John McCain, l’étoffe d’un président ?

La vie aventureuse de ce héros de la guerre du Vietnam ressemble à un scénario hollywoodien. Dommage qu’il soit aujourd’hui le candidat républicain à la Maison Blanche. Avec le soutien de Bush et des néoconservateurs.

Publié le 14 avril 2008 Lecture : 8 minutes.

« The Mac is back ! » lance-t-on de meeting en meeting, du New Hampshire à la Floride, en désignant la silhouette un peu tassée, la toison blanche, la joue couturée et la démarche de robot du sénateur républicain, désormais certain de représenter son parti dans la course à la Maison Blanche. Les mêmes le surnomment parfois « Rambo », ce qui se passe de commentaire, ou « le Revenant », sans doute moins pour évoquer le poème éponyme de Baudelaire que le mot célèbre – « Je reviendrai » – de l’indomptable Douglas McArthur, contraint en 1942 d’abandonner les Philippines aux Japonais. Les plus cultivés de ses supporteurs le qualifient volontiers de « Phénix », du nom de cet oiseau mythique qui avait le pouvoir de renaître après s’être consumé dans les flammes. Et ses adversaires de « Frankenstein », créature monstrueuse reconstituée par des greffes de morceaux de cadavres. Mais pour les journalistes américains dont il est le chouchou, il est, tout simplement, « le Vétéran ». Enfin, lui-même n’hésite pas à se comparer à Luke Skywalker, le héros de Star Wars en lutte contre les forces obscures de l’Empire
Bref, avant même de se signaler par sa doctrine ou son programme, John McCain est d’abord, dans la tête de ses fans – les « McCainiacs » -, dans celle de ses concitoyens et sans doute la sienne propre, une légende, un fantasme, un concentré d’exploits, d’épreuves initiatiques enlevées sabre au clair, de revers encaissés et de souffrances subies, nourrissant le récit quasi hollywoodien d’une existence hors du commun.
John Sydney McCain III voit le jour dans la zone du canal de Panamá, en 1936. Son aïeul McCain Ier est un valeureux amiral de l’US Navy qui attendra la reddition japonaise en 1945 pour rendre l’âme. Et Jack, deuxième du nom, est commandant de sous-marins à la naissance du petit. Celui-ci, qu’on transbahute pendant la guerre au gré des affectations de son père, est un fameux garnement, un cancre rebelle à tous les règlements, grand spécialiste des bombes – à eau, celles-là ! – lancées dans les dortoirs. À tel point qu’on pense un moment le retirer de l’Académie navale d’Annapolis, où il a été accueilli pour des raisons quasi héréditaires, et le confier, en France, à la Légion étrangère, qui sait mater les fortes têtes !

Cuites et bastons
Ses conquêtes féminines – avec une préférence marquée pour les brunes exotiques – s’ajoutent alors à quelques cuites sévères et autres bastons, jusqu’à ce que la guerre du Vietnam lui procure enfin un théâtre à sa mesure. À 30 ans, à bord de son A-4 Skyhawk chargé de bombes jusqu’à la gueule, McCain découvre l’ivresse du surhomme qui détruit tout sur son passage. Et qui se sent lui-même invulnérable, ainsi que le lui confirme un épisode dramatique survenu en juillet 1967 sur le pont du porte-avions USS Forrestal : John sort indemne, sa combinaison de vol en feu, de l’explosion accidentelle d’une roquette qui tue cent trentre-quatre de ses camarades et détruit une vingtaine d’appareils, avec ce sobre commentaire : « Impossible de trouver un mec plus veinard que moi ! »
Trois mois plus tard, le 26 octobre, Mac la Chance a décollé de l’USS Oriskany avec sa panoplie explosive quand une alarme l’informe qu’une batterie nord-vietnamienne de missiles Sam vient de « l’allumer ». La sagesse et le règlement invitent alors le pilote à cabrer son appareil pour tenter de s’échapper, mais John n’est pas du genre à renoncer aussi facilement à larguer son « colis » sur Hanoi. Il lâche sa bombe avant de s’éjecter dans des conditions extrêmes. Les deux bras et un genou cassés, il coule dans un lac du centre-ville, réussit in extremis à tirer avec les dents sur la sangle de son gilet de sauvetage et se fait récupérer à coups de baïonnette par le Vietcong, qui l’expédie, moribond, dans ce « Hanoi Hilton » de sinistre mémoire où sont détenus les soldats américains prisonniers.
Privé de soins, battu chaque jour ou presque, John, après huit mois d’enfer, se voit proposer la liberté en échange de « confessions » et de sa signature au bas d’un manifeste « antiguerre impérialiste ». Ses geôliers ont en effet découvert qu’il est le fils du chef de la zone Pacifique Mais lui refuse d’abandonner ses camarades. Pendant près de cinq ans, il subira la torture. Seul dans son cachot, la bouche tuméfiée, infirme, McCain manque par deux fois son suicide. Il survivra, y compris à la décision de son amiral de père, en 1972, de faire pilonner par les B-52, en connaissance de cause, la zone où son garçon est incarcéré.
En 1973, une photo montre l’officier McCain, 45 kg, en grand uniforme blanc mais agrippé à ses béquilles, serrant la main d’un Richard Nixon presque indisposé par tant de cicatrices. Mais, pour le rescapé, il n’est plus question de poursuivre la carrière militaire qu’il s’était tracée. La politique récupérera un homme nouveau qui se réjouit d’avoir éradiqué en lui tout ce qui pourrait ressembler à de la peur – en 2000, un cancer de la peau lui permettra de le vérifier – et, surtout, d’avoir pris conscience « qu’il y a des causes plus grandes que soi ».

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Pétulante héritière
Entre relations familiales, « aura » héroïque et audace naturelle, McCain n’est pas long à tailler sa route dans son nouveau terrain de jeu. D’autant qu’il met toutes les chances de son côté en répudiant sans état d’âme l’épouse fidèle qui l’avait attendu durant sa captivité pour la remplacer par la pétulante Cindy, une jeune et riche héritière de la bière Hensley, devenant ainsi le chef d’une famille recomposée de sept enfants. En 1982, élu de l’Arizona, McCain entre à la Chambre des représentants, puis, deux mandats plus tard, au Sénat. Malgré quelques embardées – le scandale politico-financier des caisses d’épargne, auquel il échappe de justesse, l’incitera à faire son cheval de bataille de la réforme du financement des partis politiques -, la « résistible ascension » de McCain a commencé.
Plus frondeur, plus cabochard, on ne fait pas. Plus imprévisible, non plus. Apparemment peu concerné par la discipline partisane, John va là où le portent ses convictions du moment, agrémentées de coups de gueule à faire rougir ses anciens compagnons d’armes. Hostile à l’avortement, il n’en est pas moins favorable au financement public de la recherche sur les cellules souches de l’embryon. Partisan d’une réforme ultraconservatrice de l’immigration, il soulève néanmoins un tollé avec une proposition de loi prévoyant de régulariser les clandestins. En 2001 et 2003, il fait cavalier seul parmi les républicains en argumentant contre les baisses d’impôts pour les riches, voulues par George W. Bush, avant de s’y rallier, plus tard, « à 1 000 % ». Favorable à la peine de mort, soutenant la ligne dure de l’intervention américaine en Irak, opposé au contrôle des armes à feu tout autant qu’au « mariage gay », il surprend les siens en s’insurgeant contre le maintien de la prison de Guantánamo et les sévices infligés dans la prison irakienne d’Abou Ghraib. Libéral à tous crins, il défend des mesures de protection de l’environnement très contraignantes, y compris au détriment du lobby des patrons qui le soutiennent, s’en prend aux cigarettiers qui sponsorisent traditionnellement son parti ou plaide en faveur du droit des patients et des médicaments génériques, au grand dam de ses amis de l’industrie pharmaceutique !

Mensonges et calomnies
À tel point qu’on ne sait parfois plus très bien dans quelles eaux John McCain a jeté l’ancre, même si, dans l’opinion, son non-conformisme et ses accents de sincérité lui profitent plutôt. C’était d’ailleurs déjà le cas en 2000 quand John, candidat à la candidature républicaine, avait bousculé George W. Bush dans les primaires du New Hampshire. Karl Rove, l’âme damnée du futur président, n’avait alors pas mégoté pour « descendre » ce gêneur de McCain, qui fut englouti sous des tombereaux de mensonges (sa fille adoptive, d’origine bangladaise, aurait été une « enfant naturelle ») et de calomnies concernant sa captivité au Vietnam.
Reste que McCain n’en est plus aujourd’hui à folâtrer au gré de ses humeurs. Il a même mis un mouchoir sur ses griefs vis-à-vis de Bush, pour prendre le visage d’un candidat de l’establishment fidèle à ses principes. La tête brûlée de jadis a appris à se recentrer sur ses fondamentaux. Il y a moins d’un an, il en était à licencier son équipe de campagne par manque d’argent, personne ne se risquant à parier un cent sur celui qui affichait pour credo la nécessité d’« une sortie par le haut » des États-Unis en Irak, fût-ce « dans cent ans », alors que tous les autres candidats en étaient à chercher le moyen de s’esquiver au plus tôt sur la pointe des pieds Depuis, le « surge » (les trente mille hommes envoyés en renfort au général Petraeus) semble bien avoir porté ses fruits. Et le « suicide électoral » initial de McCain, ouvertement rallié à l’opération, s’est transformé en une spectaculaire embellie dans les sondages.
Même si une légère baisse statistique du nombre des victimes en Irak (redescendu au niveau de 2005) n’équivaut nullement à la fin de la tragédie et encore moins à une solution politique de la crise, McCain peut faire valoir qu’une fois de plus son obstination aura été payante. C’est ce qu’il a martelé, le 18 mars, lors d’une visite de la « ville martyre » de Sderot, à l’adresse du Hamas – qu’il qualifiait, dès 2006, de « syndicat terroriste » -, mais aussi du Hezbollah et, au-delà, de l’Iran, en reconnaissant à Israël un « statut spécial dans la lutte contre la prolifération nucléaire au Proche-Orient ». Concernant ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont liés à « l’extrémisme radical islamiste » – la gaffe de McCain plaçant l’Iran chiite derrière les sunnites d’Al-Qaïda prouve d’ailleurs que tout n’est pas encore très clair dans son esprit -, le message est le même : « S’ils réussissent chez eux, ils vaincront partout. » D’où la nécessité d’une riposte, éventuellement préventive, qui n’est pas sans rappeler les grandes heures de la guerre « préemptive » chère aux néoconservateurs.
Enfin, une dernière inquiétude. Bien que McCain porte vaillamment ses 72 ans, compte tenu de ce qu’il a subi, il battrait, s’il était élu au mois de novembre, le « record » de Reagan, entré à la Maison Blanche à 70 ans avant d’être réélu quatre ans plus tard, en 1984.
Le vieux soldat peut sans doute encore en remontrer à plus d’un jeunot sur un ring ou une estrade. Mais reprendre des études, pour lesquelles il n’a jamais manifesté un goût très prononcé ? Ses compétences économiques paraissant pour le moins aléatoires, on voit mal comment il pourrait mener à bien une éventuelle mission présidentielle dans le domaine qui concentre aujourd’hui les craintes et le malaise de l’Amérique : la faiblesse, non d’une armée que McCain souhaite toujours plus forte, mais du dollar.

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