[Tribune] Pourquoi la Petroleum Industry Bill ne résoudra pas les problèmes du Nigeria et du delta

Le Nigeria est sur le point de voter la Petroleum Industry Bill, une grande réforme du secteur des hydrocarbures. Mais celle-ci ne paraît en mesure ni de relancer sa compétitivité ni de réduire les tensions dans le delta du Niger.

Port de Tin Can Island, à Lagos, au Nigeria © Gwenn DUBOURTHOUMIEU pour JA

Port de Tin Can Island, à Lagos, au Nigeria © Gwenn DUBOURTHOUMIEU pour JA

maperousemontclos

Publié le 16 novembre 2020 Lecture : 5 minutes.

Premier producteur de pétrole du continent, juste avant l’Angola, le Nigeria s’apprête à voter une réforme cruciale de son secteur des hydrocarbures. L’affaire ne semble guère attirer l’attention des médias, tant le dossier est complexe et rêche sur le plan technique et juridique. L’enjeu n’en est pas moins important dans un contexte de crise économique et sanitaire mondiale.

En effet, ce projet de loi a maintes fois été repoussé depuis sa première élaboration en 2007. Il a donc retardé d’autant les investissements qui auraient pu permettre de maintenir les niveaux de production, quoiqu’il en soit par ailleurs de l’effondrement des cours du baril et de la persistance de l’insécurité dans les zones pétrolifères du delta du Niger.

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Baisse de compétitivité

Avec la baisse de compétitivité de ses industries extractives, c’est en fait la position du Nigeria qui est menacée, alors que les nouveaux gisements découverts en Afrique de l’Est paraissent autrement plus prometteurs et attractifs.

Le pétrole nigérian est un des plus taxés au monde. Mais cet obstacle a pendant longtemps été compensé par la faiblesse de ses coûts d’extraction, avec des gisements qui, sur le continent, affleuraient littéralement au niveau du sol. Pour inciter les majors à investir en pleine mer, les dictatures militaires au pouvoir au début des années 1990 ont d’ailleurs dû se résoudre à leur accorder le bénéfice d’une fiscalité plus légère dans le deep offshore que dans les champs marginaux à terre ou dans les eaux peu profondes près des côtes, les shallow waters.

Le projet de loi de 2020 ne déroge pas à ce principe. Les taxes sur les profits et les royalties continuent d’y être différenciés suivant la nature des gisements. À terre, les coûts pourraient même augmenter sensiblement car la loi envisage désormais d’obliger les sociétés exploitantes à consacrer 2,5 % de leurs dépenses opérationnelles au financement de trusts communaux, dont la constitution pourrait prendre jusqu’à un an après l’attribution d’une licence de prospection ou de production, amputant d’autant la durée effective de ces dernières.

Interférences de la classe politique

Sur le fond, la Petroleum Industry Bill (PIB) ne paraît en fait pas être en mesure de régler les grands problèmes qui pénalisent la compétitivité de l’industrie pétrolière au Nigeria : la corruption, les violations récurrentes de l’État de droit et les conflits d’intérêts qui caractérisent la compagnie nationale, partenaire obligatoire des joint-ventures avec les majors et véritable « vache à lait » des gouvernements qui se sont succédé au pouvoir depuis la fin des dictatures militaires en 1999.

Le gouvernement du président Buhari n’a pas renoncé à intervenir dans le conseil d’administration de la NNPC

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En principe, le projet de loi de 2020 vise à séparer les fonctions de régulateur et de producteur aujourd’hui attribuées à la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation). Il s’agit là de mettre un terme à l’aberration qui consiste à confier à la compagnie nationale des pétroles une mission de lutte contre la pollution en lui demandant de s’appliquer à elle-même des amendes lorsqu’elle provoque des marées noires ou torche du gaz en plein air !

Mais la PIB ne prévoit pas vraiment de privatiser la NNPC pour lui permettre d’améliorer sa performance, d’échapper aux interférences de la classe politique et de réinvestir ses fonds dans le développement de ses activités plutôt que de continuer à alimenter les clientèles du pouvoir. Le gouvernement du président Muhammadu Buhari n’a pas renoncé à placer des représentants des ministères concernés dans le conseil d’administration de l’entreprise.

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Pour l’instant, son objectif de commercialisation consiste simplement à autoriser la NNPC à vendre à l’État du brut au prix du marché ; un tel dispositif pourrait d’ailleurs relancer à la hausse le prix de l’essence à la pompe, qui a été dérégulé en début d’année.

Logiques mafieuses

Le projet de loi aujourd’hui en discussion à Abuja ne semble pas non plus de nature à améliorer durablement les relations avec la population des zones pétrolifères du delta du Niger. Il prévoit de monter des trusts pour satisfaire les besoins et les revendications des « communautés hôtes » qui habitent à proximité des gisements et des puits de pétrole, y compris sur le littoral pour le deep offshore. Mais le développement de ces nouvelles institutions pourrait fort bien revenir à reproduire les logiques mafieuses qui caractérisent déjà le détournement de la rente pétrolière et la redistribution des prébendes de l’État.

En effet, les settlors censés initier les trusts communautaires sont très vaguement définis comme des « parties prenantes » (stakeholders) à l’industrie pétrolière. On ne sait pas s’il s’agit d’opérateurs locaux, de caciques des partis au pouvoir ou de pantins – les stooges – au service des gouverneurs corrompus à la tête des États producteurs du delta.

Les conseils d’administration de ces nouveaux trusts disposeront de pouvoirs énormes

Auto-constitués pour une durée de quatre ans, les conseils d’administration de ces trusts disposent par ailleurs de pouvoirs énormes, entre autres pour décider de l’allocation de leurs revenus et des rémunérations de leurs membres. Le mystérieux settlor peut notamment y inclure des personnalités qualifiées qui ne seraient pas originaires des communautés concernées. Il en va de même pour la composition des comités de gestion qui attribuent les contrats et sélectionnent les candidats à des appels d’offres pour mettre en œuvre des projets de développement.

Pression sur les communautés

Les communautés concernées, elles, donnent un peu le sentiment d’être laissées à l’écart. Ainsi, il n’est pas obligatoire de les consulter au préalable pour constituer des trusts dont le cadre institutionnel et défiscalisé est le seul élément susceptible de les distinguer vraiment des accords déjà signés avec les opérateurs de l’industrie.

Dans le fond, l’objectif est moins de développer le delta du Niger que d’associer les « communautés hôtes » à la production pour les inciter à protéger les installations pétrolières. Leur rôle consistera alors à garantir la bonne marche des exploitations, sous peine de voir les revenus d’un trust amputés du coût des réparations en cas de sabotages ou d’attaques. Le problème est que le vol de pétrole brut, appelé bunkering au Nigeria, est souvent organisé par des gangs extérieurs aux villages ciblés près des oléoducs.

Le projet de loi actuellement en discussion fait ainsi reposer une charge bien lourde sur les « communautés hôtes ». On peut donc s’attendre à des protestations lorsque les trusts seront mis en place. Gageons à cet égard que la PIB ne permettra guère de résoudre la crise du delta.

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