Démobilisation générale ?

Un mois après les sanglants attentats d’Alger et à quelques jours des législatives du 17 mai, reportage dans une capitale qui tente d’oublier. Sans pour autant se passionner pour l’échéance électorale à venir.

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

Le visiteur qui débarque à Alger en ce mois de mai aura bien du mal à l’admettre. Est-ce vraiment cette ville qui, le 11 avril, a été secouée par deux terribles explosions ayant fait une trentaine de morts ? S’agit-il bien de cette capitale dont on dit que les habitants sont encore sous le choc, terrorisés à l’idée de replonger dans les affres du terrorisme qui a endeuillé le pays au cours de la dernière décennie ?
Un mois après les attentats, force est pourtant de le constater : la ville retrouve son calme et tente d’oublier. Bien sûr, la crainte de nouvelles attaques est présente dans tous les esprits, mais il n’empêche : les rues sont noires de monde, les embouteillages monstrueux, les cafés pleins à craquer, les magasins ouverts bien après la tombée de la nuit, et les grands hôtels, envahis par des cohortes d’hommes d’affaires étrangers, affichent complet jusqu’à la fin de l’année. Dans le centre-ville, des ouvriers appliquent une dernière couche d’enduit sur le Palais du gouvernement. Partiellement détruit par une voiture piégée lors des attentats du mois d’avril, l’imposant immeuble qui abrite les autorités a été reconstruit en un temps record. Des drapeaux neufs flottent à nouveau au sommet du bâtiment, comme pour conjurer la mort et effacer les traces de la désolation. La surveillance a été renforcée autour des commissariats et des édifices publics alors que barrages et contrôles de police se sont accrus en ville comme à sa périphérie. « Les Algériens reviennent de l’enfer, affirme Aziz, photographe dans une agence de presse internationale. Ce ne sont pas deux attentats qui, aujourd’hui, vont les obliger à se terrer chez eux. Ils ont connu bien pire, alors la vie reprend ses droits. »
Reste que si les Algérois respirent à nouveau, ils ne se montrent guère enthousiastes à l’idée d’aller voter le 17 mai prochain pour élire leurs députés. Plus de deux semaines après l’ouverture de la campagne électorale, les vingt-quatre partis en lice pour les législatives comme les candidats indépendants peinent à mobiliser les foules. Faute d’assistance, certains meetings ont même dû être annulés. Les états-majors politiques ont beau être sur la brèche et les médias publics matraquer spots officiels et reportages sur le scrutin à longueur de journée, les électeurs affichent une superbe indifférence. Même l’implication directe du chef du gouvernement – patron du Front de libération nationale (FLN) dans la campagne -, et les candidatures de dix neufs ministres ne parviennent pas à susciter l’intérêt. Les panneaux d’affichage restent désespérément vierges. Les rares affiches collées, mal imprimées et parfois illisibles, sont badigeonnées à l’encre ou à la peinture, quand elles ne sont pas carrément arrachées. À la télévision et à la radio, les interventions des candidats, souvent prononcées dans un arabe littéraire que seule une petite minorité de la population comprend, suscitent sarcasmes et moqueries. « L’autre jour, raconte un chauffeur de taxi, j’ai suivi le discours d’un candidat. Pendant cinq minutes, il n’a pas cessé de bafouiller. Comment voulez-vous que je vote pour un député qui n’est pas en mesure d’exprimer clairement ses idées ? Je vais donc m’abstenir. De toute façon, je n’ai plus confiance en nos hommes politiques. »
À Alger, comme dans le reste du pays, on préfère parler du championnat de football national, de la prochaine finale de la ligue des champions entre Liverpool et le Milan AC ou de l’élection présidentielle en France. « Quand je vois la qualité des débats sur les chaînes françaises, je me dis que nos politiques ne sont que des amateurs », soupire un homme d’affaires. Largement suivie grâce aux antennes paraboliques, la campagne présidentielle française a donné lieu à des joutes passionnées jusque dans les coins les plus reculés d’Algérie. À la maison, au bar, dans les salons de coiffure, et bien sûr dans les colonnes de la presse locale, on n’en finit pas de refaire le match qui a opposé Ségolène Royal à Nicolas Sarkozy. À tel point que le personnel politique français n’a plus de secret pour l’avocat d’Alger, le banquier d’Oran ou l’enseignante de Blida. « C’est simple, confie un chef d’entreprise, ma femme ne parle que des tailleurs de Ségolène Royal, ma fille envie Rachida Dati et mes amis n’arrêtent pas de s’extasier devant le culot de François Bayrou. » Caricatures ? Une chose est sûre en tout cas : non seulement la présidentielle en France a ravi la vedette aux élections législatives du 17 mai, mais elle a, en plus, contribué à donner un sacré coup de vieux au débat politique algérien.
Perte de confiance, désintérêt, lassitude : rarement, en effet, un scrutin aura suscité autant d’indifférence depuis les premières élections pluralistes de juin 1990. Jadis, les campagnes électorales provoquaient fièvre et passion. Aujourd’hui, seuls les plus convaincus des militants osent afficher leur enthousiasme pour l’échéance à venir. Face au risque d’un taux d’abstention très fort, gouvernement et candidats multiplient les déclarations pour exhorter les électeurs à se rendre aux urnes. Mais le pari est osé : « Les citoyens sont blasés, explique un ancien ministre, lui-même candidat dans une circonscription de la capitale. Ils ne croient plus aux promesses des politiciens. Et malheureusement, le bilan de l’Assemblée sortante ne plaide pas en faveur de la réhabilitation de la vie politique dans notre pays. »
Dominée par les trois partis de l’alliance présidentielle – le FLN, le Rassemblement national démocratique (RND) de l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia et le Mouvement de la société pour la paix (MSP) de l’islamiste Bouguerra Soltani -, la Chambre basse du Parlement, élue en mai 2002, est inutile aux yeux de l’opinion publique. Certes, des lois importantes y ont été votées (comme celle du code de la famille, du code civil ou du code de la nationalité ), mais elles ont, le plus souvent, pris la forme d’ordonnances présidentielles qui n’ont donné lieu à aucun débat. « L’Assemblée est devenue une simple chambre d’enregistrement, se lamente un ancien parlementaire. Pour nos concitoyens, nous ne sommes que des professionnels de la politique, des rentiers qui ne pensent qu’à leur statut doré. Ils sont convaincus que nous n’avons pas fait grand-chose pour améliorer leur pouvoir d’achat, leur procurer un logement, leur assurer un emploi, réhabiliter les services publics et construire des routes. Bref, ils sont convaincus que nous avons échoué. Pourtant, tous les cinq ans, nous revenons solliciter leur confiance. »
Un constat qui, hélas, fait l’unanimité ou presque chez les éditorialistes comme chez le citoyen lambda et que la campagne actuelle semble conforter. Les programmes politiques alignent des généralités, bien trop éloignées des attentes des Algériens.
Tout n’est pas aussi morose, tempère pourtant un candidat du FLN. « Depuis la réélection du président Bouteflika en avril 2004, la situation du pays s’est nettement améliorée. Le gouvernement va livrer 1 million de logements, le taux de chômage a été ramené à 15 %, le métro d’Alger va bientôt entrer en fonction, les chantiers poussent comme des champignons et les étrangers sont de plus en plus nombreux à venir investir en Algérie. Ce n’est pas si mal que ça ! » lance-t-il.
Certes, une revalorisation des salaires est intervenue au mois d’octobre dernier le Smic a alors été porté à 12 000 dinars (environ 110 euros) – mais elle n’a eu qu’un effet limité sur le panier de la ménagère. « Les packs de lait sont introuvables et le prix de la pomme de terre tout comme le coût du loyer et de l’assurance automobile ont augmenté. La vie devient de plus en plus chère, se lamente un employé d’une compagnie d’assurance. Avec ma femme, nous gagnons 40 000 dinars par mois. Je vous assure qu’il nous arrive de connaître des fins de mois difficiles ! Alors, quand j’entends le chef du gouvernement dire que l’État a dégagé 155 milliards de dollars pour les projets de développement, je me demande sincèrement où va tout cet argent. Nos futurs députés pourront-ils nous le dire ? »

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