Le verset qui fâche

Une nouvelle traduction du Coran propose une réinterprétation radicale du passage autorisant un homme à frapper son épouse en cas de rébellion.

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

Laleh Bakhtiar, Américaine d’origine iranienne âgée de 68 ans, travaillait depuis deux ans à une traduction du Coran lorsqu’elle est tombée sur le verset 34 de la sourate 4. Elle a eu alors envie de tout laisser tomber. Que dit de si dérangeant le Livre saint des musulmans à cet endroit-là ? Qu’une femme manifestant des signes de rébellion doit d’abord être admonestée, puis reléguée dans un lit à part et, enfin, battue – le sens le plus courant pour le mot arabe daraba -, à moins qu’elle ne change de conduite.
C’est justement ce verset qu’une juge de Francfort a cité au début de l’année pour refuser la demande de divorce accéléré d’une jeune mère de famille victime de violences conjugales. La magistrate a estimé qu’en se mariant avec un Marocain, cette femme devait s’attendre à ce genre de traitement puisque les châtiments corporels du mari sur son épouse sont autorisés par le Coran.
« Soit ce mot avait une autre signification, soit j’arrêtais la traduction », a confié au New York Times Laleh Bakhtiar. Titulaire d’un doctorat de psychologie de l’éducation, elle a entrepris ce travail parce qu’elle trouvait les traductions existantes inaccessibles aux Occidentaux. Ce ne sont pourtant pas celles-ci qui manquent. En 1989, Muhammad Hamidullah (auteur lui-même d’une traduction en français) en dénombrait cent soixante-quinze en anglais, soixante-dix en français et soixante en allemand.
Laleh Bakhtiar a buté au moins trois mois sur le verset controversé. Daraba a été rendu en anglais par les verbes équivalents de battre, frapper, donner des coups, fouetter, châtier, fesser, donner une tape et même câliner et séduire. Rien qui la satisfasse. Jusqu’à ce que la solution s’impose à elle dans un dictionnaire du XIXe siècle signé par un certain Edward William Lane. Là, dans les six pages de définition du mot daraba, elle a trouvé « partir » (to go away, en anglais). « Oh ! C’est ce que Dieu a voulu dire, s’est-elle exclamée. Quand Mohammed avait des difficultés avec ses épouses, que croyez-vous qu’il faisait ? Il ne frappait personne, alors pourquoi un musulman ferait ce que le Prophète ne faisait pas. »
Après plus de sept ans de travail, la traduction est enfin sortie en avril chez Kazi Publications, un éditeur de Chicago. Laleh Bakhtiar s’attend aux plus vives critiques, et pas seulement parce qu’elle n’est pas une spécialiste de l’islam. Dans le monde musulman, beaucoup d’hommes contesteront l’idée même qu’un Américain, qui plus est une femme, se permette de réinterpréter le Coran.
Par-delà ces préjugés, il est un fait pourtant difficilement contestable : selon les connaisseurs de la langue arabe, daraba ne peut guère signifier autre chose que battre. C’est le terme même que l’on retrouve dans la traduction de Kasimirski (disponible chez GF-Flammarion, 1970). Dans celles de Muhammad Hamidullah (Club français du livre, 1959), de Denise Masson (Gallimard, 1967), de Jean Grosjean (Philippe Lebeau, 1988), de René Khawam (Maisonneuve & Larose, 1990), de Régis Blachère (Maisonneuve & Larose, 1999), le verbe retenu est « frapper ». Et si Sadok Mazigh (Les Éditions du Jaguar, 1985) et Jacques Berque (Albin Michel, 1995) parlent de « corriger », alors que Si Hamza Boubakeur (Maisonneuve & Larose, 1995) préfère, lui, « sévir », il y a comme une unanimité sur la question.
Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il faut prendre nécessairement le verset coranique en cause, ainsi que bien d’autres d’ailleurs, au pied de la lettre. Tout comme la Bible, au demeurant, où il est question de lapider des gens à mort. Cité par le New York Times, Cheikh Ali Gomaa, haut mufti d’Égypte, affirme que les versets coraniques doivent être appréhendés à travers le prisme de l’époque.
Bien connu des lecteurs de Jeune Afrique, l’historien tunisien Mohamed Talbi propose quant à lui une lecture vectorielle du Coran. Ce dernier est « descendu » (ou a été révélé) dans un milieu, l’Arabie du VIIe siècle, où frapper les femmes était une pratique courante. En réglementant celle-ci, Dieu a voulu en limiter les abus dans un premier temps, mais il a aussi indiqué la direction à suivre, à savoir l’interdiction totale de cette pratique, qu’il réprouve. Mohammed, qui ne pouvait être que son meilleur interprète, n’a d’ailleurs jamais failli dans sa condamnation des violences faites aux femmes.

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