Du pétrole et des idées reçues

Malgré une trésorerie plus que confortable, d’énormes potentialités et de réelles avancées, les choix économiques du gouvernement suscitent certaines critiques. Tentatives d’explication.

Publié le 14 avril 2008 Lecture : 5 minutes.

Une dette extérieure réduite en quelques années à moins de 1 % du PIB (980 millions de dollars en 2007 contre 40 milliards de dollars en 2000). Des réserves de change supérieures à 110 milliards de dollars, couvrant plus de soixante mois d’importations. Un programme quinquennal (2005-2009) d’investissements publics de près de 145 milliards de dollars. Un budget de l’État où les dépenses d’équipement dépassent les dépenses de fonctionnement. Un marché de 34 millions de consommateurs frénétiques. Pourquoi ces performances n’entament-elles pas le scepticisme des experts – étrangers et nationaux – dès lors qu’ils évoquent l’économie algérienne ?
« Les uns font semblant d’ignorer que l’Algérie revient de loin, rétorque un conseiller du président Abdelaziz Bouteflika, et les autres analysent la situation à travers le prisme de leurs propres intérêts ou de ceux de pays tiers. » Triomphalisme ambiant à El-Mouradia, siège de la présidence algérienne ? « Pas du tout, poursuit notre interlocuteur, notre confiance dans la stratégie de développement que nous avons choisie n’exclut pas pour autant une évaluation périodique, un audit quasi permanent et, le cas échéant, une remise en cause des choix. On s’ingénie à nous expliquer la timidité des investisseurs étrangers, notamment occidentaux, à l’égard du marché algérien à cause de la lenteur de nos réformes. C’est un manque flagrant d’objectivité. »
Pour ce proche du chef de l’État, il s’agit plus d’un problème d’image pour l’Algérie. Et de citer à l’appui le dossier de la privatisation du Crédit populaire algérien (CPA), troisième banque publique en termes de chiffre d’affaires. Dans le cadre de la réforme du système financier, le gouvernement avait décidé, en 2004, d’ouvrir à hauteur de 51 % le capital de deux banques publiques : le CPA et la Banque du développement local (BDL). L’opération a été confiée à la banque d’affaires française Rothschild.

Privatisation reportée
Le CPA étant une bonne affaire (80 millions d’euros de bénéfices en 2006), plusieurs banques internationales ont soumis des offres, parmi lesquelles les groupes français Société générale, BNP Paribas et Crédit agricole, l’américain CitiBank ainsi que l’espagnol Santander. L’ouverture des plis était prévue pour octobre 2007 mais, à quelques semaines de l’échéance, le gouvernement algérien a décidé de geler la privatisation. Motif invoqué : le manque de visibilité du marché financier mondial dû à la crise des subprimes aux États-Unis et ses implications sur les institutions financières. Une prudence jugée excessive, qui soulève un tollé général. « L’Algérie revient à ses vieux démons du dirigisme économique » clament en chur analystes économiques et journalistes spécialisés. « Quelques semaines plus tard, quatre des cinq candidats à la reprise du CPA annoncent des résultats décevants pour les uns, et un scandale financier pour un autre. A-t-on seulement eu un mot pour saluer la prudence dont ont fait preuve les autorités monétaires algériennes ? On nous reproche un nationalisme courroucé quand le patriotisme économique est érigé ailleurs en vertu », déplore le conseiller du président.
Le cas des amendements du code des hydrocarbures est un autre exemple flagrant de ce « patriotisme économique ». Parmi les changements apportés par le président Abdelaziz Bouteflika à la mouture préparée par son ministre de l’Énergie et des Mines, Chakib Khelil, l’introduction d’une nouvelle taxe sur les superprofits réalisés par les groupes pétroliers actifs en Algérie dès lors que le cours du baril dépasse 30 dollars l’unité. Ce nouvel impôt a enrichi le Trésor public de 1,5 milliard de dollars en 2007. « On nous a accusés de faire marche arrière dans notre politique d’ouverture économique. Une campagne hostile dans la presse internationale a été financée par le groupe américain Halliburton. D’autres ont menacé de se retirer. Mais le gouvernement a tenu bon, et les groupes pétroliers ont fini par payer leur taxe. »

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Contre les idées reçues
Dans ces propos d’un ministre du gouvernement d’Abdelaziz Belkhadem, on perçoit une sorte de fatalisme quant aux idées reçues sur l’Algérie. « Nous avons appris à faire avec, poursuit notre ministre, il en est ainsi de la violence terroriste. Les attentats kamikazes sont quotidiens en Irak, cela n’empêche pas les États-Unis d’exhorter tous les pays à rouvrir leur ambassade à Bagdad. En Algérie, où l’amélioration des conditions sécuritaires est incontestable, le moindre attentat provoque des travel warning émis par les chancelleries. »
En 1999, le montant des investissements directs étrangers (IDE) se comptait en dizaines de millions de dollars. En 2007, les projets déposés auprès de l’Agence nationale de développement de l’investissement (Andi, guichet unique) s’élèvent à près de 40 milliards de dollars. Certes, il s’agit d’intentions émises par des investisseurs et des fonds souverains arabes, donc sujettes à caution. Autre « inconvénient » : l’écrasante majorité des investissements annoncés concerne le secteur des hydrocarbures, notamment la pétrochimie Mais il n’en demeure pas moins que l’économie du pays est plus attractive qu’on ne le prétend.
« L’Algérie, un pays riche avec un peuple pauvre. Cette idée reçue a la vie dure, déplore le collaborateur de Bouteflika. On compare souvent notre économie à celle de nos voisins. Soit. Quelle est l’économie nord-africaine où le nombre d’abonnés à la téléphonie mobile a été multiplié par 200 – passant de 140 000 à plus de 28 millions – entre 2000 et 2007 ? Quel est ce marché maghrébin où s’écoulent annuellement plus de 220 000 voitures neuves ? Quel est ce pays où les transferts sociaux sont évalués à 5 milliards de dollars par an ? C’est l’Algérie. Renault investit à Tanger ? Nous sommes très heureux pour nos frères marocains, et nous sommes également contents que Khodro [NDLR : constructeur automobile iranien] s’installe chez nous, ou que l’Indien Tata envisage de le faire. »
Mais les idées reçues n’expliquent pas tout. La faiblesse de la croissance (4 % en moyenne, alors que les prévisions étaient d’environ 7 %) et la lenteur de la baisse du chômage (11,8 % en 2007 – rendant intenable la promesse du chef de l’État de ramener ce taux à moins de 10 % en 2009) sont des réalités que nul ne peut contester. « On ne peut aller plus vite que la musique, se défend notre interlocuteur, on nous reproche de placer nos réserves de change dans des bons du Trésor américain au lieu de les investir dans notre propre économie. Mais on oublie que cette dernière bénéficie déjà d’un ambitieux plan de soutien à la croissance et, surtout, qu’elle a, comme toutes les autres, des capacités d’absorption limitées. »

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