Jean Eyeghé Ndong : « Je veux favoriser la justice sociale »

Le Premier ministre entend poursuivre les chantiers engagés en janvier 2006, lors de sa nomination à la tête du gouvernement.

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 7 minutes.

Personne ne l’attendait à ce poste. C’est peut-être aussi pour cette raison qu’Omar Bongo Ondimba l’a choisi. Nommé à la tête du gouvernement le 21 janvier 2006, Jean Eyeghé Ndong, un Fang de 61 ans, en remplace un autre (comme le veut la pratique), Jean-François Ntoutoume Emane. Du haut du troisième étage lambrissé de la primature, cet homme mal connu de ses compatriotes s’emploie à faire oublier sa fulgurante ascension, qui l’a vu passer de ministre délégué à l’Économie et aux Finances au poste de Premier ministre. Bien que militant de la première heure, il ne fait pas partie des hiérarques du Parti démocratique gabonais (PDG). Diplômé en sciences politiques et en sciences sociales, Eyeghé Ndong connaît bien les dossiers économiques. Timide et réservé, il n’a pas hésité à partir à la conquête de la deuxième circonscription de Libreville aux législatives de 1996 contre le candidat du Rassemblement national des bûcherons (RNB, rebaptisé depuis le Rassemblement du peuple gabonais) de Paul Mba Abessole. Passé par la direction générale de la Caisse nationale de la Sécurité sociale (CNSS) en 1990 et celle de la Caisse nationale de garantie sociale (CNGS) en 1991, Eyeghé Ndong multiplie les mesures sociales. Réussira-t-il pour autant à conjurer la « malédiction » du Gabon, pays détenteur de vastes ressources pétrolières et minières qui ne parvient pas à endiguer la pauvreté ?

JEUNE AFRIQUE : À l’issue de cette période électorale, quelles sont les priorités du gouvernement ?
JEAN EYEGHE NDONG : Le président a été élu sur la base d’un projet de société tenant compte du fait que les conditions sont désormais réunies pour opérer une relance économique du pays. Pour ce faire, il souhaite privilégier les secteurs porteurs de croissance. Notre objectif est donc de mettre en uvre cette politique économique et de faire reculer la pauvreté dans l’ensemble du pays. Car le phénomène a tendance à s’aggraver. Notre action doit favoriser la justice sociale. Je ne veux pas d’un Gabon des nantis et d’un Gabon des pauvres.

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JEUNE AFRIQUE : Le président réélu, le PDG pourvu d’une confortable majorité parlementaire, vous-même reconduit dans vos fonctions, l’environnement politique semble se prêter aux réformes
JEAN EYEGHE NDONG : L’environnement politique est un élément important, car un pays dont les institutions ne fonctionnent pas et dont la paix est menacée ne peut pas mettre en uvre une politique économique. De ce point de vue, le Gabon fait preuve d’une stabilité remarquable. Les élections s’y déroulent dans des conditions satisfaisantes, en dépit des réclamations inévitables à l’issue de chaque scrutin. C’est l’apanage des jeunes démocraties. Les dernières législatives, et même la présidentielle de novembre 2005, n’ont suscité aucun conflit grave. Plusieurs recours déposés à la Cour constitutionnelle ont abouti à l’invalidation de l’élection de certains acteurs majeurs de la vie politique.

JEUNE AFRIQUE : On a tout de même observé des tensions au sein de votre camp lors des législatives. Vous vous êtes présenté contre le vice-Premier ministre Paul Mba Abessole, alors que vous siégiez dans le même gouvernement que lui. Le climat est-il apaisé ?
JEAN EYEGHE NDONG : Oui, il y a eu des débats parfois très vifs pendant la campagne électorale. Mais dès lors que le scrutin a eu lieu, chacun a repris le travail.

JEUNE AFRIQUE : Avec quels objectifs ?
JEAN EYEGHE NDONG : Actuellement, nous travaillons sur les grands projets arrêtés par le président, notamment l’exploitation de la mine de fer de Belinga qui prévoit la construction d’un chemin de fer long de 560 km reliant Belinga et Boué au port minéralier de Santa-Clara. Ce chantier aura de fortes répercussions, non seulement dans la province de l’Ogooué-Ivindo, mais aussi dans le reste du pays. Outre les emplois directs liés à la mine, des emplois indirects seront créés pour la construction du chemin de fer ou l’aménagement du port de Santa-Clara. On peut également citer les projets d’exploitation de manganèse à Njolé et à Okondja. Des financements sont, en outre, déjà prévus pour l’amélioration du réseau routier, notamment dans le centre et le sud du pays. Enfin, la modernisation et la réfection des aéroports provinciaux sont à l’ordre du jour.

JEUNE AFRIQUE : Où en est la réforme de la Sécurité sociale ?
JEAN EYEGHE NDONG : Il faut dire avant tout que le Gabon est l’un des rares pays africains à disposer depuis des années d’une bonne protection sociale. Malheureusement, la conjoncture économique ne nous a pas beaucoup aidés. Le dispositif s’est fragilisé. Aujourd’hui, les conditions de vie des populations, surtout sur le plan sanitaire, nécessitent la création d’une assurance maladie. L’organisme chargé de la gestion de ce risque existe, mais c’est un processus long et difficile et la caisse d’assurance maladie ne fonctionne pas encore. Il faut d’abord immatriculer les fonctionnaires, les salariés et les personnes économiquement faibles, et définir les modalités de cotisation. Pour les plus démunis, le financement proviendra des impôts, alors que les fonctionnaires cotiseront eux-mêmes avec l’État, qui les emploie. Et il en sera de même pour les travailleurs et les entreprises privées. Nous espérons que cette caisse d’assurance maladie fonctionnera au début de 2008. En attendant, il faut que les établissements hospitaliers soient réhabilités. L’assurance maladie ne vaut que si l’équipement est fiable et moderne. La carte d’assuré ne servirait pas à grand-chose si l’hôpital continuait de recevoir les assurés dans de mauvaises conditions.

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JEUNE AFRIQUE : Ne peut-on pas dire la même chose de la gratuité des soins dans les hôpitaux publics ?
JEAN EYEGHE NDONG : Cette gratuité est une mesure que j’ai prise à la suite d’une visite à l’hôpital général de Libreville. On ne peut pas faire payer les malades si le service n’est pas à la hauteur. Afin de soulager les plus démunis, j’ai pensé qu’on pouvait inscrire l’équivalent du montant de ce que perçoit l’établissement de la part de ses patients dans le budget national. La mesure a été très critiquée parce que les gens se sont rués à l’hôpital et ont engorgé les services. J’ai tenu bon en soutenant que la cause de cet embouteillage résidait dans la mauvaise qualité de l’offre de santé et qu’il n’était pas imputable à la mesure elle-même. Depuis quelques semaines, nous avons réussi à maîtriser la situation, et je reste convaincu que cette mesure profite aux populations.

JEUNE AFRIQUE : Les Gabonais semblent très préoccupés par l’érosion de leur pouvoir d’achat
JEAN EYEGHE NDONG : Parmi les premières mesures que j’ai proposées au président figurait la revalorisation du Smig (salaire minimum interprofessionnel garanti), qui est passé de 44 000 à 80 000 F CFA. On s’est inquiété des conséquences sur l’ensemble des secteurs d’activité et de ses effets transversaux. À titre d’exemple, un fonctionnaire qui emploie une femme de ménage payée au Smig s’est vu dans l’obligation d’augmenter son salaire, puis de se tourner à son tour vers son employeur, l’État, pour réclamer une augmentation Toujours est-il que le président a accepté cette mesure, car cela faisait plus de vingt ans que le Smig n’avait pas été augmenté. Cette décision a un peu perturbé nos relations avec le FMI, mais nous sommes convaincus qu’elle était nécessaire pour préserver la paix sociale.

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JEUNE AFRIQUE : Où en êtes-vous avec l’assainissement des finances publiques ?
JEAN EYEGHE NDONG : Des efforts sont faits depuis plusieurs années. C’est une des conditions imposées par le FMI. La situation s’est améliorée en 2004 et en 2005, où nous avons connu, sur la fin, un léger déséquilibre pour cause d’élection présidentielle. Tout comme en 2006 à cause des élections législatives. Pour réduire les dépenses publiques, un réajustement a été opéré au ministère de l’Économie et des Finances, ce qui nous a permis de renouveler l’accord avec le FMI. Malgré tout, nous continuons ce travail parfois douloureux, comme celui qui consiste à contenir la masse salariale. Lorsqu’on nous demande de supprimer les aides, c’est bon pour l’équilibre budgétaire, mais cela engendre des difficultés sociales. Nous subventionnons par exemple 40 milliards de F CFA de bourses aux étudiants chaque année. L’État peut-il du jour au lendemain décider de ne plus les accorder ? Il est important de dépenser plus efficacement et d’arrêter le gaspillage des ressources.

JEUNE AFRIQUE : Sur le front des privatisations, le prix payé par Maroc Télécom pour acquérir Gabon Télécom a fait l’objet d’un débat
JEAN EYEGHE NDONG : J’observe que l’opinion gabonaise a du mal à accepter les privatisations. Les critiques n’épargnent ni la privatisation de la SEEG (Société d’énergie et d’eau du Gabon), ni celle de Gabon Télécom, parce que, pense-t-on, ces entreprises stratégiques relèvent de la souveraineté nationale. Rien n’oblige l’État à céder ses entreprises. Mais dès que leur cession permet de garantir la pérennité du service, il faut le faire.
Il y a eu une campagne de presse contre la privatisation de Gabon Télécom, mais le gouvernement n’a pas hésité à franchir le pas. Car plus le temps passait, plus l’entreprise se dépréciait. Si nous avions attendu davantage, nous aurions dû la vendre au franc symbolique. La campagne qui a été menée est le fait de personnes de mauvaise foi qui connaissent la réalité comptable de cette entreprise. Il faut dire aux Gabonais qu’en dépit d’un éventuel plan social, cette opération a permis de sauvegarder ?des emplois et d’assurer la pérennité des services.

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