La pêche au gros continue

L’arrestation de deux anciens ministres accusés de malversations laisse à penser que la guerre anticorruption est loin d’être terminée. À la grande satisfaction de la population, qui réclame des têtes.

Publié le 14 avril 2008 Lecture : 4 minutes.

Ils étaient les prochains sur la liste. Pendant près de deux semaines, les journalistes locaux étaient à l’affût d’une arrestation imminente, guettaient l’arrivée de la police devant les résidences. L’opinion se délectait par avance de la chute de deux puissants, à la fois craints et détestés pour leur « arrogance », leur fortune présumée et leur influence acquise tout au long de décennies de hautes fonctions administratives et ministérielles. Polycarpe Abah Abah, 54 ans, et Urbain Olanguena Awono, 53 ans, respectivement ancien ministre de l’Économie et des Finances et ex-ministre de la Santé publique, connaissent trop bien le système pour ne pas avoir senti le vent tourner. À Yaoundé, les étoiles qui pâlissent finissent souvent aspirées par le trou noir d’un système judiciaire impitoyable à l’égard des perdants. Avant eux, Titus Edzoa, Pierre Désiré Engo, Mounchipou Seidou, Emmanuel Gérard Ondo Ndong, Alphonse Siyam Siwé, Édouard Etondé Ekotto et plusieurs autres anciens hauts responsables ont été jugés et lourdement condamnés à des peines de prison ferme. Le peuple attendait leurs têtes sur le billot. Il a été servi.
Le 31 mars au matin, les deux hommes sont arrêtés à Yaoundé par une unité spéciale de la police. Humiliation suprême, ils sont conduits au siège de la police judiciaire (PJ) de la ville, dont les voies d’accès sont prises d’assaut et finalement coupées par la foule de curieux qui ne veulent rien rater du spectacle. La justice s’étant « enfin » intéressée aux cas Abah Abah et Olanguena, communément érigés en contre-exemples de la morale publique, le spectacle de la PJ a pris des allures de « vengeance divine poursuivant le crime ». L’annonce de l’arrestation des deux dignitaires passe en boucle sur les radios et télévisions, y compris du service public. La curée est d’une violence désormais ordinaire.
La presse locale, jamais avare de superlatifs, exige ainsi que la « plus grosse baleine de la République », Abah Abah, soit jugée au stade de Yaoundé, non pas par la justice mais par le peuple qu’il a « affamé en mettant les entreprises à l’amende » ! À l’ex-grand argentier, il est reproché des irrégularités présumées dans le reversement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), entre 1999 et 2004, du temps où ce diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature de Yaoundé (Enam) trônait à la Direction des impôts. C’est le premier coup de canif porté à l’image de ce technocrate qui a conçu et appliqué le passage du système de la taxe sur le chiffre d’affaires (TCA) à la TVA. Mais il ne freine pas son ascension. Car au bout de cinq ans de lifting réussi de la poussiéreuse Direction des impôts, il est promu ministre de l’Économie et des Finances. Jugé condescendant par la plupart de ses collègues du gouvernement, il va surtout pâtir de ses mauvaises relations avec les milieux d’affaires, qui se disent asphyxiés par la pression fiscale.
Mais c’est l’acquittement, au mois de novembre 2003, de son épouse Caroline, au procès des marchés truqués du ministère des Postes et Télécommunications – dont elle était le contrôleur financier – qui aura définitivement plombé son image. Pour ses détracteurs, le comble est qu’à l’inverse de ses coaccusés, Mme Abah Abah a effectué une partie de sa détention préventive en « évacuation sanitaire » en France. Limogé au mois de septembre 2007, l’ancien ministre des Finances s’inscrit à la faculté de théologie protestante de Yaoundé et fait le dos rond pour laisser passer la bourrasque. Peine perdue.

Un mystérieux groupe
Quant à son collègue Urbain Olanguena Awono, l’on comprend, à travers l’interpellation de Maurice Fezeu, secrétaire permanent du Comité national de lutte contre le sida (CNLS), de Raphaël Okalla Abodo, du Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) et d’Hubert Wang, patron du Programme national de lutte contre la tuberculose (PNLT), que les malversations qu’on lui impute portent sur la gestion de l’argent du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose.
Entré au gouvernement à l’âge de 35 ans, en 1990, comme secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances chargé du Plan de réforme et de la stabilisation, rien ne semblait préparer l’ancien jeune premier à gérer le portefeuille de la Santé. Mais Olanguena n’est pas que le brillant économiste qui a piloté la restructuration des filière cacao-café et coton. Le natif de Sa’a (Centre) prend vite ses marques. Même si, manifestement, son expérience acquise comme coordonnateur du comité censé veiller sur la bonne utilisation de l’argent issu de l’annulation de la dette, dans le cadre de l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés), ne l’a pas préservé d’ennuis judiciaires. Il faut néanmoins lui reconnaître d’être à l’origine de la gratuité des soins dus aux personnes vivant avec le VIH. Mais son assurance de tribun ambitieux agace ceux qui, au sein du parti au pouvoir, lui reprochent d’être allé trop vite et le soupçonnent de voir trop loin.
L’avenir s’écrira-t-il sans ces deux personnages qu’on a soupçonnés d’appartenir au mystérieux G11, constitué de ces quinquagénaires proches du pouvoir qui préparaient, dit-on, l’après-Biya ? Pour l’instant, aucun indice ne leur donne une chance d’en réchapper. Aucun haut commis de l’État épinglé par l’opération Épervier n’est parvenu à convaincre les juges de son innocence.

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