[Analyse] Pourquoi la finance africaine a les yeux rivés sur Kampala

En déclarant « nul » un prêt syndiqué réalisé par Diamond Trust Bank Kenya via sa filiale ougandaise, la justice a ébranlé le secteur bancaire. Mais des lueurs d’espoirs demeurent.

Diamong Trust Bank Kenya avait accordé un prêt de 34 milliards de shillings ougandais. © CC BY-ND 2.0 Garrett Ziegler

Diamong Trust Bank Kenya avait accordé un prêt de 34 milliards de shillings ougandais. © CC BY-ND 2.0 Garrett Ziegler

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Publié le 3 décembre 2020 Lecture : 3 minutes.

Chaque cause a les avocats qu’elle mérite. Au début d’octobre, un entrepreneur en vue à Kampala a ainsi demandé à ses conseils de défendre un argument pour le moins surprenant. Pressé de rembourser diverses créances – plus de 23 millions de dollars et 34 milliards de shillings ougandais (7,7 millions d’euros) – et faisant face à des saisies de biens hypothéqués, cet homme d’affaires a argué, par la voix de ses avocats, que ces prêts avaient été accordés de manière illicite : le prêteur, Diamond Trust Bank Kenya, n’aurait, dit-il, jamais eu le droit d’exercer en Ouganda.

Qu’importe si le montage financier de ce « prêt syndiqué » – impliquant la filiale ougandaise du groupe kényan – est une pratique courante dans le métier ; qu’importe si les sommes en jeu ont été reçues et dépensées par le « plaignant » : la Haute Cour lui a donné raison.

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« Puisque [Diamond Trust Bank Kenya] n’a pas produit et/ou joint une licence l’autorisant à mener des activités d’institutions financières en Ouganda […], les prétendues facilités de crédit qu’il aurait offertes […] étaient illégales et sont donc nulles ab initio, et par conséquent inapplicables », est-il noté dans cet arrêt, qui, de facto, rend illégaux les prêts syndiqués – impliquant souvent des banques étrangères – en Ouganda.

Des conséquences potentielles sur la finance continentale

« C’est une pratique courante sur le marché que les banques agréées localement cherchent à obtenir le soutien de leurs sociétés mères pour réaliser des prêts importants », ont objecté, dans une tribune, les avocats Phillip Karugaba, Rachel Musoke et Rehema Nakirya Ssemyalo, du cabinet ENSafrica, l’un des plus importants d’Afrique de l’Est, non impliqué dans le dossier.

Ces derniers ont repéré pas moins de quatre erreurs majeures dans la décision de la Haute Cour (dispositions réglementaires non pertinentes, interprétation partiale des statuts applicables, etc.).

« La grande question est de savoir ce qu’il advient des quelque 5 700 milliards de shillings accordés par des prêteurs étrangers », ont-ils averti, plaidant pour la cassation d’une décision qui « aura sans doute un effet paralysant sur les comités d’approbation de crédit » de ces prêteurs. La banque centrale ougandaise comme l’association des banques locales se sont elles aussi élevées contre la décision de la Haute Cour.

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Le litige pendant à Kampala est important pour la finance continentale, tant en raison des montants en jeu qu’en raison des conséquences qu’il pourrait avoir pour ce secteur dans l’une des régions les plus dynamiques d’Afrique. Il est surtout crucial au regard de l’arrêté que Flavian Zeija, juge principal à la Haute Cour de justice de l’Ouganda, a signé le 2 novembre.

Tentative de subornation

Statuant en référé sur la demande des banques de surseoir à l’application du jugement du début d’octobre – qui ordonnait la levée des saisies sur les biens hypothéqués –, le magistrat a temporairement donné raison aux plaignantes.

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« Cette décision a des implications importantes sur le secteur bancaire dans la mesure où elle déclare les prêts syndiqués illégaux. Il faut donc maintenir le statu quo pour permettre à la cour d’appel d’enquêter sur cette illégalité, puis de confirmer la décision ou bien de l’infirmer », écrit le magistrat ougandais.

La conclusion de son arrêté est stupéfiante. Le troisième plus haut gradé de l’ordre judiciaire du pays y fait une révélation, rare sinon inédite : il a fait l’objet d’une tentative de subornation. « Avant de prendre congé de cette affaire, j’ai été sidéré par le fait que l’une des parties m’ait envoyé des émissaires avec des propositions financières afin d’influencer ma décision », s’est-il indigné.

C’est pour le moins dégoûtant. Une phrase courte qui devrait rester dans les annales de la jurisprudence financière en Afrique

Sans nommer les sbires en question ni leurs commanditaires, le juge Zeija a résumé son sentiment en à peine sept mots, en conclusion d’un jugement qui en compte plus de cinq mille.

Une phrase courte dans un anglais simple, qui devrait rester dans les annales de la jurisprudence financière en Afrique. Siégeant le 2 novembre à Kampala, capitale d’un pays classé 137e sur 180 dans l’index de la corruption de Transparency International, Flavian Zeija a résumé sa colère en ces termes : « This is disgusting, to say the least » (« C’est pour le moins dégoûtant »).

Espérons que les confrères du juge Zeija, de Kampala à Korhogo, trouveront dans les mots de celui-ci la force de résister ou de continuer à combattre pareils affronts à leur probité. Mais combien d’autres se taisent après avoir cédé à la tentation ? Oui, votre honneur, cela aussi est « very disgusting ».

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