L’argent ne fait pas tout

Malgré un budget substantiel, le film du Marocain Nabil Ayouch déçoit, alors que celui de l’Algérien Tariq Teguia, sans moyens, crée la surprise. Et dévoile un nouveau talent.

Publié le 14 avril 2008 Lecture : 3 minutes.

Les sorties internationales de films de cinéastes maghrébins sont hélas devenues si rares, depuis quelques années, qu’on ne peut que se féliciter a priori quand elles se produisent, comme ce 16 avril où apparaissent simultanément sur les écrans parisiens deux films très attendus, bien que pour des raisons différentes.
Le premier, Rome plutôt que vous, de l’Algérien Tariq Teguia, remarqué par la critique lors de sa présentation à la Mostra de Venise en 2006, puis dans d’autres festivals où il a reçu diverses récompenses, paraissait en effet condamné à rester un film réservé aux happy few présents dans de telles manifestations, tant il lui paraissait difficile de trouver un distributeur. Quant à Whatever Lola Wants, du Marocain Nabil Ayouch, on ne pouvait qu’être impatient de le voir, étant donné le statut de grand espoir du cinéma du Sud acquis par son auteur après le succès public de ses deux premiers films, Mektoub, et surtout Ali Zaoua.
Rome plutôt que vous est un film beau et âpre, qui captivera le spectateur qui accepte d’être quelque peu déconcerté par une uvre qui ne compte jamais sur l’intrigue pour le séduire. Il raconte, sous forme de road movie urbain, la dérive dans les environs d’Alger d’un couple de jeunes gens – Kamal et Zina, manifestement très liés mais dont les rapports sont mal définis – à la recherche d’un marin – le Bosco – qui doit leur procurer de faux papiers pour rejoindre l’Italie. Mais l’errance de ces deux personnages, à l’époque de la guerre civile, est vouée dès le début à l’échec. Elle n’est, en fait, essentiellement qu’une métaphore de cette Algérie contemporaine où les raisons d’espérer de la jeunesse ne peuvent se conjuguer qu’avec la perspective d’une fuite réelle ou imaginaire pour échapper à une « société de l’enfermement » qu’elle refuse.

Autre planète
Réalisé dans la difficulté – huit ans entre l’écriture du scénario et l’achèvement du film -, avec de tout petits moyens – 200 000 euros de budget et un tournage avec une équipe des plus réduite -, le film ne manque pourtant pas d’ambition. Si la marge de manuvre de ses « héros » est limitée et si les scènes montrées sont le plus souvent minimalistes, le traitement des images oscillant entre réalisme et hyperréalisme, des couleurs, souvent très contrastées mais avec une dominante de gris et des sons très « crus », presque toujours porteurs d’une tonalité violente, contribuent à créer une atmosphère qui conduit le spectateur à éprouver autant qu’à voir l’intensité du propos de l’auteur. Un auteur qui, dès son premier film, démontre qu’il a du style et un tempérament de cinéaste. On attend donc avec impatience la suite, puisqu’il vient de tourner un second long-métrage, en cours de finition et provisoirement intitulé Dans les terres.
Avec le film de Nabil Ayouch, c’est sur une tout autre planète qu’on évolue. Avec des moyens sans commune mesure – 10 millions d’euros de budget, entendait-on dire au dernier festival de Marrakech où il était présenté en avant-première -, Whatever Lola Wants nous entraîne des États-Unis au Caire à la suite d’une jeune Américaine, rêvant d’amour et de célébrité, qui croit pouvoir trouver les deux en quittant New York pour l’Égypte, où elle va se prendre de passion pour la danse orientale en devenant l’élève d’une ancienne gloire de cet art exigeant, injustement écartée de la scène.
Une comédie musicale mélodramatique qui aurait nécessité le sens de la poésie d’un Jacques Demy, le brio d’un Vicente Minnelli ou l’humour d’un Youssef Chahine pour « passer » à l’écran. S’il a d’autres mérites, le dynamique Nabil Ayouch, hélas, n’est pas un réalisateur dont la délicatesse est la première qualité, et il ne réussit jamais à transformer ce scénario à l’eau de rose en conte de fées enchanteur. Malgré la performance remarquable de Carmen Lebbos dans le rôle de la star déchue de la danse orientale, qui ferait presque oublier la prestation catastrophique de l’héroïne principale, on ne croit pas une seconde à l’histoire et à son message édifiant (vive l’amour et la rencontre des cultures !). Vite, que Nabil Ayouch en revienne à des sujets plus proches de son univers, et qu’il pourra donc mieux « sentir » !

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Rome plutôt que vous, de Tariq Teguia, et Whatever Lola Wants, de Nabil Ayouch (sorties à Paris le 16 avril).

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