En attendant le grand soir…

L’issue incertaine de la présidentielle suscite l’inquiétude de la population, qui ne sait si le coup porté au régime Mugabe mettra fin à la descente aux enfers du pays.

Publié le 14 avril 2008 Lecture : 5 minutes.

Farai a recopié les résultats des législatives dans un petit cahier d’écolier sur lequel une étiquette indique « Élections mars 2008 ». Il y a noté le nom et le score des 206 députés élus au terme du scrutin du 29 mars. Et entouré tous ceux qui appartiennent au Mouvement pour le changement démocratique (MDC), le parti de l’opposition pour lequel il a voté. Mais toutes les pages ne sont pas remplies. Le jeune homme attend le nom du vainqueur de la présidentielle ou, à défaut, l’annonce d’un second tour entre le président sortant Robert Mugabe et son opposant Morgan Tsvangirai. Cela fait plusieurs jours que la commission électorale doit publier les résultats. Et plus le temps passe, plus Farai est découragé. Comme bien d’autres de ses compatriotes qui craignent un tripatouillage. D’autant qu’à la surprise générale le pouvoir sortant a demandé un nouveau décompte, au grand dam du MDC qui a saisi la Haute Cour de justice.
Farai attend le verdict annoncé pour le 14 avril. Cet instituteur de 21 ans a arrêté de travailler. Avec l’inflation galopante que connaît le pays, le salaire qu’il perçoit à la fin de chaque mois ne suffit plus à couvrir ses frais de déplacement. Alors il traîne, s’occupe, en attendant l’argent que lui envoie sa sur expatriée au Botswana voisin. Il vit à Kuwadzana, l’un des townships d’Harare, la capitale du Zimbabwe. Dans cet ancien ghetto noir, les habitations portent encore les stigmates de l’opération Murambatsvina (« nettoyage des rues ») lancée par le chef de l’État en 2005. Des milliers de « squatteurs » avaient été expulsés et envoyés dans les campagnes. Les maisons dont les propriétaires ne possédaient pas de permis de construire avaient été détruites. Dans ces quartiers très pauvres de la capitale, la population s’est peu à peu tournée vers l’opposition. « Un électorat de l’estomac et non pas du poing », comme le qualifie Robert Mugabe, toujours prompt à fustiger « ceux qui écoutent plus leur faim que leur liberté ».

Une si longue attente
À l’entrée du marché, des plans de maïs pourris jonchent le sol. Farai raconte que, « un jour, les soldats sont venus et ont tout arraché. Juste pour frustrer la population ». Kuwadzana compte près de 30 000 habitants, mais le magasin central est quasiment vide. L’huile, le pain et le sucre se vendent sur les trottoirs. En toute illégalité. « Trois ou quatre fois par jour, nous sommes obligés de tout remballer parce que la police vient se servir, confie une jeune femme qui cherche preneur pour les deux bouteilles d’huile que sa famille lui a ramenées d’Afrique du Sud. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? De toute façon, ils doivent bien nourrir leur famille, eux aussi. » D’aucuns craignent qu’une déception politique ajoutée à des frustrations économiques ne provoque un véritable soulèvement populaire.
Le syndrome kényan est dans tous les esprits. Morgan Tsvangirai multiplie les déplacements dans la sous-région (Afrique du Sud, Botswana, Zambie) ; ses bras droits, les déclarations invitant la communauté internationale à faire pression pour que le président sortant ne leur vole la victoire. Après de longues tractations, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) devait tenir un sommet extraordinaire le 12 avril à Lusaka. Loin de Kuwadzana. Dans le township voisin, une manifestation pro-MDC a été violemment réprimée au lendemain du scrutin. Aujourd’hui, les affiches électorales ont perdu de leurs couleurs, lavées par le temps. La lutte pour la survie quotidienne a repris son cours. Mais l’inquiétude demeure.
À Harare, on croyait que le 29 mars serait « l’heure de vérité », et certains assuraient qu’ils descendraient dans la rue si les élections avaient été truquées. Il n’en a rien été. « Si Robert Mugabe avait annoncé sa victoire au lendemain du scrutin, il y aurait eu des émeutes dans les rues, affirme David. Mais là, nous ne sommes informés de rien. Nous ne savons même pas contre quoi nous devons nous battre ! » L’attente des résultats est longue. L’espoir de changement est retombé comme un soufflé. Dans les interminables files qui jalonnent les trottoirs de la capitale, les rumeurs vont bon train. Devant une banque, une centaine de personnes font la queue pour recevoir des devises étrangères. Un homme lit un quotidien sud-africain : « Mugabe serait en train de discuter avec Tsvangirai pour former un gouvernement de coalition. » « Jamais il ne se rendra. Encore moins pour négocier avec l’opposition », réplique un autre, The Herald, le journal quotidien progouvernemental, dans les mains. Silence.
Inutile de se livrer au jeu des pronostics. La conversation s’arrête là. Les heures passent et les discussions reprennent cette fois-ci autour du taux de change au marché noir. Une femme prétend que pour 100 dollars américains elle peut obtenir 5,5 milliards de dollars zimbabwéens. Tout le monde sort son téléphone pour enregistrer le numéro du cambiste. Sur le panneau d’affichage de la banque, on annonce un taux officiel de 3 millions de dollars zimbabwéens pour 100 dollars américains. C’est le prix d’une cigarette.

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Tel un fauve blessé
La vie est devenue impossible. Les prix peuvent doubler, voire tripler, du jour au lendemain. L’argent n’a plus aucune valeur. Dans les rues, les enfants jouent avec des billets de 200 000 dollars. On ne trouve plus de viande. Il faut patienter des heures pour acheter du pain. Quand il y en a. Les plus chanceux parviennent à en trouver à bon prix au marché noir. La situation économique est telle qu’elle a poussé la population à voter pour Morgan Tsvangirai. Rares sont ceux qui l’ont fait par conviction politique. Paradoxalement, le chef de l’État, au pouvoir depuis vingt-huit ans, inspire encore le respect. Les Zimbabwéens l’appellent affectueusement « Bob », comme un vieil oncle. « Bob a fait beaucoup pour le pays, explique Thenjiwe, qui a donné sa voix au MDC. Mais maintenant, il faut qu’il parte. »
À 84 ans, le libérateur du pays reste toujours aussi virulent à l’égard de l’Occident « pilleur de l’Afrique et dictateur du monde ». Sa haine envers le Royaume-Uni, l’ancien colonisateur, trouve écho chez cette population encore meurtrie par des années de domination blanche. Domination politique jusqu’en 1980 puis économique, avant la très controversée réforme agraire de 2000. Pour les fidèles du président sortant, la souffrance fait partie de tout processus révolutionnaire. Ce qui explique le calme qui règne dans le pays. Mais pour combien de temps encore ? Car personne n’est dupe : s’il doit y avoir un second tour, la campagne risque d’être plus violente. Depuis quelques jours, les milices du parti au pouvoir, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF), s’en prennent aux populations rurales acquises à l’opposition. Et Mugabe, tel un fauve blessé, menace de nouveau les fermiers blancs qui envisageraient de revenir sur les terres d’où ils ont été chassés.
Tangai a immigré en Afrique du Sud, comme trois millions de Zimbabwéens. Il était rentré au pays pour voter, il a attendu les résultats en vain et s’est résolu à reprendre le bus pour Johannesburg. Avec ce souhait que partagent nombre de Zimbabwéens : « Je ne veux pas que Robert Mugabe soit traîné devant la Cour pénale internationale de La Haye. Je ne veux pas qu’il soit présenté aux yeux du monde comme un dictateur. Je veux simplement qu’il aille finir ses vieux jours dans sa campagne. Et qu’il nous laisse enfin en paix. »

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