en 1981, et 86 332 voix de plus que lui en 1988.
Que Ségolène Royal se pose en leader de l’opposition et qu’elle ait son mot à dire sur les questions de doctrine et d’alliances laissées en souffrance au PS n’a rien de surprenant. Mais si elle a pris de court ses « amis » au soir du 6 mai, ces derniers n’ont aucune intention de se laisser faire. Strauss-Kahn a aussitôt regretté une « défaite qui vient de loin », Fabius critiqué l’ouverture vers le centre, et Hollande, qui pouvait difficilement être en reste, évoqué des « erreurs » À vrai dire, les éléphants n’ont pas le choix : pour préserver les chances de leur destin national, ils doivent devenir des loups. L’échéance présidentielle de 2012 se joue aujourd’hui. C’est la prochaine fois ou jamais : DSK aura 63 ans, Fabius 66 ans.
On a rengainé les couteaux tirés le soir des résultats en raison des législatives du mois de juin. Mais après, la bataille promet d’être rude, surtout si la droite, comme il est probable, confirme ou amplifie sa victoire. L’empoignade risque également, en prenant une tournure sentimentale, de susciter une curiosité pas toujours saine. Chacun sait que l’harmonie ne règne pas entre Ségolène Royal et François Hollande, que leur couple a souffert tout au long de la campagne. Les intéressés, non sans mérite, ont évité de « mélanger la sphère privée et la sphère publique ». Mais jusqu’à quand ? Comme leurs divergences politiques se doublent (en s’exacerbant ?) de dissensions personnelles, les journalistes seront amenés à s’y intéresser pour faire simplement leur métier. Bref, Ségolène n’est pas morte et l’on parlera encore beaucoup de celle-qui-fait-de-la-politique-autrement.

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