[Tribune] – Mali : Amadou Toumani Touré, le « soldat de la démocratie » devenu général pacifiste
Élu deux fois président, renversé et exilé, pardonné et réhabilité… ATT, disparu le 10 novembre, reconnaissait ses limites. Tout en se disant fier de ses réussites.
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Oswald Padonou
Docteur en sciences politiques. Enseignant et chercheur en relations internationales et études de sécurité
Publié le 12 novembre 2020 Lecture : 3 minutes.
Le général Amadou Toumani Touré [ATT] est mort ce 10 novembre. Alors que les Français célèbrent le cinquantenaire de la disparition du père de la Ve République, le général Charles de Gaulle, les Maliens, eux, pleurent le « soldat de la démocratie ». Celui qui, à la tête d’un groupe d’officiers, avait mis fin à la dictature du général Moussa Traoré en 1991, conduit une transition et remis le pouvoir au président civil élu, Alpha Oumar Konaré, auquel il avait succédé en 2002.
Avant d’être lui-même renversé par un coup d’État à deux mois de la fin de son second mandat, en 2012, Amadou Toumani Touré avait gouverné le Mali en se fondant sur une certaine idée du « consensus politique », laquelle lui avait permis d’associer toute la classe politique malienne à la gestion du pouvoir, tout en favorisant le développement d’une société civile et d’une presse relativement libres : c’était l’âge d’or de la démocratie malienne.
Le modèle de gouvernance prôné par ATT était salué partout dans le monde alors même que couvait l’affaiblissement de l’État du fait de la corruption des élites et du clientélisme. Surexploitée et finalement dévoyée, cette politique du consensus a eu raison du régime d’ATT, puis a consacré la partition du pays et l’insécurité généralisée.
Sagesse
Pourtant, le général parachutiste n’avait rien d’un chef sans autorité ou d’un président défaitiste. C’était un patriote fier d’appartenir à la grande nation malienne. Il exerçait le pouvoir avec sagesse et en usait pour apaiser les tensions, comme en 2001, lorsque Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, l’avait envoyé en Centrafrique en tant qu’envoyé spécial.
À l’image du général suisse Guillaume Henri Dufour, cofondateur avec Henri Dunant du Mouvement de la Croix-Rouge, ATT était un général pacifiste. Il chérissait la paix et la stabilité… au point de manquer de préparer la guerre. Or, si vis pacem para bellum (« si tu veux la paix prépare la guerre »).
Un homme simple, paisible, qui semblait habité par la grâce
Par un heureux concours de circonstances, j’ai brièvement rencontré le président ATT en décembre 2007 au Sofitel L’Amitié de Bamako. Il y raccompagnait son ami Jacques Chirac, en visite au Mali dans le cadre d’une tournée africaine post-élyséenne.
J’avais alors découvert un homme simple, paisible, qui semblait habité par la grâce. L’allure ultra élégante dans l’un de ses innombrables boubous trois pièces immaculés que venait invariablement compléter un indispensable couvre-chef, il affichait pourtant le sourire d’un homme préoccupé.
Un paria dans son propre pays
Comme tous les dirigeants qui ont marqué leur pays et leur époque, ATT n’a pas connu que des heures de gloire. Après sa chute et son exil dakarois, il était quasiment devenu un paria dans son propre pays, portant seul – et dans le silence – le poids symbolique de la culpabilité face à la déchéance qui frappait le pays… Avant d’être « pardonné » et « réhabilité ».
Quel héritage ATT laisse-t-il au Mali et à la postérité ? La réponse la plus pertinente nous est donnée par l’ancien président lui-même, dans un entretien-testament diffusé par la première chaîne de télévision malienne, ORTM 1, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance.
L’œil pétillant, visiblement requinqué depuis son retour au bercail, il s’étonnait d’avoir été élu deux fois président, lui le candidat indépendant, alors même que le multipartisme instauré en 1992 avait vocation à favoriser la compétition et l’ascension au pouvoir des candidats issus de partis politiques.
Assurance-maladie, logements sociaux… de réels motifs de fierté
Il y évoquait sa peur de la prison : trop attaché à la liberté, il lui aurait préféré la mort. ATT parlait aussi de la sympathie que lui manifestaient ses concitoyens, de l’instauration de l’assurance-maladie obligatoire et de la construction de nombreux logements sociaux sous sa présidence, qui étaient somme toute de réels motifs de fierté.
Mais, philosophe, il avait glissé : « L’homme sage, c’est celui qui connaît ses limites. » Il reconnaissait les siennes. Il n’avait pas de prétention particulière et admettait avoir commis des erreurs, voire des fautes. Toute la grandeur d’un général qui aura combattu et négocié, réussi et échoué, été célébré et déchu… pour le Mali.
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