La Côte d’Ivoire se relance
Après des années de marasme, l’économie ivoirienne multiplie les signes de reprise et renoue avec les investisseurs. Même si la France reste leader, le pays cherche à diversifier ses partenaires.
« Une croissance à deux chiffres d’ici à trois ans », promet Charles Koffi Diby. Volontaire et plein d’assurance, le ministre de l’Économie et des Finances de Côte d’Ivoire semble avoir dompté la timidité de ses débuts et affiche un optimisme à toute épreuve justifié par la signature de l’Accord de Ouagadougou, le 4 mars 2007, qui permet dorénavant de travailler dans « la paix, le calme et la confiance ». De passage à Paris le 18 mars, le ministre est venu redorer le blason d’un pays terni par des années de crise et resserrer les liens avec la France, premier partenaire commercial (21 % des parts de marché) devant le Nigeria, les Pays-Bas et les États-Unis. Les grands groupes tricolores poussent actuellement leurs pions afin de relancer leurs activités et obtenir des contrats publics (lire encadré page suivante). Les exportations françaises vers Abidjan se sont élevées à 694 millions d’euros en 2007, contre 599 millions un an plus tôt (+ 16 %) pour un volume d’échanges franco-ivoiriens estimé à 1,3 milliard d’euros et une balance commerciale excédentaire de 119 millions en faveur de Paris. Si la flambée des prix des produits de première nécessité provoque actuellement une grogne sociale compréhensible, l’économie ivoirienne a tenu le choc malgré la guerre et la partition du territoire en septembre 2002.
La hausse des prix des matières premières ainsi que l’exploitation de nouveaux champs pétroliers et gaziers a permis d’encaisser la perte de confiance des investisseurs et les sanctions des partenaires commerciaux. Le niveau d’activité s’est maintenu même si le dynamisme des petites et moyennes entreprises (PME) n’est plus ce qu’il était. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la croissance a été proche de zéro sur la période 2000-2007, contre 6,6 % entre 1994 et 1999. Les exportations ont augmenté annuellement de 2,3 % au lieu de 13,5 % avant 2000. Mieux, l’inflation a été contenue à 3 % par an, contre 6,2 % auparavant. Bref, la Côte d’Ivoire a tourné au ralenti mais elle n’a pas connu l’effondrement tant redouté et représente toujours 40 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Une situation qui pourrait évoluer. Le pays a renoué avec une croissance positive à 1,5 % en 2007 et mise sur 2,9 % cette année. Le règlement des arriérés de paiement auprès des institutions internationales a également permis de mettre en uvre un programme postconflit. À la clé : des financements de plus de 500 millions de dollars. La Banque mondiale et le FMI viennent d’accorder, respectivement, un don de 308 millions de dollars et une aide budgétaire de 66,2 millions de dollars. En attendant la conclusion d’un programme de Facilité pour la réduction de la pauvreté (FRPC) et un allègement de la dette extérieure (estimée à 6 746 milliards de F CFA, soit 71 % du PIB). « Un tiers de notre budget est consacré au service de la dette [NDLR : 377 milliards de F CFA en 2007]. Je préférerais utiliser ces sommes pour des investissements », explique le ministre.
Il faut dire que les projets publics ne manquent pas dans le cadre de la reconstruction : rénovation des axes routiers et des infrastructures urbaines, amélioration des réseaux d’eau et d’électricité, construction de nouveaux terminaux à conteneurs à Abidjan et San Pedro, transfert des institutions d’Abidjan vers la capitale de Yamoussoukro, création d’un technopôle dédié aux nouvelles technologies à Grand Bassam
Autrefois chasse gardée des groupes français, l’économie ivoirienne est aujourd’hui vendue au plus offrant. Des partenaires de tous horizons sont apparus à la faveur de la libéralisation. Le cacao est dorénavant aux mains des grosses multinationales agroalimentaires américaines Cargill et Archer Daniel Midland (ADM). Dans le domaine minier, l’indien Tata Steel a signé en décembre 2007 un protocole d’accord avec l’État pour le développement du gisement de fer du mont Nimba, dans l’ouest du pays, avec quelque 2 milliards de dollars d’investissements à la clé, une entrée en production à partir de 2010 et des réserves estimées à 1 milliard de tonnes de minerais. Le sud-africain Randgold vient d’entamer l’exploitation des mines d’or de Tongon, au nord. Les autorités ont également attribué de nombreuses concessions pétrolières et gazières à de nouveaux venus : Yam’s Petroleum de Pierre Fakhoury, également grand architecte de la capitale de Yamoussoukro ; la compagnie américaine Africa Petroleum Inc. ; l’irlandaise Tullow ; la chinoise Sinopec, ainsi que les indiens ONGC Videsh et Oil India Ltd. La Société nationale pétrolière de Côte d’Ivoire (Petroci) et la Société ivoirienne de raffinage (SIR) sont au cur de la stratégie de développement du secteur des hydrocarbures. La SIR a fêté ses 45 ans le 6 février dernier. L’entreprise, première d’Afrique de l’Ouest, raffine plus de 3,8 millions de tonnes de brut par an. Ses dirigeants ont prévu d’investir plus de 500 milliards de F CFA d’ici à 2020 et envisagent d’ouvrir le capital à la Sonangol (société publique angolaise) afin de diversifier les approvisionnements. La SIR a également lancé la construction d’une deuxième raffinerie d’une capacité de 60 000 barils/jour, en novembre dernier, sur le port d’Abidjan.
Reconquête bancaire
Autre partenariat ambitieux : celui du premier groupe privé ivoirien, Sifca, qui s’est récemment allié à deux géants asiatiques de l’agro-industrie, Wilmar et Olam, pour développer les récoltes et la transformation de palmiers à huile, de canne à sucre et d’hévéa. L’État accompagne cette relance, dans un contexte de forte hausse des cours, avec deux importants plans visant à faire passer respectivement la production d’huile de palme de 320 000 à 600 000 tonnes en 2012 et de caoutchouc sec de 200 000 à 600 000 tonnes en 2020. L’opaque filière cacaoyère (1,3 million de tonnes) attend toujours, pour sa part, son programme d’assainissement. Une question sensible qui ne devrait pas connaître de réponse avant les élections.
Le paysage bancaire n’échappe pas à cette diversification des partenariats avec l’arrivée programmée de quatre établissements nigérians. United Bank for Africa (UBA), Diamond Bank et Sky Bank prévoient d’établir un réseau d’agences dans le pays, tandis qu’Access Bank rachètera 75 % d’Omnifinance, petite structure locale. Hormis les déboires financiers de la Versus Bank, les principaux établissements de la place disposent de liquidités et accélèrent leur réinstallation dans le nord du pays pour dynamiser leurs activités. L’apaisement des tensions a également largement contribué aux bonnes performances enregistrées par la Bourse régionale des valeurs mobilières (BVRM) d’Abidjan, en hausse de plus de 70 % en 2007.
Incertitudes électorales
Des bonnes nouvelles qui ne sauraient faire oublier la fragilité du processus actuel et les inquiétudes liées à la situation politique. « La Côte d’Ivoire fait figure de malade en voie de rémission. Mais tant que des élections transparentes et reconnues par tous n’auront pas eu lieu, elle ne sera pas guérie », explique un diplomate européen. Le chronogramme de sortie de crise connaît des réaménagements inquiétants alors que les élections doivent se dérouler en 2008. Les audiences foraines ne sont pas encore achevées, la deuxième phase d’identification et de recensement des électeurs, confiée à l’entreprise Sagem Sécurité, n’a pas débuté. Par ailleurs, les réflexions sur la mise sur pied de la nouvelle armée ont tendance à piétiner, les ex-rebelles attendant des garanties (grade, salaire) avant de réintégrer les forces loyalistes. Reste aussi à démobiliser le gros des jeunes troupes avec la mise en uvre du service civique. Opposition et parti au pouvoir pourraient également raviver les tensions à mesure que se rapproche l’échéance électorale. Dans le nord du territoire, les trafics de toutes sortes (bois, or, diamant) prospèrent alors que les filières coton et textile périclitent. La récolte d’or blanc est passée de 400 000 tonnes avant la crise à quelque 150 000 tonnes. Et beaucoup doutent du redéploiement prochain de l’administration et du retour de l’unicité des caisses. Les chefs de guerre accepteront-ils d’arrêter leurs juteuses activités ?
Quoi qu’il en soit, la réelle reprise ne pourra pas s’affirmer sans un retour de l’État de droit et un assainissement sensible de l’environnement des affaires comprenant la lutte contre la corruption et les dérives bureaucratiques. « Le problème, c’est l’insécurité juridique. Tant que cette question ne sera pas réglée, les investisseurs seront réticents », explique Jean Kacou Diagou, président de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire. Les opérateurs ne supportent plus l’arbitraire et veulent être en mesure de saisir les tribunaux en cas de litiges commerciaux, notamment pour obtenir le paiement des factures non honorées. Ils sont également en discussion avec les banques et les assurances. « Elles doivent faciliter l’accès au crédit, financer nos activités et nous aider à mieux couvrir nos risques », insiste Michel Tizon, président de la Chambre de commerce et d’industrie française en Côte d’Ivoire. La crise a laissé des traces qui ne pourront s’effacer qu’avec le temps.
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