Salaheddine Mezouar « Distinguons la situation socio-économique de son exploitation politique »

Ministre de l’Économie et des Finances depuis octobre dernier, il a la lourde tâche de donner un nouvel élan à la politique économique et sociale de Mohammed VI dans un contexte très difficile de hausse des prix. Entretien.

Publié le 14 avril 2008 Lecture : 9 minutes.

Où s’arrêtera Salaheddine Mezouar ? Ex-capitaine de l’équipe nationale de basket, patron de la société textile Settavex, président de la très influente Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (Amith), ce descendant d’une grande famille meknassi a fait son entrée au gouvernement au mois de juin 2004, sous les couleurs du Rassemblement national des indépendants (RNI), prenant les rênes d’un superministère de l’Industrie, du Commerce et de la Mise à niveau de l’économie. Le Premier ministre de l’époque, Driss Jettou, en fera un « sherpa » chargé d’une double mission : vendre le Maroc à l’extérieur et piloter la modernisation du secteur privé. Apprécié de la communauté des affaires et du Palais, il a hérité, au mois d’octobre dernier, du portefeuille très sensible de l’Économie et des Finances. Son prédécesseur, Fathallah Oualalou, a laissé une situation saine : un déficit inférieur à 2 % du PIB ; un niveau d’endettement autour de 55 % du PIB ; une balance des paiements couvrant huit mois d’importations ; une inflation de 2 % et des recettes fiscales en progression. Mezouar, 54 ans, a la lourde tâche de donner un nouvel élan à la politique économique et sociale de Mohammed VI dans un contexte très difficile de hausse des prix. Sa récente adhésion au Mouvement pour tous les démocrates (MTD), lancé par Fouad Ali El Himma, va dans le sens du vent. « Je ne suis pas un opportuniste, mais un homme de convictions », se défend le grand argentier, rejetant les accusations de ceux qui voient en lui le « cheval de Troie » du nouveau deus ex machina de la politique marocaine.

Jeune Afrique : Une belle carrière sportive, une reconversion réussie dans le privé, puis au ministère de l’Industrie. Aujourd’hui, vous êtes grand argentier. On murmure que le Palais vous prépare à occuper un jour le poste de Premier ministre
Salaheddine Mezouar : C’est probablement flatteur mais pas conforme au fonctionnement de notre démocratie. Les dernières législatives ont montré que la primature revenait au parti qui arrivait en tête. Notre jeune roi est attaché au respect de la Constitution et des règles démocratiques. Il n’est pas dans sa nature de favoriser x ou y.

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Vous avez récemment adhéré au Mouvement pour tous les démocrates (MTD) lancé par l’ex-ministre délégué à l’Intérieur, aujourd’hui député, Fouad Ali El Himma. Pourquoi ?
Il faut revenir à la genèse du MTD, dont le but est de créer une dynamique participative d’ouverture, d’économie sociale et de construction démocratique. Nous partons d’un constat : 63 % des Marocains ne sont pas allés voter. On ne peut accepter une telle situation. Il faut intéresser le citoyen à la politique et valoriser les progrès accomplis ces dix dernières années. Les Marocains doivent comprendre qu’ils ont un rôle à jouer dans la construction de leur pays, ne serait-ce qu’au niveau local. On ne peut pas aller aux élections municipales de 2009 sans que les citoyens se sentent davantage impliqués dans le bon choix de leurs représentants.

Au-delà de la « conscientisation », il y a tout de même l’ambition de créer un parti politique
Le but n’est pas de créer un parti politique. Personnellement, je reste un membre actif du RNI, dont je suis l’un des dirigeants. C’est d’ailleurs avec l’accord de la direction du parti que j’ai pu participer à ce mouvement.

La proximité d’El Himma avec le roi gêne les acteurs politiques
C’est injustifié et cela pousse à l’amalgame. El Himma est un citoyen comme les autres. Pour s’engager dans la vie publique, il a décidé de démissionner de son ministère. Naturellement, sa proximité avec le roi continue à gêner. Mais je vous assure qu’il n’est pas téléguidé par le Palais pour une quelconque mission. En ne parlant que de lui, on fait injure à toutes les personnalités politiques et des affaires qui se sont engagées à ses côtés pour mener le même combat.

Vous avez pris vos fonctions dans un contexte difficile : une hausse des prix des produits alimentaires qui se traduit par une très forte grogne sociale
Il faut faire une distinction entre la situation socio-économique et son exploitation politique.

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Vous voulez dire que ce sont les socialistes et les islamistes, déçus par les résultats des dernières élections, qui alimentent ce climat frondeur ?
Il y a beaucoup de cela. Certains partis cherchent à se repositionner en alimentant la surenchère sociale. Ce n’est pas une approche très saine, alors que nous sommes dans une dynamique de développement économique. Ceux qui critiquent aujourd’hui seront peut-être en première ligne demain. Il n’est dans l’intérêt de personne de freiner cet élan. Cela dit, le Maroc, comme le reste du monde, est confronté à une hausse des prix des matières premières, notamment de l’énergie, qui a une incidence sur notre économie. Heureusement, les indicateurs sont bons : croissance soutenue, inflation maîtrisée et investissements importants. Ce qui nous permet d’en atténuer les effets.

Certains en viennent à regretter l’ancien Premier ministre « apolitique » qui ne prêtait pas autant le flanc à la critique
Cela irait à l’encontre de la construction démocratique. À chaque nouveau gouvernement correspond une phase de montée des revendications. C’est presque automatique, et c’est valable dans les autres pays, comme en France actuellement. Nous nous sommes fixé une échéance, 2012, pour accomplir un certain nombre de réformes économiques favorisant le développement et l’investissement tout en préservant la stabilité sociale. L’un des objectifs de ce gouvernement est d’assurer la meilleure répartition possible des richesses. Avec un taux de croissance de 6 % par an, nous comptons augmenter le revenu par habitant de 40 % et faire aussi bien en cinq ans qu’au cours des dix dernières années.

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Vous avez prévu une enveloppe de 20 milliards de dirhams pour stabiliser les prix. N’avez-vous pas épuisé votre marge de négociation avec les syndicats ?
Nous entretenons une relation de confiance avec les syndicats. Depuis l’instauration du dialogue social en 2004, nous n’avons pas connu de troubles. Il existe un système de compensation pour atténuer les effets de la hausse des prix de première nécessité, comme le pain, l’huile, le sucre et l’énergie. Avec le renchérissement du cours des matières premières, il n’est plus soutenable et ne profite pas assez aux populations les plus vulnérables. Le gouvernement planche donc sur un autre mécanisme fondé sur une aide directe aux plus démunis. Son attribution sera conditionnée à l’obligation de scolariser les enfants et de recourir aux centres de soins, et s’appuiera sur les dynamiques de développement régional. À plus long terme, nous mettrons également en uvre des politiques de substitution des importations comme le développement de la production locale.

La croissance ne suffira pas pour financer ce programme ambitieux. Vous allez creuser les déficits
La perspective de déficit ne doit pas être un frein à nos projets. Nous avons la possibilité d’aller jusqu’à 3 % du PIB. Cette marge de manuvre peut être utilisée pour favoriser l’investissement, créer les conditions d’une meilleure attractivité. Et puis nous sommes dans une dynamique qui nous permet de financer un programme ambitieux : les recettes fiscales augmentent pratiquement de 20 % par an, l’économie se développe, les investissements aussi. L’État a les moyens de baisser l’impôt sur le revenu, celui sur les sociétés, de réduire la TVA de 20 % à 18 % et de financer le pouvoir d’achat.

Sécurité foncière et justice des affaires posent encore de sérieux problèmes aux investisseurs
Nous avons mis en place un certain nombre de parcs d’activités spécialisés, des zones dédiées aux investissements commerciaux et industriels, pour lever l’obstacle du foncier. Ce n’est plus un problème. En matière de justice des affaires, beaucoup d’opérateurs ont recours aux tribunaux car leurs contrats sont mal faits. Il vaut mieux verrouiller les pactes d’actionnaires et les contrats commerciaux. Et favoriser l’arbitrage. Certains tribunaux commerciaux marchent bien, d’autres moins. L’adaptation de la justice prendra du temps.

Les opérateurs se plaignent aussi de la multiplicité des procédures ?et des exonérations, pas toutes ?équitables.
Je suis dans un processus d’harmonisation de tous les prélèvements. Nous voulons supprimer les exonérations inéquitables pour les remplacer par des aides spécifiques aux secteurs qui en ont besoin. Au lieu d’exonérer, je préfère donner en fonction de critères objectifs de développement d’un secteur d’activité, d’une région, d’une catégorie de population.

La région de Tanger continuera-t-elle à se développer sans les avantages dont elle bénéficie ?
Ce ne sont pas les incitations et les exonérations qui ont développé Tanger. Ce sont les projets initiés par le roi qui ont lancé le développement de la région. Elle doit aujourd’hui rentrer dans la normalité, car elle a les moyens de l’assumer.

Quels sont les prochains grands pôles de développement ?
Le bipôle Meknès-Fès pour l’outsourcing, les nouvelles technologies, l’agroalimentaire et la recherche-développement ; la région de l’Oriental pour les activités portuaires, le tourisme et l’agroalimentaire ; la zone de Jorf Lasfar pour les minerais Dans chaque région, l’objectif est de créer des pôles avec des stratégies intégrées.

La main-d’uvre fait défaut pour accompagner ce développement technologique et industriel
Nous avons de la main-d’uvre qualifiée. On a mis en place les formations nécessaires et fait appel aux compétences extérieures quand les compétences n’étaient pas encore là. C’est l’un des grands enjeux de la mutation économique du pays.

La Caisse marocaine des retraites (CMR) a fait des placements hasardeux en Bourse qui mettent en péril la pérennité des ressources
Il faut faire plus d’évaluations et d’analyses des actions entreprises. Et confier les opérations boursières à des professionnels. Nous n’avons pas le droit d’aller vers des placements hasardeux. Il faut faire des placements qui ont du sens.

Qui va financer les retraites ? La Cour des comptes estime que, d’ici à 2019, les fonds seront taris ?
Ne vous inquiétez pas ! Nous ne sommes pas dans un système statique puisque nous enregistrons un rythme de création d’emplois de l’ordre de 250 000 postes par an. Une étude est en cours. Elle nous permettra de faire des choix stratégiques pour garantir la pérennité de notre régime de retraite.

La Bourse est aussi sur la sellette, car personne ne semble la contrôler
La Bourse de Casablanca est en plein essor. Nous allons passer à quinze ou vingt introductions par an. Il faut veiller à ce que tout cela se passe dans de bonnes conditions. J’ai donné, lors du dernier conseil d’administration, les moyens humains et financiers au gendarme de la Bourse pour accomplir sa mission de contrôle. Nous sommes en train de créer les conditions de son indépendance totale. Ainsi, il n’y aura plus de problèmes d’interférences politiques ou de conflits d’intérêt. Elle sera pilotée par des professionnels suffisamment rémunérés pour être à l’abri des pressions.

La Bourse servira donc plus dans le futur à lever des investissements qu’à enrichir quelques initiés
Comme ailleurs, il y a eu beaucoup de spéculation à la naissance et à l’émergence de la Bourse. Les institutionnels et les banques en ont plus profité que les petits porteurs. C’est un phénomène naturel. Les entreprises qui entrent actuellement sont en bonne santé et avec des profondeurs de marché qui leur permettent une croissance à deux chiffres. Nous la structurons actuellement pour qu’il y ait plus de confiance et de lisibilité pour tout le monde.

On vous reproche de passer en force vos projets en utilisant l’article 51 de la Constitution sur la non-recevabilité des amendements et propositions du Parlement dans certains cas propres à la Loi de finances
J’ai utilisé cette procédure pour faire passer la dernière Loi de finances qui avait été préparée par mon prédécesseur. Il y avait urgence pour assurer la continuité. Mais je privilégie la concertation. Pour la prochaine loi, le débat sera initié à partir des mois de juin et juillet. Il vaut mieux avoir le débat avant qu’après, et préparer les amendements dans de bonnes conditions.

Quelles seront les priorités du prochain budget ?
L’investissement public d’abord. Sa part passera de 4,6 % à 5,5 % du PIB d’ici à 2012 pour stimuler la croissance. Nous prévoyons également de porter les dépenses de fonctionnement de 3,8 % à 4,1 % du PIB pour accélérer les programmes relatifs aux secteurs de l’éducation, de la formation et de la santé. Mais, bien sûr, nous n’oublions pas l’agriculture, qui fait vivre 45 % des Marocains, la justice, les politiques sectorielles, le développement régional, le social, la défense et la sécurité de notre pays.

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