Lune de miel à Nouakchott

Les échanges de bons procédés se multiplient entre l’opposition et le nouveau président. Stratégie politique non dénuée d’arrière-pensées ou réelle volonté de gouverner autrement ?

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

A Nouakchott, tout le monde attendait la rencontre, mais personne n’imaginait qu’elle pourrait être aussi chaleureuse. En recevant, le 3 mai, au palais présidentiel, Ahmed Ould Daddah, son adversaire du second tour de l’élection présidentielle, leader du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) et chef de l’opposition née du scrutin du 25 mars, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’a pas fait mystère de l’estime qu’il porte à son ex-concurrent. « C’est un ami, un homme pour qui j’ai énormément de respect et de considération », déclarait le nouveau raïs quelques jours plus tôt sur les ondes de Voice of America, avant d’ajouter : « Ahmed Ould Daddah pèsera certainement beaucoup sur la vie et l’évolution du pays. »
« Sidi », comme l’appellent ses compatriotes, n’est pas insensible à « l’élégance » avec laquelle son ancien adversaire a reconnu les résultats de la course à la magistrature suprême. « Beaucoup pensaient que les opposants à Cheikh Abdallahi rassemblés derrière Ould Daddah allaient refuser la défaite et l’imputer à l’appui qu’aurait reçu le vainqueur de certains membres du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD, ex-junte au pouvoir) », explique un observateur.
Mais, au lendemain du scrutin, c’est la surprise. Ould Daddah, qui a engrangé 47,15 % des suffrages de ses concitoyens, « prend acte » du résultat et félicite Sidi. Sous sa houlette, l’ensemble de ses partisans font de même. Avant de faire état, le 9 avril, dans une déclaration signée, notamment, par l’Union des forces du progrès (UFP), les Réformateurs centristes (islamistes modérés) et le Parti mauritanien de l’Union et du Changement (Hatem, ex-opposition armée), de leur « disponibilité à apporter, dans des formes à convenir, leur contribution à l’uvre patriotique de mobilisation et de rassemblement des Mauritaniens en vue de résoudre » les questions les plus urgentes pour le pays. À savoir : le retour de milliers de Négro-Mauritaniens déportés au Sénégal et au Mali au tournant des années 1990 par le régime déchu de Maaouiya Ould Taya, le règlement du passif humanitaire qui en a découlé, l’éradication de l’esclavage et la détermination de « la place et [du] rôle de l’armée dans les institutions républicaines »
Mieux, les 32 députés de la mouvance ayant soutenu Ould Daddah au second tour de la présidentielle – soit plus du tiers de l’Assemblée – votent, le 26 avril, en faveur de Messaoud Ould Boulkheir qui brigue le perchoir de la chambre basse du Parlement avec la bénédiction du palais. « L’opposition a fait un parcours sans faute depuis la présidentielle », atteste un diplomate occidental en poste à Nouakchott.
Si, à travers la composition du gouvernement formé le 28 avril par le Premier ministre Zeine Ould Zeidane, le nouveau raïs a confirmé sa volonté de ne pas associer directement ses adversaires à la gestion des affaires de l’État, il n’exclut pas, en revanche, une certaine ouverture. Les 3 et 4 mai, Sidi Ould Cheikh Abdallahi a ainsi assuré Ould Daddah et les principaux dirigeants de l’UFP et des Réformateurs centristes, Mohamed Ould Maouloud et Jemil Ould Mansour, de sa volonté d’ouvrir la haute fonction publique et la diplomatie aux cadres de l’opposition. « Il s’agit, relève-t-on dans la capitale mauritanienne, d’une rupture avec les mauvaises traditions instaurées par Ould Taya », qui faisait du ralliement à son pouvoir une condition sine qua non de toute nomination à des postes administratifs.
Lors de ces rencontres, le nouveau président a également repris à son compte l’idée – et les termes – d’une loi sur le statut de l’opposition votée par les militaires à la veille du premier tour de la présidentielle. Le texte, qui prévoit des privilèges protocolaires et matériels pour son chef, recommande entre autres au président de la République de le consulter sur un certain nombre de « questions fondamentales ».
Sans prendre d’engagement explicite enfin, Sidi a multiplié les gestes de bonne volonté en direction des Réformateurs centristes. Il aurait d’abord laissé entendre qu’il ne s’opposerait pas à la création d’un parti islamiste modéré, avant d’annoncer qu’une vingtaine de salafistes locaux embastillés sans jugement à Nouakchott depuis plus de deux ans allaient bientôt être déférés devant un tribunal et qu’il allait demander aux Américains de lui livrer trois Mauritaniens détenus dans le camp de Guantánamo.
Mais dans ces échanges de bons procédés, rares en Mauritanie, certains observateurs voient déjà la mise en place de stratégies partisanes, plus qu’une nouvelle façon de diriger le pays. L’avenir des membres de l’ex-CMJD en serait le principal enjeu. « L’opposition tente de rassurer le chef de l’État pour obtenir de lui une concession majeure : la mise à l’écart des responsables de l’ancienne junte qui occupent encore des postes stratégiques au sein de l’État », affirme un familier des arcanes du pouvoir. De son côté, poursuit le même analyste, « Sidi Ould Cheikh Abdallahi s’efforcera de répondre à la plupart des revendications de ses adversaires, dans le but d’esquiver la question des militaires ». Sur le nouvel échiquier politique mauritanien, la partie ne fait que commencer.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires