Président Sarkozy

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

Cette semaine encore, l’actualité nous enjoint de vous parler de la France : comme cela était aisément prévisible, elle a choisi, le 6 mai, Nicolas Sarkozy comme président, pour cinq ans au moins, dix s’il réussit son premier mandat.
Dans peu de jours, cet homme de 52 ans aura ses bureaux à l’Élysée, symbole du pouvoir, nommera un Premier ministre et un gouvernement qu’il aura choisis.
Et se lancera dans une nouvelle bataille, celle des élections législatives.
Le 18 juin prochain, lorsqu’il la gagnera aussi, comme c’est vraisemblable, il pourra enfin se dire qu’il a bel et bien atteint l’objectif pour lequel il se bat bec et ongles depuis vingt-cinq ans.
Mais Nicolas Sarkozy est ainsi fait qu’il ne considérera pas cela comme un aboutissement.

Les Français, les Européens, les Africains et tous les autres s’apercevront, à partir du 17 mai, jour où il entrera en fonctions, que « la rupture » dont a parlé Sarkozy est d’abord dans le style et le rythme : le successeur de Mitterrand et de Chirac est un président jeune, débordant d’énergie et qui n’est à l’aise que dans l’action. C’est même un activiste qui a besoin d’adversaires à réduire, de problèmes à résoudre, de murs épais à abattre
C’est dire si lui et son pays vont faire parler d’eux, occuper l’actualité plus que ne l’aurait laissé prévoir leur poids réel

la suite après cette publicité

Pourquoi l’élection présidentielle française de 2007 a-t-elle intéressé les Français – et le monde entier – beaucoup plus que les précédentes ? À l’instar d’Israël, la France pèserait-elle plus que son poids réel ?
Avec 1 % de la population mondiale, elle se classe au 6e rang* par son produit intérieur brut (PIB), qui est de 2 400 milliards de dollars par an, et seulement au 17e rang pour le revenu par habitant (le Canada est 16e et l’Allemagne 18e).
C’est donc encore, en dépit d’un certain tassement, une quasi-grande puissance qui, par son seul poids, mais aussi par sa langue, par ses initiatives diplomatiques et par sa prétention à l’universel, compte en Europe, en Afrique et dans le reste du monde.
Mais si l’on s’est tant intéressé cette fois-ci à l’élection de son président, c’est surtout, à mon avis, parce que l’on a senti que les Français allaient ouvrir un nouveau chapitre de leur histoire.

Les quatre présidents que la France s’est donnés depuis le départ du général de Gaulle en avril 1969 forment en effet une série dont Jacques Chirac est le dernier avatar : même s’ils sont issus de bords politiques différents – la droite, le centre et la gauche – Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac appartenaient au même monde et à une génération de dinosaures, celle d’un Édouard Balladur et d’un Raymond Barre, qui, ayant fait son temps, est aujourd’hui écartée des affaires par la mort ou par l’âge.
Nicolas Sarkozy comme Ségolène Royal sont une nouvelle France qui prend la relève de la précédente et, dans une certaine mesure, « ringardise » même des hommes politiques plus jeunes que les dinosaures cités plus haut : Jospin, Strauss-Kahn, Fabius, voire Bayrou

Mais revenons à l’homme qu’il va falloir s’habituer à appeler le président Sarkozy : il va dominer la politique et la société françaises et batailler pour se tailler au-dehors un rôle d’empêcheur de danser en rond qui fera de lui, en peu de mois, l’un des principaux acteurs de la scène internationale.
De ce qui a été dit de lui, parce que cela le caractérise et le rapproche de Bonaparte, auquel on l’a souvent comparé, il faut d’abord retenir que ce n’est pas un Français de souche (son père hongrois n’a émigré en France que peu avant sa naissance), mais un fils d’immigré, un « Français de sang mêlé » comme il l’a dit lui-même.
– Je dois tout à la France, il est temps que je lui rende ce qu’elle m’a donné, répète-t-il.
Il aura donc tendance à en faire un peu trop pour être plus français encore qu’un « Français de souche ».

Le deuxième facteur important de sa personnalité est qu’il ne sort pas de l’École nationale d’administration (ENA), cette pépinière qui a formé huit hommes politiques français sur dix.
Il est avocat comme Mitterrand.
Le troisième, qu’il met en avant parce que cela l’a marqué, est « qu’on ne lui a pas fait de cadeau ». Il a beaucoup travaillé pour parvenir là où il est, a commencé très bas pour arriver tout en haut, a franchi les marches une à une jusqu’à la plus haute.
Sarkozy est, enfin, un homme de droite qui se revendique comme tel sans ambages ni complexes. À la différence de Chirac, notamment.
Jacques Attali, qui l’observe depuis un quart de siècle, le résume ainsi : « De droite ? Sûrement. Démocrate ? Évidemment. Le reste, c’est désormais l’Histoire qui le dira. »
Pour avoir aidé François Mitterrand à accéder à ?l’Élysée en 1981, le même Jacques Attali parle d’expérience lorsqu’il précise : « Devenir président, c’est monter sur un cheval au galop : il faut en prendre le contrôle tout de suite ou y renoncer à tout jamais. Nous allons tout de suite connaître les talents de cavalier de l’élu du 6 mai. »

la suite après cette publicité

J’ai eu moi-même le privilège d’observer plus d’une fois un homme – jamais une femme, hélas – en train de se préparer au pouvoir suprême, puis y accéder et, enfin, l’exercer.
Deux constantes dans cet itinéraire singulier :
. « Le tempérament de chacun fait sa destinée. » Cette loi s’applique aux présidents comme aux autres : leurs lignes de force et de faiblesse, leur style, la manière dont ils exerceront la haute fonction qui leur échoit sont déjà en eux. Le fil conducteur de leur action est dans leur historique d’avant la consécration.
Plus le tempérament de quelqu’un est trempé, mieux on peut prévoir ce qu’il fera et comment il sera dans l’action.
. Le pouvoir, le pouvoir suprême surtout, transforme celui ou celle qui l’a conquis : sans qu’il s’en aperçoive d’ailleurs, ni se voie changer, au bout de quelques mois, il n’est plus le même homme ou la même femme.
On peut dire à coup sûr qu’on ne connaît pas un homme ou une femme tant qu’on ne les a pas vus dans l’exercice du pouvoir.

Nicolas Sarkozy, puisque c’est de lui qu’il s’agit ici, est, nous l’avons rappelé, un homme fougueux, déterminé, suractif, plein de confiance en lui.
Cet enfant d’immigré est un nationaliste français ; ce libéral est un interventionniste.
Les très grands pouvoirs qu’il va concentrer entre ses mains aggraveront-ils ses défauts ou les sublimeront-ils en qualités ? Nul ne le sait, peut-être pas lui-même.
Il a su rassembler la droite française, dont il est désormais le chef sans rival, et y intégrer l’extrême droite, qu’il a réduite à peu de chose (tout comme François Mitterrand avait su ramener le Parti communiste à presque rien). Mais saura-t-il, au-delà de son camp, personnifier la France ?

la suite après cette publicité

Ses adversaires français et beaucoup d’observateurs le comparent tantôt à Margaret Thatcher, tantôt à Silvio Berlusconi, à José María Aznar ou même à George W. Bush – qui, tous les quatre, le considèrent des leurs. Connaîtra-t-il, comme ces adversaires le lui prédisent, le même itinéraire et, en définitive, le même échec ?
Il faut espérer que non et que le pouvoir suprême assagira Sarkozy en bridant sa fougue.
Car le pays de Charles de Gaulle a, en ce moment, le plus grand besoin d’un réformateur aussi déterminé que prudent et éclairé.
Quant aux partenaires de la France, les Européens et les Africains en particulier, ils appellent de leurs vux une autre France. Qui, à l’inverse de celle de Chirac, promet moins, mais tient toutes les promesses qu’elle fait. n

* derrière les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la Chine ?et le Royaume-Uni, mais assez loin devant l’Italie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires