Abdelhamid Kahia, un éternel regard

Décédé à l’âge de 82 ans, le photographe et éditeur tunisien Abdelhamid Kahia laisse une uvre immense derrière lui. Ancien collaborateur de Jeune Afrique, il avait notamment réalisé des reportages uniques sur les premières années de la Tunisie indépendan

Publié le 14 avril 2008 Lecture : 3 minutes.

Le 11 mars, Abdelhamid Kahia s’est éteint chez lui, à Radès, dans la banlieue de Tunis. Ses clichés, notamment ceux de Habib Bourguiba, le premier président de la République tunisienne, ont marqué la mémoire collective des Tunisiens. Contrairement à l’autre grand photographe de la période de l’indépendance, Habib Osman – qui suivait Bourguiba comme son ombre -, Kahia se contentait de faire irruption chez le nouveau chef de l’État à chaque fois qu’il avait une idée en tête. Sans se faire annoncer. « Pour lui, l’essentiel était d’être prêt. C’était un technicien hors pair doublé d’un grand artiste », se souvient Hamideddine Bouali, historien et ancien commissaire du Mois de la photographie de Tunis. Et dans un hommage à Kahia adressé à Jeune Afrique, l’éditeur Tijani Azzabi écrit : « La Tunisie a perdu un militant discret, un photographe de talent, un éditeur rigoureux et cultivé, un pince-sans-rire à l’humour feutré. »

Témoin de l’histoire
En 1961, Kahia devient célèbre grâce à un cliché représentant Bourguiba rayonnant, en pleine force de l’âge, tenant à la main un grand bouquet de jasmin, fleur symbole de la Tunisie. La photo, qui exprime la force et la beauté de la jeune nation indépendante, est diffusée à grande échelle.
Kahia s’était déjà fait connaître en 1958, en réalisant un reportage saisissant sur les victimes du bombardement de Sakiet Sidi Youssef par l’aviation française. Pour Paris, il s’agissait d’exercer un droit de poursuite à l’encontre des combattants indépendantistes algériens. Mais Kahia, arrivé trois heures après le drame en compagnie du journaliste Mohamed Ben Smail – tous deux travaillant pour le journal L’Action, précurseur de Jeune Afrique -, constate que les bombes sont tombées sur des bâtiments officiels, sur une école et sur un marché. Bilan : près de deux cents civils tués. Les images qu’il rapporte sont terribles : des dizaines de femmes, d’enfants et de vieillards gisent dans les décombres, déchiquetés par les éclats d’obus. « Kahia photographie en serrant les dents, nous sommes sidérés, assommés par la boucherie », écrit Ben Smail.
Né à Tunis le 7 février 1926, Kahia a grandi dans la banlieue sud de la capitale, à Radès. Il fréquente le lycée Sadiki, comme l’élite tunisienne de l’époque, puis le lycée parisien Claude-Bernard, avant de poursuivre ses études dans la capitale française. Il a 26 ans quand il sort diplômé de l’École de photographie de Paris. Militant nationaliste, il contribue à la réalisation quotidienne d’une revue de la presse française pour le Néo-Destour, et multiplie les portraits des futurs dirigeants tunisiens. Dont, en 1952, celui de Bourguiba, qu’il rencontre alors pour la première fois.
De retour à Tunis en 1954, il retrouve le « Combattant suprême » mais aussi Béchir Ben Yahmed, qu’il a connu à Paris et avec lequel il collabore dans L’Action, puis dans Afrique Action et enfin dans Jeune Afrique. Ses reportages font date, qu’ils soient sur Sakiet Sidi Youssef, sur la « bataille » de Bizerte en 1961, ou encore sur Ali Ben Ayed, l’acteur prodigieux du théâtre tunisien des années 1960.

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Voyages et édition
À partir de 1964, il se lance dans l’édition et fonde deux maisons. La première porte son nom et publie son premier recueil de photographies intitulé Tunisie (avec un texte du sociologue français Jean Duvignaud) ainsi qu’un livre sur Bourguiba de l’écrivain français Pierre Rossi. La seconde, dénommée Tanit, se spécialise dans l’industrie naissante de la carte postale et profite de l’essor du tourisme de masse.
Kahia s’établit à Paris dans les années 1970, et continue à réaliser des reportages, notamment en Afrique subsaharienne et sur le pèlerinage de La Mecque. Puis, dans les années 1980, il se réinstalle à Tunis où il lance une imprimerie moderne, tout en poursuivant l’édition d’albums de photographies. En 1988, son uvre est consacrée par le prix tunisien des Arts et des Lettres. Dès lors, âgé de plus de 60 ans, il réduit progressivement ses activités et commence à trier ses milliers de clichés. Il ne quitte son travail d’archivage que pour se rendre sur l’avenue Habib-Bourguiba, à Tunis, où il retrouve ses amis à la terrasse d’un café qu’il fréquente depuis plus d’un demi-siècle. Et leur raconte – avec un humour souvent caustique – d’innombrables anecdotes sur tous ceux qu’il a connus et immortalisés.

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