Si l’ONU était à refaire ?

Pour que les Nations unies puissent mener à bien leur mission, il faudrait leur en donner les moyens. Propositions.

Publié le 16 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

La Société des nations (SDN), proposée par le président Wilson pour préserver la paix après la Première Guerre mondiale, avait deux défauts majeurs :
– Plusieurs États importants n’en étaient pas membres. Le Sénat américain a rejeté la participation des États-Unis ; l’Union soviétique y est entrée tardivement (1934) et fut expulsée en 1939, l’Allemagne n’y est entrée qu’en 1926, le Japon, l’Italie, le Brésil en sont sortis volontairement, ou ont été expulsés ; la Turquie et le Mexique en sont devenus membres seulement dans les années trente. Composée de 42 membres à l’origine, dont 26 non européens, la SDN n’a rassemblé que 57 membres maximum.
– Les décisions y étaient prises à l’unanimité, ce qui équivalait à donner un droit de veto à tout le monde. La SDN n’a empêché aucune conquête, ni évité aucun conflit. Tout au plus a-t-elle réglé quelques différends mineurs en Europe. Vingt ans après sa naissance éclatait la Seconde Guerre mondiale.
Grâce à Roosevelt, qui a fait les concessions nécessaires pour convaincre Staline d’y entrer, l’ONU a su éviter ces deux erreurs. Elle est aujourd’hui pratiquement universelle (avec cent quatre-vingt-onze États membres, elle reflète la société internationale) ; ses décisions sont prises à la majorité, la voix des plus petits y vaut la voix des plus forts (sauf au Conseil de sécurité).
Mais les résolutions ne sont pas toujours respectées, même par les pays qui les votent ; il n’y a pas de sanctions contre les récalcitrants ; les discussions sont répétitives et les ordres du jour interminables ; les discours sont souvent un modèle de langue de bois à l’intention des opinions publiques de ceux qui les prononcent. Il y a une prolifération de tâches et de programmes, de sorte qu’il est impossible de se concentrer sur des priorités. Les opérations de maintien de la paix, dont certaines ont réussi, perpétuent dans d’autres cas un statu quo précaire, empêchant certes les combats, mais ne débouchant pas toujours sur des solutions.
Il est peu probable que l’état présent du monde et les rapports de force actuels permettent de créer aujourd’hui une nouvelle institution totalement différente dans son organisation et son comportement.
L’ONU n’est finalement que la résultante de la volonté de ses membres. Conçue pour faire du monde ce qu’il devrait être, elle doit trop souvent se contenter de refléter ce qu’il est. L’idéal se heurte toujours au réel. Et il n’y a pas toujours d’accord sur ce que devrait être l’idéal.
Si la Charte de 1945 était parfaitement respectée par tous, le résultat ne serait pas si mauvais, et il faudrait un sérieux ravalement pour obtenir une ONU viable.
Je fais donc mienne la réflexion de Montesquieu : « Quand une chose bonne a des inconvénients, il vaut mieux supprimer les inconvénients que la chose. »
Voici quelques-unes des mesures susceptibles d’insuffler une nouvelle vigueur aux Nations unies :
– Mettre une force militaire permanente à la seule disposition du secrétaire général, avec élargissement de sa capacité d’intervention autorisant dans des cas limites les opérations offensives. Cette force serait complétée par des observateurs civils qui auraient mandat de veiller à une meilleure gouvernance, à la régularité des élections, à une bonne administration de la justice, et pourraient suspendre le résultat d’élections ou des modifications abusives des règles constitutionnelles ou électorales.
– Compléter le financement du budget par l’instauration d’une taxe sur les mouvements de capitaux et sur les ventes d’armes, ainsi que par la confiscation des comptes en banque alimentés par des trafics ou la corruption (les sommes récupérées étant partagées entre le pays d’origine et l’ONU).
– Élargir le Conseil de sécurité en y introduisant comme membres permanents quelques pays en fonction de leur population et de leur contribution budgétaire (par exemple, les cinq États les plus peuplés et les cinq plus forts contributeurs, en dehors des cinq membres permanents actuels et des dix membres non permanents qui resteraient élus).
– Inciter le secrétaire général à faire usage systématiquement de l’article 99 de la Charte qui lui donne le droit de saisir le Conseil de sécurité de situations préoccupantes.
– Citer nommément, contrairement à la pratique actuelle, pays, dirigeants ou sociétés qui contreviennent à la morale nationale ou internationale, pratiquent la corruption, pillent les ressources de leurs peuples, les déclarer illégitimes ou inéligibles, et les transférer devant les juridictions pénales internationales.
– Créer un organe à compétence assez large ouvert à la société civile (ONG, forces économiques, syndicales, sociales, culturelles et religieuses, chercheurs et universitaires, chefs traditionnels) et dont l’avis serait obligatoirement requis sur certains dossiers, la représentation des pays par les seuls gouvernements étant en contradiction avec les premiers mots de la Charte « Nous peuples des Nations unies… ».
l Doter l’Organisation d’un territoire (peut-être une île) où seraient amenés, au besoin par la force, les dictateurs, leaders ou chefs de bande violant systématiquement les résolutions des Nations unies, menaçant la sécurité des voisins et souvent celle de leurs compatriotes, foulant aux pieds les droits de l’homme, en attendant leur comparution devant les juridictions pénales internationales.
– Imaginer des sanctions effectives contre les pays qui ne respectent pas les résolutions, au minimum par une privation du droit de vote, par l’interdiction de siéger, et par des sanctions qui s’appliqueraient aux seuls dirigeants, non pas aux peuples qui les subissent, en fixant des délais impératifs au-delà desquels une intervention militaire serait automatique. Les régimes issus de coups d’État ou d’élections déclarées irrégulières seraient privés de droit de vote et de droit de parole, mais ne seraient pas exclus, de manière à pouvoir maintenir un dialogue et exercer des pressions sur eux. Dans les cas les plus graves, un système de tutelle provisoire serait instauré.
– Doter la famille des Nations unies des moyens techniques d’une chaîne de télévision (un peu à la manière des chaînes parlementaires). Naguère, la radio de l’ONU devait, pour émettre, se servir des émetteurs… de la Voix de l’Amérique !
– Obtenir – si possible de manière consensuelle – une atténuation de la rigidité de quelques principes juridiques souvent invoqués et qui paralysent les opérations de maintien de la paix comme les actions humanitaires : souveraineté nationale, non-intervention dans les affaires intérieures, conception rigide du rôle des frontières et de la nationalité. Il faudrait pouvoir envisager une gestion « condominiale » de zones contestées, permettre des doubles nationalités ou des compétences superposées, généraliser le concept de droit d’ingérence (voire de devoir d’ingérence) en cas de situation humanitaire tragique, de violation massive des droits de l’homme, de menaces graves sur la sécurité des personnes et des biens, de risques de génocide, etc.
– Les pays qui interviendraient militairement à l’extérieur de leurs frontières, ou même, dans certains cas, à l’intérieur sans l’aval du Conseil de sécurité seraient publiquement blâmés et, pour un certain temps, mis au ban de l’Organisation, en se voyant attribuer une sorte de « carton jaune » ou de « carton rouge », dont il faudrait définir la portée (juridique, financière et pratique), ou en se voyant décerner une sorte de « prix Nobel » de mauvaise conduite.

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