Le métronome conceptuel

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

Les assises de la BAD à Shanghai confirment la position de leader conceptuel que la Chine occupe sur les questions économiques. Il est vrai que l’Europe traverse une crise d’identité, que les États-Unis ne se relèvent pas du 11 Septembre et que les institutions de Bretton Woods sont plongées dans une profonde crise de crédibilité.
En accueillant quelque 2 500 conférenciers de la BAD, la Chine a beau jeu de montrer que l’initiative ne vient plus de l’Ouest. En plus d’elle, il y a les forces progressistes qui reprennent du poil de la bête dans le Tiers Monde, les économies performantes du Sud soucieuses de s’affranchir de l’Occident et les investisseurs privés qui ont compris le parti qu’ils peuvent tirer de la défaillance des institutions financières internationales et de leurs parrains étatiques du Nord.

Chef de file de ces acteurs qui s’affirment sur la scène internationale, la Chine a le loisir de les structurer autour d’un axe novateur Est-Sud. Exit donc l’axe Nord-Sud, qui a échoué. Son intérêt national lui dicte ce choix qui peut l’aider à réaliser son objectif de devenir, au cours de ce siècle, une grande puissance pacifique, quitte à déroger à l’orthodoxie communiste. Cette ambition se traduit par ses actes et des événements qu’elle abrite, dont le point culminant sera les jeux Olympiques de 2008, suivis, deux ans plus tard, de l’Exposition universelle de Shanghai. Tous ces événements, y compris le sommet sino-africain de novembre 2006, participent d’une volonté de la Chine de se poser en métronome conceptuel pour les autres nations.
Ses prétentions, elle les doit au modèle de développement, surtout économique, qu’elle a bâti. La Chine a sorti de la misère plus de 400 millions de ses citoyens. Le pays agraire qu’elle était il y a vingt-cinq ans dispose maintenant de plus de 1 000 milliards de dollars de réserves de change. Elle est devenue source d’inspiration pour les pays et institutions du monde occidental qui se tournent vers elle pour épouser la thèse, en vogue, du patriotisme économique. Beaucoup ont copié son soutien au financement des infrastructures dans les pays en développement. On ne rit plus de son froid réalisme à traiter avec tous les États, la souveraineté guidant son action. Sa flexibilité en matière de prêts fait aussi école. Tous essayent de comprendre pourquoi elle trouve sage parfois de financer certains projets non rentables dans le court terme.
Devenue le bailleur préféré des États africains, la Chine est la référence de ses dirigeants publics. Elle leur a permis de retrouver le lustre qu’ils avaient perdu dans le monologue directif qui leur était imposé par l’Europe, les États-Unis et leurs officines technocratiques. Son leadership conceptuel permet aux pays africains de contester les recettes économiques néolibérales et de s’en prendre à la légitimité de son pendant politique d’autant que la faillite de plusieurs expériences démocratiques sur le continent jette le désarroi sur ce modèle.
Nombreux sont ceux qui se demandent s’il ne faut pas en revenir aux thèses développementalistes des années 1960. Elles prônaient l’union sacrée pour réaliser les objectifs les plus urgents du développement. Comment ne pas vouloir les remettre au goût du jour face aux farces électorales coûteuses que l’on constate dans tant de pays africains sans pour autant faire avancer la bonne gouvernance ni réduire la corruption ? L’État chinois se distingue par son refus d’imposer ses valeurs. Il se contente d’être un Léviathan moderne assurant sécurité et relatif bien-être en échange de la discipline que lui concèdent les citoyens. Cet État met en place les infrastructures ici considérées comme des fondamentaux indispensables pour être compétitif dans un monde où les enjeux géoéconomiques sont si difficiles à arbitrer que même l’OMC s’y perd.

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La Chine sait s’adapter. Après les accusations de néocolonialisme brandies contre ses représentants, c’est le président Hu Jintao lui-même qui est monté au créneau pour exiger qu’ils garantissent la qualité de leurs prestations, fassent attention à leur image et remplissent leurs responsabilités sociales institutionnelles. Quel autre partenaire du continent a eu autant de courage à admettre ses faux pas ou à vouloir les corriger ?
Les Chinois tiennent aussi leurs promesses ; elles tranchent avec celles non tenues par les alliés traditionnels du continent qui ne consacrent toujours pas à son développement les 0,7 % de leur PNB, tandis que certaines dettes qu’ils ont annulées ont eu pour effet de fermer les portes aux capitaux privés. Ironiquement, la percée de la Chine en Afrique a été facilitée par l’ajustement structurel qui a réhabilité l’État actif dans le développement. Comme la Chine. Ce modèle mérite d’être regardé à la loupe. Sans peur de critiquer ses dérives possibles. C’est le sens des retrouvailles sino-africaines de Shanghai.

*Auteur de Chine-Afrique : le dragon et l’autruche, éd. L’Harmattan.

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