Un Bonaparte noir

Il y a deux cents ans, le 7 avril 1803, mourait, embastillé en France, Toussaint-Louverture, un des artisans de l’indépendance de Haïti.

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Ayiti sé manman libèté. « Haïti est la mère de la liberté », dit la chanson. Elle pourrait ajouter : grâce à Toussaint-Louverture, qui a beaucoup contribué à en faire la première République noire indépendante. Le bicentenaire de la mort de ce héros est célébré aujourd’hui dans trois pays : au Bénin, d’où était originaire son père ; en Haïti, où il s’est illustré ; et en France. En effet, il y a deux cents ans, le 7 avril 1803, mourait dans un cachot glacé du fort de Joux, près de Pontarlier, dans l’est de la France, ce général de division trahi, seul et malade. Son bourreau ? Un autre brillant général, Napoléon Bonaparte. Par une étrange communauté de destin, ces deux hommes partis de rien se sont éteints en exil, après une fulgurante ascension et la gloire, brève pour l’un, plus longue pour l’autre.
La première partie de la vie de Toussaint est assez mal connue. Les biographes s’accordent à dire qu’il est né à Saint-Domingue, nom donné à l’île par les colons français, sur une plantation appartenant à un certain Bréda, en 1743. Il était rattaché à la lignée des rois d’Allada du Dahomey (actuel Bénin) par son père. De petite taille – il devait mesurer à peine plus d’un mètre soixante -, il a échappé au dur travail des champs de canne pour être cocher ou gardien de bétail, nul ne sait exactement. On sait, en revanche, qu’il avait beaucoup d’ascendant sur ses camarades esclaves.
En 1776, à 33 ans, il bénéficie de « la liberté de savane », un affranchissement de caractère privé permettant d’éviter les frais et les démarches administratives d’un acte officiel. Ce qui permet à Toussaint d’entamer, en 1779, une carrière de planteur de café sur une quinzaine d’hectares en location, à l’aide des esclaves qui y étaient rattachés. Il se marie avec Suzanne Simon-Baptiste, une esclave affranchie qui avait eu la chance d’apprendre à lire et à écrire. Elle avait un enfant métis, Placide. Ensemble, ils auront deux fils, Isaac et Saint-Jean.
Il semble que Toussaint n’ait pas participé à la première révolte des esclaves de Saint- Domingue, déclenchée dans la nuit du 22 au 23 août 1791. Son nom apparaît pour la première fois dans une lettre adressée à l’Assemblée coloniale, en janvier 1792. Ses espoirs seront déçus : ni la Constituante, ni la jeune République ne feront un geste en faveur des esclaves. À la déclaration de guerre entre la France et l’Espagne, en mars 1793, il se range aux côtés des Espagnols, qui lui offrent le grade de colonel, puis de général des armées du roi. En août, le commissaire de la Convention Sonthonax proclame, au nom du gouvernement, la liberté pour les esclaves de Saint-Domingue. Toussaint attendra cependant août 1794, soit six mois après l’abolition générale de l’esclavage, pour se rallier à l’armée française. À la tête de ses nombreux partisans, il écrase les Espagnols et leur enlève plusieurs postes importants. « Mais cet homme fait ouverture partout », s’exclame alors le commissaire de la République Polverel. D’où son surnom de Louverture.
Pendant cinq ans, Toussaint bataille ferme avec une seule idée en tête : l’autonomie. Il n’y parviendra pas. Après le coup d’État du 18 brumaire, Bonaparte lui confirme son grade de général en chef, le félicite pour avoir mis fin à la guerre civile et rétabli la religion catholique, mais lui refuse le droit de régenter l’île selon son « règlement » personnel. Certes, il s’y proclame « gouverneur à vie », mais surtout il réorganise l’administration, institue des écoles, des bourses d’études, une armée stable et un code rural. À l’appui de cette interdiction, Bonaparte lui envoie ses troupes, commandée par son beau-frère, le général Victor-Emmanuel Leclerc. Sous-jacente, l’idée de rétablir l’esclavage et de déporter tous les chefs noirs, soupçonnés d’indépendantisme. Une terrible guerre s’engage, qui verra bientôt la défaite des deux meilleurs généraux de Toussaint : Jean-Jacques Dessalines et Henri Christophe. Toussaint-Louverture se rend le 2 mai 1802.
Retiré dans l’une de ses plantations, près d’Ennery, dans l’Ouest, il sera arrêté par traîtrise, alors qu’il croit se rendre à une réunion politique destinée à discuter de l’avenir de l’île. Envoyé en France à bord du bateau Le Héros avec son épouse Suzanne, ses fils et ses belles-filles, il est conduit au fort de Joux le 23 août 1802, après un bref passage à la prison du Temple, à Paris. Soumis à l’isolement, au froid, aux brimades, il y meurt dix-huit mois avant la proclamation de l’indépendance de Saint-Domingue, dont la partie française retrouvera son nom d’origine : Haïti.
À Sainte-Hélène, Napoléon regrettera d’avoir écouté les « criailleries des colons » et de n’avoir pas gouverné la colonie « par l’intermédiaire de Toussaint, qui n’était pas un homme sans mérite ». Contrairement à Dessalines, Toussaint-Louverture ne cherchait pas la rupture totale avec la France, mais plutôt une autonomie qui permettrait des rapports économiques privilégiés, mais non exclusifs, avec la métropole.

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