L’Afrique dans les gènes !

Privés d’archives généalogiques du fait de l’esclavage, les Noirs recourent de plus en plus à des tests d’identité génétique pour connaître les origines ethniques ou géographiques de leurs aïeux.

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

La généalogie est à la mode. Surtout dans les pays anglo-saxons, où la recherche de ses ancêtres par la génétique fait fureur. Moyennant quelques centaines d’euros, des laboratoires aux États-Unis ou en Grande-Bretagne proposent des tests d’identité génétique qui permettent à chacun de connaître les origines ethniques ou géographiques de ses aïeux. Ces tests sont particulièrement populaires parmi les Noirs des États-Unis, mais aussi de la Caraïbe et de l’Amérique latine qui, privés d’archives généalogiques du fait de l’esclavage, se ruent sur les technologies nouvelles pour connaître leur passé. Le phénomène touche autant la classe moyenne que les stars des médias. Ainsi un test d’ADN effectué lors d’une émission télé a montré que l’actrice Whoopi Goldberg avait de lointaines origines en Guinée-Bissau. Parmi les autres célébrités noires qui ont sacrifié au rituel figurent la présentatrice de télévision Oprah Winfrey, qui a appris qu’elle avait du sang zoulou, et le réalisateur Spike Lee, qui, lui, aurait des racines camerounaises.
Le succès que connaissent ces recherches généalogiques s’explique par l’importance que revêt pour ces hommes et femmes le passé africain dont leurs ancêtres furent arrachés avec la violence que l’on sait. Ce passé est d’autant plus obsédant que l’histoire n’a pas gardé de traces des lieux ou des tribus dont les esclaves étaient originaires. On sait que l’essentiel des contingents venait des régions côtières de l’Afrique de l’Ouest, mais les esclavagistes n’hésitaient pas à pénétrer à l’intérieur des terres pour rentabiliser au maximum les traversées de l’Atlantique. Cependant, dès le moment où les esclaves mettaient le pied dans les bateaux, tout était fait pour gommer leurs origines ethniques et géographiques afin qu’ils ne puissent pas se solidariser et comploter contre leurs maîtres. Puis, au fur et à mesure qu’ils se sont acclimatés à leur nouvel habitat, leur origine africaine s’est estompée au profit d’une identité africaine-américaine originale née de mariages entre esclaves, mais aussi de leur histoire spécifique, faite d’exploitation et de métissage. Nombreuses furent les femmes noires à porter des enfants de leurs maîtres suite aux viols qui étaient monnaie courante dans l’Amérique esclavagiste. Parfois s’établissaient des rapports plus complexes entre maîtres et esclaves. La longue liaison entre l’esclave Sally Hemmings et Thomas Jefferson, le troisième président des États-Unis, en est l’exemple le plus connu. Les généticiens ont démontré récemment que le président volage avait bien eu un enfant adultérin avec sa maîtresse mulâtre !
L’engouement des Noirs américains pour leurs origines a été magistralement illustré par Alex Haley dans son roman culte Roots : The Saga of an American Family, paru en 1976. Ce livre, traduit en français sous le titre Racines, raconte l’odyssée des Haley depuis la capture et l’embarquement du premier esclave de la famille – le célèbre Kinta Kunté -, dont l’auteur avait réussi à retrouver la trace parmi les Mandingues de Gambie. Le livre a connu en son temps un succès exceptionnel et donna lieu à une minisérie télévisée qui passionna l’Amérique entière.
Si l’intérêt des Noirs américains pour leur passé africain ne date pas d’aujourd’hui, il a fallu attendre les progrès de la science et la vulgarisation des tests d’identité génétique pour que le phénomène touche le grand public. Aux États-Unis, 73 % de la population se dit intéressée par la recherche généalogique, et pas moins d’une dizaine de laboratoires proposent des analyses de pedigree fondées sur la génétique. African Ancestry, créé en 2003, en est un. Pour son fondateur, Rick Kittles, professeur de médecine génétique à l’université de Chicago, tout a commencé en 1991. C’est en prélevant des gènes sur 400 cadavres africains du XVIIIe siècle, déterrés en plein Manhattan par des ouvriers d’un chantier de construction, qu’il a eu l’idée de constituer une base de données des ADN africains. Riche aujourd’hui de 25 000 échantillons, ce répertoire est le principal outil de travail des laborantins d’African Ancestry. « J’ai toujours été obsédé par le mystère de mes origines africaines, mais chaque fois que j’ai eu recours à la recherche généalogique traditionnelle, j’ai eu l’impression de me retrouver face à un mur, explique Kittles. Mais en tant que généticien, j’étais convaincu que nous saurions un jour franchir ce mur. »
C’est précisément parce qu’ils veulent franchir le mur qu’est leur histoire que de plus en plus d’Africains-Américains font appel aux services du laboratoire de Kittles. Il leur suffit d’envoyer par la poste un coton-tige imbibé de salive et accompagné d’un formulaire dûment rempli autorisant l’enregistrement des données sur un fichier sécurisé. Les chromosomes prélevés sur la salive sont alors comparés aux échantillons figurant sur la base de données d’African Ancestry. Dans un délai maximum de quatre à six semaines, le client est informé par courrier postal des résultats de la recherche. Ceux-ci comprennent le nom et l’origine géographique de l’ethnie ayant le même profil génétique et avec laquelle le sujet est susceptible d’avoir des liens de parenté. Certes, ces résultats ne disent pas toute la vérité, car, comme les laboratoires concurrents d’African Ancestry n’hésitent pas à le rappeler, les gènes de la lignée maternelle des Africains ont subi tellement de mélanges qu’il est impossible d’affirmer que le sujet a des liens de parenté avec une seule ethnie ou une seule région. Pourtant, rares sont des clients à faire des réclamations au laboratoire. Au contraire, ils remercient Rick Kittles de leur avoir permis de renouer avec un passé qui ressemblait jusque-là à un trou noir. Après le test, ils se sentent moins éclatés, plus entiers. Mais aussi peut-être plus pacifiés et réconciliés avec eux-mêmes, comme l’a écrit John Simons du magazine Fortune, après avoir lui-même fait le test et appris que ses ancêtres appartenaient sans doute aux Mendes de la Sierra Leone. Simons conclut son long article autobiographique en proclamant : « Je me sens plus africain, mais aussi, bizarrement, plus américain ! »

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