ATT : « Un homme avec qui l’on peut parler »

C’est un Amadou Toumani Touré réélu à la tête du Mali pour un second et dernier mandat dès le premier tour de la présidentielle du 29 avril, détendu et spontané qui confie à J.A. ce qu’il attend de Nicolas Sarkozy, le nouveau chef de l’État français, qu’i

Publié le 15 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

JEUNE AFRIQUE : Les relations franco-africaines vont-elles changer après l’arrivée à l’Élysée de Nicolas Sarkozy ?
AMADOU TOUMANI TOURÉ : Oui, certainement. S’il y a quelque chose que j’ai constaté chez lui, c’est son pragmatisme. Et je suis confiant. Tous les engagements que nous avons pris avec lui dans le cadre du codéveloppement ont été appliqués dans les semaines suivantes. Je crois qu’il fera ce qu’il a dit.
Vous savez, M. Sarkozy est venu deux fois au Mali. La première, c’était il y a trois ans. J’ai vu quelqu’un qui voulait apprendre. Il s’est même rendu dans la région de Kayes, jusque dans les villages les plus reculés. Lors de la seconde, l’an dernier, il m’a vraiment impressionné. Au lieu de me parler d’émigration, il m’a dit : « Parlez-moi de l’Afrique. Je voudrais comprendre, je voudrais savoir. » Cela m’a à la fois surpris et ravi. Je lui ai parlé de l’homme africain, de la chaleur humaine, du respect de l’autre et du sens de l’amitié, qui ne veut pas dire subordination. Je lui ai parlé aussi des préoccupations des Maliens par rapport à la France, même de ce qui n’est pas bon. Notre entretien a duré deux heures et demie. Nous avons beaucoup plus parlé de développement que d’émigration.
JEUNE AFRIQUE : Depuis la victoire de Sarkozy, nombre de vos compatriotes établis en France ont peur
ATT : Je peux comprendre leur réaction, mais je crois que nous devons patienter. N’oubliez pas deux choses.
Premièrement, lorsqu’il est venu nous voir, l’an dernier, il était ministre de l’Intérieur, un poste très exposé. Aujourd’hui, il est président de la République, son rôle est forcément différent. La France a des relations particulières avec le continent africain, et je suis sûr qu’il en tiendra compte. En tant que chef de l’État, il se doit d’être un rassembleur. Je suis convaincu qu’il n’aura pas le même comportement, qu’il ne prendra pas les mêmes décisions que lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.
Deuxièmement, le premier message qu’il a adressé après son élection est rassurant. C’était un discours humain, ouvert. Vous avez remarqué que l’Afrique n’a pas été très présente dans la campagne. Alors j’ai vraiment été touché d’entendre que, dès sa première déclaration, il a évoqué notre continent et nos soucis les plus essentiels. Il a replacé l’Afrique dans le débat. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
JEUNE AFRIQUE : Beaucoup de Maliens disent : « Les charters vont reprendre »
ATT : Je ne le crois pas. Il y a certes beaucoup de craintes, mais souhaitons qu’il y ait plus de peur que de mal. Laissons au nouveau président le temps de s’installer. Et attendons de voir.
JEUNE AFRIQUE : Vous ne craignez donc pas des reconduites massives de sans-papiers à la frontière ?
ATT : Pour le moment, non, vraiment non. Sans doute M. Sarkozy a-t-il donné son avis sans détours sur les problèmes de migration, mais il a insisté sur un mot : « concerté ». Et il a bien précisé que la réponse était le codéveloppement. La migration n’est pas seulement un problème. Pour un pays comme le Mali, c’est aussi une chance. Il va donc falloir s’asseoir et parler. Cette concertation qu’il propose me paraît une bonne approche. Moi, j’ai une préoccupation, c’est la défense de mes compatriotes. Je suis le premier à avoir mis en place un ministère chargé des Maliens de l’extérieur. Mais je m’efforce d’être réaliste. Lorsque mes compatriotes ont raison, très bien. Lorsqu’ils ont des difficultés, je les défends autant que je le peux. Et tant que le dialogue tient, tout va bien.
JEUNE AFRIQUE : Un accord de réadmission au Mali des sans-papiers maliens de France est-il envisageable ?
ATT : Contrairement à ce que certains croient, il n’existe pas, pour l’instant, d’accord de ce type entre nos deux pays. Nous avons des accords de codéveloppement, qui marchent bien. Et c’est grâce à l’implication personnelle du président Sarkozy qu’une impulsion nette et visible a été donnée. Lorsqu’il m’a quitté, à Bamako, il m’a dit : « Nous allons faire plus. » Maintenant qu’il est élu, je le crois sur parole !
JEUNE AFRIQUE : Il y a un an, quand vous avez reçu Nicolas Sarkozy à Bamako, beaucoup vous ont mis en garde contre le coût politique d’une telle visite, en termes d’image. Pourquoi ne les avez-vous pas écoutés ?
ATT : Le Mali est une terre d’hospitalité. Compte tenu des relations privilégiées entre nos deux pays, il était important que je reçoive le ministre français de l’Intérieur. Et puis, je crois que j’ai quand même bien analysé les choses, non ? Au moins ai-je reçu le futur président de la République française !
JEUNE AFRIQUE : Étiez-vous sûr, à l’époque, qu’il le deviendrait ?
ATT : Je mentirais si je disais que j’étais convaincu de sa victoire, mais j’avoue qu’il m’a impressionné. D’abord, je l’ai trouvé très dynamique. J’ai senti en lui de la chaleur humaine. C’est quelqu’un avec qui l’on peut discuter. Chez nous, on dirait qu’il est un homme. Il est sensible à l’autre, à ses difficultés. Et puis j’ai découvert qu’il se préparait depuis très longtemps pour la campagne et pour la fonction. Une chose est sûre : il parle franchement et il est pragmatique. J’ai vu du courage chez lui. J’ai assisté à une scène à Bamako qui m’a touchée. Lorsqu’il est venu parler d’émigration, il y avait, pas très loin, une manifestation. Eh bien, il n’a pas hésité à débattre avec certains manifestants. Il a tombé la veste, il s’est assis et j’avoue que, s’il avait fallu attribuer des notes, il aurait été loin de perdre le match ! C’est un homme déterminé, engagé, qui sait ce qu’il veut.
JEUNE AFRIQUE : Comme la grande majorité de vos compatriotes, n’auriez-vous pas préféré Ségolène Royal ?
ATT : Vous savez, beaucoup de gens au Mali auraient voté Sarkozy s’ils l’avaient pu. Aujourd’hui, il ne faut plus voir le ministre, mais le président. Chaque fois que je rends visite à un chef d’État africain, je lui dis : « Je vous confie les Maliens qui se trouvent chez vous. » Au président Sarkozy, je dis : « Je vous confie les Maliens de France, et pas seulement les Maliens : les Africains aussi ! »
JEUNE AFRIQUE : Lors de son étape de Cotonou, l’an dernier, Sarkozy avait affirmé que « la France n’a pas besoin de l’Afrique ». Cela ne vous choque pas ?
ATT : Non, parce que je crois que cette phrase a été sortie de son contexte et mal comprise. Elle n’a pas été dite dans un sens négatif. On ne vient quand même pas en Afrique pour dire « je n’ai pas besoin de vous », sinon on ne vient pas ! M. Sarkozy ne m’a pas donné l’impression de mépriser le continent africain.
JEUNE AFRIQUE : Pendant la campagne, Ségolène Royal a dénoncé des relations à ses yeux trop personnalisées entre responsables français et africains…
ATT : Quelles que soient les relations entre États, il faut toujours une dose d’humain. Je préfère rencontrer quelqu’un à qui je peux parler, avec qui je suis à l’aise, que de m’adresser à un miroir ! Mme Royal a eu cette formule, mais elle est née au Sénégal : je suis convaincu qu’elle est quelque part africaine. Vous savez, les rapports humains n’enlèvent absolument rien aux relations d’État à État. S’il n’y a pas de chaleur humaine, autant parler à un ordinateur !
JEUNE AFRIQUE : Ces rapports n’étaient-ils pas trop personnalisés du temps de Jacques Chirac ?
ATT : Non. Prenons le cas du Mali. Le président Chirac aime beaucoup le continent. En cinq ans, il est venu deux fois dans mon pays. Mais nos relations n’ont jamais servi de passe-droit. Quand il me voyait, il me saluait avec respect. Un jour, je me suis adressé à lui en disant : « Monsieur le Président ». Il m’a répondu aussitôt : « Alors, qu’est-ce qui se passe, tu ne m’appelles plus Jacques ? Et moi, je ne peux plus dire ATT ? » Vous voyez, je crois qu’il y a certains petits gestes de sympathie qui détendent, qui mettent chacun à l’aise. Et qui contribuent à rendre les relations d’État à État beaucoup plus fluides. On peut se parler facilement et rapidement. J’espère que le président Sarkozy retiendra ces conseils.
JEUNE AFRIQUE : Doit-il maintenir ou supprimer la cellule africaine de l’Élysée ?
ATT : Ce n’est pas à moi de lui donner ce genre de conseil. Simplement, ici, à la présidence du Mali, j’ai une cellule internationale avec quatre ou cinq diplomates, et cela ne diminue en rien les prérogatives du ministère des Affaires étrangères. Une cellule africaine à l’Élysée ne me choque pas.

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