Une conférence nationale à Haïti

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

QUESTION : Un groupe d’intellectuels haïtiens à la recherche de voies pour sortir leur pays d’une interminable crise politico-sociale se propose d’organiser une conférence nationale à la béninoise. Pouvez-vous me parler des expériences africaines ?
BENOÎT BELIZAIRE,
Port-au-Prince, Haïti

RÉPONSE : Les conférences remontent au début des années quatre-vingt-dix. Elles ont été organisées dans des pays dirigés par des régimes de parti unique, ce qui n’est pas le cas d’Haïti. Elles ont joué le rôle d’exutoire pour des élites bâillonnées, de catharsis collective. Il s’agit d’une « révolution par le verbe » qui a permis de passer, sans effusion de sang, de la dictature à un régime pluraliste.
Tout commence en février 1990 au Bénin. Dirigé depuis 1972 par un régime militaro-marxiste, ce pays est alors au bord de l’explosion. Les fonctionnaires et les étudiants accusent plusieurs mois d’arriérés de salaires et de bourses. Pour conjurer la guerre civile, le président Mathieu Kérékou prend tout le monde de court et convoque une « conférence nationale », laquelle se déclare, en cours de travaux, « souveraine ». La conférence ne dure, en tout et pour tout, que dix jours. Les 488 participants ne perçoivent pas de per diem, comme ce sera le cas, plus tard, dans d’autres pays. Une équipe de transition est mise en place, coiffée par le tandem Kérékou-Nicéphore Soglo, nommé Premier ministre de la transition. Un Haut Conseil de la République présidé par l’archevêque coadjuteur de Cotonou, Mgr Isidore de Souza, sert d’organe législatif provisoire. Un scrutin présidentiel pluraliste est organisé en mars 1991. Battu au second tour par Soglo, Kérékou s’efface, pour revenir au pouvoir, cinq ans plus tard, par les urnes.
Le Gabon, le Togo, le Niger, le Mali, le Congo-Brazzaville et le Zaïre (actuel République démocratique du Congo) emboîtent le pas au Bénin. Mais ces expériences connaîtront des résultats inégaux. Au Gabon, dont la conférence n’était pas « souveraine », on a débattu pendant un mois (du 27 mars à fin avril 1990), de tous les problèmes, mais, hormis le multipartisme, rien, vraiment, n’a changé. Le président Omar Bongo reste seul maître à bord. Élu au cours d’une élection pluraliste, certes, mais « à l’ancienne. »
Le Congo a connu, pour sa part, l’une des conférences nationales les plus longues (25 février au 10 juin 1991), la plus chère (elle a coûté aux contribuables la bagatelle de 3,5 milliards de F CFA) et, certainement, la plus délirante. Elle a accouché d’un exécutif bicéphale de transition, avec pour président Denis Sassou Nguesso, et pour Premier ministre un technocrate, André Milongo. Mais aussi d’un Conseil supérieur de la République dirigé, comme au Bénin, par un haut responsable de l’Église catholique, Mgr Ernest Nkombo. Le défoulement collectif aura été utile dans un pays habitué à la violence et aux assassinats politiques. Sassou Nguesso est battu au premier tour de la présidentielle de juillet 1992. Le tour ultime oppose, en août, Bernard Kolélas à Pascal Lissouba. Ce dernier en sort victorieux, mais sera renversé cinq ans plus tard, au terme d’une guerre civile, par Sassou.
Au Togo, la conférence, organisée en juillet-août 1991, dépossède le chef de l’État, le général Gnassingbé Eyadéma, de toutes ses prérogatives au profit du Premier ministre, Kokou Koffigoh et – là aussi – d’un dignitaire catholique, Mgr Philippe Kpodzro. Mais, petit à petit, Eyadéma, qui jouit du soutien de l’armée, reprend fermement les choses en main.
Au Niger, la conférence nationale durera plusieurs mois, et au Zaïre seize mois (7 août 1991-6 décembre 1992). Les deux pays n’en finiront pas pour autant avec l’instabilité. Le Niger connaîtra ainsi une transition chaotique et, après des élections pluralistes, il renouera avec le cycle des coups d’État. Au Zaïre, Mobutu ne sera chassé du pouvoir qu’en 1997 par les rebelles banyamulenge de Laurent-Désiré Kabila, soutenu par le Rwanda et l’Ouganda.
Au Mali, la conférence nationale (juillet 1991) n’avait pas d’enjeu majeur, le dictateur Moussa Traoré ayant déjà été renversé par la rue et l’armée au petit matin du 26 mars 1991. Elle est même présidée par le nouveau chef de l’État, le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT), et ses travaux seront brefs et consensuels. Pour conclure : Une conférence nationale en Haïti, pourquoi pas ? Les élites haïtiennes se passionnent pour ce qui se passe en Afrique. Ils pourraient y trouver matière à réflexion et essayer de tirer leur pays d’une instabilité qui dure depuis bientôt deux siècles.
Les conférences nationales africaines se sont toutes déroulées dans des pays francophones (comme Haïti). Elles ont libéré la parole, permis d’instaurer (ou de restaurer) le pluralisme politique et syndical, la liberté de la presse, des élections plus transparentes. Mais elles ont, dans certains pays, provoqué un retour de bâton et accéléré la paupérisation économique.
Francis Kpatindé

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