Jours tranquilles à Libreville

Érigé en principe de gouvernement, le consensus politique assure la stabilité du pays, mais ne fait pas l’unanimité au sein de la population.

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

Passé les législatives de décembre 2006, Libreville, à l’image du reste du pays, coule des jours tranquilles sous les pluies équatoriales. La recomposition – très limitée – du paysage politique gabonais n’a en rien ébranlé les fondements du régime dirigé par Omar Bongo Ondimba depuis bientôt quatre décennies. Et le palais du Bord de mer reste plus que jamais le centre névralgique du pouvoir.
À l’issue des consultations, l’Assemblée nationale a été renouvelée à l’avantage du Parti démocratique gabonais (PDG) et de sa « coalition présidentielle », qui se sont adjugé une confortable majorité : 98 sièges sur les 120 que compte la Chambre leur sont acquis. En face, le bouleversement de la hiérarchie pressenti au sein de l’opposition s’est réalisé. L’Union du peuple gabonais (UPG) de l’énergique Pierre Mamboundou a réalisé une percée timide au Parlement et constitue désormais la deuxième force politique du pays avec 7 députés. Elle relègue au troisième rang le Rassemblement pour le Gabon (RPG) de l’ancien opposant radical Paul Mba Abessole. Tribun bouillonnant et populaire durant de longues années d’opposition à Omar Bongo Ondimba, il a finalement opté pour un rapprochement avec le régime comme stratégie de conquête du pouvoir. Résultat : il est membre du gouvernement sans discontinuer depuis le 27 janvier 2002, ce que certains de ses anciens partisans ne parviennent pas à lui pardonner. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de persévérer dans cette voie : dans son dernier manifeste intitulé Le Gabon ou le malentendu permanent, publié à compte d’auteur, il magnifie l’entente comme condition de toute action de développement.
La recherche permanente du consensus est la marque de fabrique de la politique gabonaise. Elle est le garant d’une stabilité institutionnelle que lui envient la plupart de ses voisins. C’est elle qui a permis d’apaiser les antagonismes ethniques et favorisé l’agrégation d’une quarantaine de partis politiques autour du PDG. Un député de la majorité justifie l’effectif pléthorique du gouvernement (49 membres) par « une volonté de maintenir les équilibres géopolitiques gabonais. C’est un idéal de construction nationale qui me semble nécessaire à la stabilité du pays ». Seulement, le consensus gabonais, c’est aussi un terrain mouvant sur lequel se sont enlisées les ambitions de plus d’un prétendant à la fonction de président de la République
Ainsi va la « démocratie conviviale » à la gabonaise, qui charrie son lot de désenchantés. Les plus nombreux se recrutent auprès des gens ordinaires, qui ne croient plus en la capacité des hommes politiques à améliorer leurs conditions de vie. Cela explique peut-être en partie les taux d’abstention particulièrement élevés enregistrés au scrutin présidentiel de 2005 (40 %) et aux législatives de décembre 2006 (80 %). Le mal-être est renforcé par un sentiment d’injustice attribué à une redistribution jugée inéquitable de la richesse nationale. Les fruits d’une croissance certes atone ne parviennent toujours pas au citoyen lambda. Le mauvais état des routes et le coût du carburant à la pompe ne favorisent pas la baisse des dépenses de transport, qui grèvent le budget des ménages. Les transports en commun fonctionnent, mais ne répondent plus aux attentes des plus pauvres, de plus en plus nombreux, relégués à la périphérie des villes par les prix des loyers dans les quartiers centraux. Plus de huit Gabonais sur dix vivent en milieu urbain et 16 % d’entre eux n’ont pas de travail. La majorité silencieuse est quotidiennement confrontée à la hausse du coût de la vie. Même les boulangers menacent d’augmenter le prix du pain de 125 à 150 F CFA, mais se heurtent, pour l’instant, à la résistance de la direction générale de la concurrence et de la consommation.
Aussi le gouvernement, pourvu de plusieurs ministères sociaux, affiche-t-il son ambition de lutter contre la pauvreté de la population, d’améliorer l’offre de santé et de lutter contre le sida et le paludisme. Pour relancer la création d’emplois, les autorités misent sur la relance des grands travaux, l’encouragement à la création d’entreprise et l’implantation de la microfinance. Le règlement de dossiers délicats, à l’instar de celui d’Air Gabon, ne doit plus provoquer de drames sociaux. Ainsi les 870 salariés licenciés après la liquidation du pavillon national ont été indemnisés. Certains ont été embauchés ou sont en cours de recrutement au sein de la nouvelle compagnie, Gabon Airlines, qui vole depuis le 11 avril dernier. Ce transporteur, au capital entièrement détenu par des privés gabonais auxquels l’État a cédé les droits de trafic d’Air Gabon, a démarré ses activités par l’ouverture de trois liaisons hebdomadaires sur Paris, alors qu’Air France détenait, depuis l’arrêt des activités d’Air Gabon, le monopole sur les vols directs entre la France et Libreville. L’orgueil national est sauf.
Mais sur le dossier des privatisations, c’est le feuilleton de Gabon Télécom qui défraye la chronique. À la mi-février 2007, l’État a cédé 51 % des actifs de la société à Maroc Télécom, elle-même filiale de Vivendi. « C’est la première fois qu’une privatisation suscite une contestation de l’intérieur de l’appareil politico-administratif », assure un journaliste librevillois. Comité de privatisation et cadres dirigeants de Libertis, la filiale de Gabon Télécom spécialisée en téléphonie mobile, se disputent par médias interposés. Pour les premiers, la cession de l’entreprise est un marché de dupes : l’État aurait cédé « trop facilement » au repreneur marocain une entreprise qui en valait plus. Gabon Télécom a été vendue 40 milliards de F CFA (61 millions d’euros), alors qu’elle a investi 42 milliards ces six dernières années pour moderniser l’outil de production. La valeur des actifs de l’entreprise serait donc passée de 152 milliards en juillet 2001 à 219 milliards de F CFA à la date de sa privatisation. Ce que le comité de privatisation conteste, mettant en avant l’érosion continue des parts de marché tant sur la téléphonie fixe que sur le mobile, la démesure de la masse salariale, ainsi que ses résultats financiers catastrophiques Au regard de la proposition de l’opérateur marocain (17 milliards de F CFA), le prix de cession a fait l’objet d’intenses tractations Quoi qu’il en soit, l’ouverture du capital de Gabon Télécom ne va pas tout résoudre : licenciements, réduction des frais généraux et assainissement financier s’imposent avant tout investissement.
Curieusement, même sur ce dossier polémique, les adversaires du régime sont restés discrets. Ce qui n’empêche pas Zacharie Myboto de parler d’une « nouvelle dynamique de l’opposition gabonaise dans la perspective du changement ». Le leader de l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (UGDD), ancien dignitaire du régime passé à l’opposition en 2005, a gagné quatre sièges à l’Assemblée nationale lors des dernières législatives. Même si l’un des sièges est à reconquérir après l’invalidation du scrutin par la Cour constitutionnelle dans une circonscription du sud du pays. L’ex-secrétaire administratif du PDG a imposé sa formation politique en moins de deux ans et attend les élections locales de décembre prochain pour confirmer son ancrage. D’ici là, dans le sillage de Mamboundou, Myboto entend bien se faire entendre au Parlement et sur une scène politique en perpétuelle recomposition. Au risque d’égarer les électeurs Des opposants radicaux se ralliant au pouvoir, tandis que les apparatchiks de la mouvance présidentielle se muent en adversaires ambitieux : ainsi va le jeu de chaises musicales dans le microcosme gabonais.

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