« J’ai vu naître le roman de Calixthe Beyala »

Le dernier livre de la romancière franco-camerounaise raconte un amour fou entre une écrivaine noire et un célèbre animateur télé blanc. Témoin privilégié de cet épisode, notre collaborateur nous révèle comment une histoire vraie est devenue une fiction.

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

Ce pourrait être une histoire tout à fait banale. Le coup de fil d’une amie parisienne qui m’appelle un jour à Londres, il y a deux ans, pour me donner de ses nouvelles et me faire une importante confidence. « Je suis amoureuse, je vis le grand amour, je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie » Il n’y a rien d’extraordinaire à une telle confidence d’un ami ou d’une amie. Pourtant, cette fois, l’histoire est tout sauf banale. Car cette amie n’est pas n’importe qui. Il s’agit de Calixthe Beyala, la célèbre romancière franco-camerounaise. Et à la question de savoir qui est l’heureux élu de sa folle passion, sa réponse me laisse K.-O. : « C’est une star de la télévision. L’animateur préféré des Français, celui-là même qui nous donne rendez-vous tous les dimanches » Si j’avais eu un doute sur l’identité de l’amoureux, Calixthe Beyala me confirma qu’il s’agissait bien de celui auquel je pensais. Elle ajouta : « Mon frère, tu le gardes pour toi. »
Je n’ai pas eu à garder le secret bien longtemps. Car l’homme a très vite choisi de s’afficher avec sa conquête dans les meilleurs restaurants et dans les lieux prisés du tout-Paris. Cette histoire d’amour, avant d’entrer dans la légende des romans sur la passion amoureuse, allait devenir une relation dont le milieu de l’édition et de l’audiovisuel parisien ferait ses gorges chaudes pendant près de deux ans.
Décembre 2005, de retour d’un voyage en Afrique, je trouve un message téléphonique de Calixthe Beyala qui m’informe qu’elle est de passage à Londres avec son amoureux. Elle souhaite, m’indique-t-elle, me le présenter et me demande de la rappeler à leur hôtel. Ce que je fais tout de suite pour m’entendre annoncer par une standardiste que le couple vient de quitter l’hôtel.
Je n’ai jamais rencontré « l’homme qui offrait le ciel » à la romancière franco-camerounaise. Pourtant, l’ombre de son personnage m’a poursuivi, rattrapé et habité pendant de longs mois par l’un de ces étranges phénomènes qui transforment en légende l’aventure d’êtres humains de chair et de sang et, dans le cas d’espèce, la réalité en fiction. À notre époque, la légende est souvent la fille de la rumeur. Dans cette histoire, la réalité va se confondre à la fiction au point de la dépasser et au risque de la tuer.
Quelques jours après le rendez-vous manqué de Londres, j’ai rappelé l’écrivaine. « Cet homme m’a rendu heureuse comme jamais je ne l’ai été. » Résumée en une phrase, telle est la substance de ce que j’ai retenu de tout ce qu’elle m’a dit en plus d’une heure de conversation. Or, à peine six mois plus tard, de passage à Paris, je tombe sur une Calixthe Beyala déprimée, amaigrie, la mine pâle et le moral en berne. Alors que je m’inquiète de son état, elle m’apprend qu’elle a un gros chagrin d’amour. « L’homme qui lui offrait le ciel » venait de mettre un point final à leur aventure. « Il m’a quittée, m’explique Calixthe, parce que sa femme a menacé de se suicider Parce qu’il a dû choisir entre notre amour et sa carrière à la télé. Parce que c’est sa femme qui gère leur business »
J’étais à Paris pour un séjour d’une durée indéterminée. Calixthe Beyala me proposa de rester chez elle, le temps de trouver un appartement. « Je suis seule dans cette grande maison. Les enfants sont partis. Lou est chez son oncle en Afrique et son frère bosse à Londres. Au moins, tu pourras m’aider à tenir. J’ai passé une semaine à pleurer, j’étais si mal en point que j’ai failli me donner la mort. »
Et c’est ainsi que j’ai pénétré dans l’univers sentimental de celui qui n’était pas encore François Ackerman, le personnage du roman. J’ai rencontré et cohabité avec son ombre qui pesait dans la grande et belle maison de la banlieue parisenne. Calixthe Beyala m’a fait lire des dizaines de ses textos passionnés. Le premier que j’ai lu est le dernier repris dans le roman : « Si tu m’aimes, il faut que tu admettes que nous ne vivrons jamais ensemble Je sais que je vais être très malheureux, je vais me noyer dans le travail, je veux garder de notre histoire un souvenir éblouissant. Je t’aimerai toujours. » J’ai vu ses photos dédicacées, la bague en diamant qu’il a offerte à celle qu’il disait aimer
« L’alliance crépitait dans le rouge de son écrin. Elle brillait telle l’argenterie d’une grande famille, vivante, chaleureuse, pourvoyeuse de rêves ondoyants
– Cette alliance signifie que tu es la femme de ma vie, Andela, me dit-il les yeux débordant d’émotion. »
Et puis j’ai observé l’écrivaine vaincue, la femme meurtrie, blessée, humiliée, luttant contre la douleur d’aimer, le cur brisé. Elle ne me parlait que de lui en avalant des litres de thé et en brûlant des paquets de cigarettes. « Je déjeunai d’angoisse, bus le thé amer de la déception en fumant tant de cigarettes que le bon Dieu dut y voir noir », affirme Andela, la narratrice de L’homme qui m’offrait le ciel. « Des jours et des jours je pleurai, me mouchai, bus mes larmes, me mouchai à nouveau, inondai mes draps de tout ce flux qui sortait de moi », ajoute-t-elle plus loin.
Calixthe me retenait jusqu’à 3 heures du matin pour ne parler que de lui. Pour me dire et redire combien ils s’étaient aimés. Elle me parlait de leurs voyages, de l’enfant qu’il projetait d’avoir avec elle. Elle se demandait, elle me demandait pourquoi il avait été aussi lâche. Elle passait des heures et des heures au téléphone à ne parler que de cet amour trahi à ses copines.
Elle s’emportait à en mourir en ressassant cette phrase assassine de François Ackerman à Andela dans le roman : « Que vont dire la presse et la France profonde si on apprenait que j’ai quitté ma femme pour une femme noire ? » Cette phrase combien de fois ne l’ai-je pas entendue d’elle, pour souligner que le racisme se niche toujours quelque part.
En fait, pour moi, l’histoire portait en elle-même tous les ingrédients d’un roman sur l’amour impossible. Mais l’histoire aurait pu se terminer là. Sauf que la femme blessée est une romancière. La littérature nous a gratifiés de tant de grands romans inspirés par la douleur d’aimer.
J’ai vu naître page après page le livre de Calixthe Beyala. J’ai vu se transformer la femme et l’écrivaine sous mes yeux. Quarante-cinq jours lui suffiront pour faire rentrer cette histoire vraie dans la fiction. Ce fut une véritable rédemption, une résurrection. Je l’ai vue renaître progressivement à mesure que le livre prenait forme. Et lorsqu’elle arriva au point final, le miracle s’était accompli : « C’est étrange, Michael, je ne ressens plus rien pour lui. Je ne l’aime plus. Je suis guérie de la maladie d’amour », me dit-elle, surprise elle-même. Elle s’était transformée. Elle avait retrouvé sa bonne humeur, son charme et ses couleurs.
En lisant L’homme qui m’offrait le ciel, ce roman que j’ai vu naître, je ne pouvais pas ne pas ressentir quelque émotion sur ce que cette histoire m’a révélé : si la création est sans doute une des meilleures thérapies du chagrin d’amour, celui-ci restera toujours la meilleure source d’inspiration du créateur.
Magnifique poème d’amour, ce livre témoigne pour toutes ces femmes, noires, blanches ou jaunes qui ont aimé d’un amour pur des prédateurs, mariés, puissants et célèbres et qui, du jour au lendemain, ont été abandonnées et sacrifiées pour ne pas affecter l’ascension ou le rayonnement de leur prince charmant.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires